(Billet 530) – Libertés individuelles : vivre en 2021 avec des règles de 1442 !

(Billet 530) – Libertés individuelles : vivre en 2021 avec des règles de 1442 !

Un jeune homme a été interpellé à al Hoceima pour avoir commis l’horrible et impardonnable crime de… manger et fumer une cigarette. Oh certes, de jour, pendant le ramadan… Il n’aurait pas dû, il aurait dû être discret, dira-t-on, et on aura raison de le dire, car dura lex, sed lex. La loi est en effet dure, mais c’est la loi. Sauf que cette loi est liberticide, avec d’autres…

… et au final, nous vivons dans un pays supposément libre mais où des actes élémentaires, des tranches de vie tout à fait ordinaires sont interdites. C’est bien le problème du Maroc, un Code pénal incompatible avec ses ambitions. Comment peut-on encore, en 2021, dans un pays qui se veut ouvert et moderne, empêcher quelqu’un de se sustenter à loisir, de se désaltérer quand il veut, au prétexte religieux que c’est interdit… haram, pour tout dire ?

Plus grave… Comment savoir que quelqu’un est musulman ? L’article 222 du Code pénal le dit, car voici ce qu’il affirme : « Celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni de l'emprisonnement d'un à six mois et d'une amende de 12 à 120 dirhams ». Le terme « notoirement » renvoie à … l’arbitraire simpliste, l’arbitraire qui explose. Si on se prénomme Mohamed, Khadija, Abdeslam ou Fakhita, et que l’on soit né de parents musulmans, c’est qu’on l’est aussi ! Il est vrai que la liberté de conscience, et le minimum requis d’intelligence, n’existent pas sous nos cieux…

Et quel est ce « motif admis par la religion » ? Relisons la sourate d’al Baqara (2 : 184) : « Mais pour ceux qui ne pourraient le supporter qu'(avec grande difficulté), il y a une compensation: nourrir un pauvre » et, ensuite, toujours dans la même sourate (2 : 185) : « Quiconque est malade ou en voyage, alors qu'il jeûne un nombre égal d'autres jours. Allah veut pour vous la facilité, Il ne veut pas la difficulté pour vous ». Le Créateur en appelle au libre-arbitre, mais ses créatures refusent la libre conscience, s’évertuant à rendre compliqué ce que Dieu souhaite facile.

Oh, le débat est ouvert entre exégètes, ceux qui ne veulent rien savoir d’autre que


le fouet et le sabre et ceux qui pensent, et qui donc sont… Dans les deux cas, le doute est permis et en justice, en principe et en terres civilisées, le doute équivaut à non-lieu !

Résumons… On demande aux Marocain(e)s d’être de bons citoyens, de travailler avec abnégation, de s’acquitter de leurs impôts… mais à ces mêmes Marocain(e)s, on refuse légalement un verre, un câlin, le choix du moment de boire et de manger. Il faut choisir… On ne peut fonctionner en 2021 et réfléchir, agir en 1442.

L’Etat, donc, s’occupe de notre santé spirituelle en nous empêchant de manger quand on veut, où on veut, et en nous interdisant de tâter de la dive… et il se préoccupe également de notre chasteté spirituelle en prohibant toute amour charnel avant la sainte noce… mais il se désintéresse presque totalement de notre santé tout court. Et son extraordinaire prestation (ce n’est pas ironique) durant la crise Covid confirme la règle.

Ces interdits d’un autre âge sont en partie la raison d’émigration de bien des Marocain(e)s, ne pouvant supporter de voir leurs libertés bridées et la société reculer à une vitesse débridée. Et ils ont raison, car la prison est terrifiante ! Imaginons une personne honnête, munie de ses qualifications et exerçant un métier quelconque, se retrouver en prison pour ne pas avoir jeûné ; dans le milieu carcéral, peu réputé pour l’intellect de ses pensionnaires, cela équivaut à être désigné de non-musulman. On vous laisse imaginer ce que cet individu endurera…

Et si c’est une femme embastillée pour avoir eu une relation sexuelle avec quelqu’un d’autre, aller en prison représente la déchéance finale car la société est impitoyable, et elle juge, condamne, stigmatise et ostracise.

Le pire est que nous ne devons rien attendre dans les prochaines années de notre classe politique, pusillanime face aux défis et unanime à se jeter aux abris à chaque affaire de libertés individuelles. « Le Maroc est conservateur et nous autres œuvrons à conserver nos fonctions ! », semblent-ils dire, sans rire.

Fort bien, poursuivons donc notre grand écart entre 1442 et 2021 tout en hurlant à l’émergence, mais ne nous étonnons pas des résultats indigents ! Continuons de foncer en avant tout en regardant vers l'arrière et ne soyons pas surpris des dégâts...

Aziz Boucetta