(Billet 531) – Quand la Cour de Cassation casse… l’ambiance !

(Billet 531) – Quand la Cour de Cassation casse… l’ambiance !

La semaine dernière, notre très étrange pays a eu droit à sa « révolution sociale » (de la protection universelle) lancée par le roi, mais il a été privé par ses juges de sa « révolution juridique ». La cour de Cassation a en effet validé un jugement d’appel, lui-même invalidant celui de la juridiction inférieure qui reconnaissait ses droits à un enfant né hors des liens très sacrés du mariage. Sacrés juges !

Les faits. Le 30 janvier 2017, suite à une affaire de relation sexuelle entre deux adultes, ayant donné lieu à procréation, le tribunal de 1ère Instance de Tanger avait reconnu les liens de parenté (et pas de paternité) à la fille née de cette relation, sur la base d’une analyse ADN. Les juges ont fait une gymnastique intellectuelle pour trouver les textes adéquats (constitution, Moudawwana…) qui ont fondé leur arrêt. Quelques mois plus tard, le 9 octobre très exactement (on appréciera la rapidité…), la cour d’Appel a botté en touche, bouté l’arrêt initial et déboutant ainsi la plaignante. Et la semaine dernière, la cour de Cassation a confirmé le jugement d’Appel, invalidant donc celui de la première juridiction, et cassant l’ambiance et l’optimisme que ce jugement prometteur et porteur d’espoirs avait créé.

Et c’est bien dommage, voire triste, et même pénible.

Le Maroc est un pays doté d’une société ultra-conservatrice mais, paradoxalement, cheminant vers la modernité. La frange conservatrice est pourtant la plus importante numériquement, et elle ratisse large, dans les rangs des modernistes schizophrènes au mieux, hypocrites au pire… du type de ceux qui refusent plus de libertés individuelles, tout en les pratiquant (sexualité, avortement, jeûne ou non, liberté de conscience…), au prétexte que cela romprait le lien social. Et c’est pour cela qu’il ne faut rien attendre des politiques, archaïques, passéistes, dépassés et peu audacieux.

Le roi fait ce qu’il peut, faisant avancer les choses en bousculant la société au besoin (Moudawwana, avortement, grâces ici et là…), mais il ne peut trop la brusquer. Il est en effet commandeur des croyants, lesquels sont en écrasante majorité musulmans, et dans cette écrasante majorité, une part considérable de conservateurs.

Il reste alors le droit. En plus des sources directes du droit que sont la constitution, la loi, les règlements et la coutume, il...

existe les sources interprétatives représentées par la doctrine et la jurisprudence. Celle-ci n’est pas contraignante pour les autres juges mais ces derniers peuvent s’y référer, encore et encore, et faire évoluer la société par ce « biais ». Le Code pénal, d’ailleurs, oblige le juge à rendre la justice, même en cas de « silence ou d’obscurité de la loi » (article 240).

« Rendre la justice » … la formule est puissante. N’est-ce pas rendre justice à un enfant né hors des liens du mariage que de lui permettre de disposer de ses droits ? En lieu et place, la justice applique la loi contre les parents et ignore l’enfant, promis à une existence effroyable…

Pourquoi les juges ne s’investiraient-ils pas dans cette mission, consistant à s’appuyer sur la jurisprudence ? Pourquoi la cour de Cassation ne confirme-t-elle pas un jugement rendant justice à un enfant né hors mariage ? On ne peut tout attendre du roi qui, lui-même, a ses contraintes. Puisque les politiques ne font coupablement pas leur travail, craignant pour leurs scores électoraux, il appartiendrait aux magistrats de le faire et d’instaurer une « autre » culture, une « autre » pratique, pour un nouveau Maroc…

… Un nouveau Maroc qui existe, qui vit, qui travaille, qui jouit et se réjouit, qui boit ou qui prie, qui bout et qui attend, car il aimerait voir son pays évoluer, dans le respect de son histoire certes, mais dans la perspective de son avenir aussi. Et surtout.

Le roi vient de nommer le président et le procureur général de la cour de Cassation, tous deux membres ès-qualité du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, lequel, en vertu de l’article 113 de la constitution, et « à son initiative, élabore des rapports sur l'état de la justice et du système judiciaire, et présente des recommandations appropriées en la matière ».

Il est peu probable qu’un roi qui a prouvé à maintes reprises son ancrage moderniste nomme des magistrats du passé, dépassés, passéistes. Il appartient donc à MM. Abdennabaoui et Daki de réfléchir à leur rôle sociétal, de conceptualiser le Maroc et de dessiner les contours d’une société articulant le passé avec le présent et le futur. Et non d’annuler des jugements, aussi discrets qu’immensément modernes !

Il y va de notre plus grand bien, moral, à tous.

Aziz Boucetta