(Billet 509) – En "partant" du PJD, Abdelilah Benkirane signe son retour !

(Billet 509) – En "partant" du PJD, Abdelilah Benkirane signe son retour !

Il l’avait annoncé, et il l’a fait. Abdelilah Benkirane a décidé hier de suspendre son activité au sein du PJD, en attendant de connaître le sort de la loi 13-21 sur l’autorisation du cannabis à des fins médicales. L’acte n’est pas anodin, il constitue même un séisme de forte amplitude au PJD, que M. Benkirane avait contribué à fonder dans sa forme actuelle, et même avant. Aujourd’hui, il y va à la machette !

Il est des exemples d’hommes politiques d’envergure, de premier plan même, qui continuent de marquer la vie de leurs partis, même quand ils le quittent, sous une forme ou une autre. Ainsi de feu Abderrahmane el Youssoufi et ses célèbres bouderies cannoises, ou du regretté Mhamed Boucetta qui, quelques semaines avant son décès en 2017, avait signé la condamnation à mort (politique) de l’alors secrétaire général Hamid Chabat.

Il en va de même aujourd’hui avec M. Benkirane au PJD. Le parti vit cahin caha, ballotté par les cahots de la politiques et les ahanements de ses cadors. Dix ans après son arrivée aux affaires (à défaut de pouvoir), le PJD a dû s’adapter aux mutations nationales et internationales. Abdelilah Benkirane avait tranché à grands coups de sabre dans les produits décompensés, puis avait fait passer la très controversée loi sur les retraites, et son successeur, éternel rival et frère ennemi Saâdeddine Elotmani a introduit les langues étrangères dans l’éducation nationale, signé la reprise des relations avec Israël et il est en voie de dépénaliser l’usage médical et industriel du cannabis.

Reclus chez lui, en proie à une compréhensible amertume d’avoir été révoqué en 2017, mais mû par une incompréhensible fougue contre le chef du gouvernement et du PJD, Abdelilah Benkirane a dégainé la très grosse artillerie, « excommuniant » quatre ministres actuels (MM. Elotmani, Ramid, Rabbah et Amekraz) et un ancien (Lahcen Daoudi). Et le parti est à quelques mois d’un congrès qui renouvellera – ou reconduira – les instances dirigeantes (secrétariat général et secrétaire général, conseil national). Par ce geste, Abdelilah Benkirane semble distinguer ceux qui trouvent encore grâce à ses yeux des autres, les « excommuniés », qui ne pourront figurer dans un secrétariat général dont il serait redevenu le chef, s’il ne quitte pas le...

parti.

Ce faisant, M. Benkirane se contredit. Il a en effet toujours martelé la discipline partisane et le respect des décisions des instances statutaires du parti. Il a dérogé à sa propre règle. Il a bien évidement le droit de s’exprimer et de se révolter, mais il n’est pas le militant anonyme pour lequel il voudrait se faire passer. Il est ancien chef emblématique du parti, dont il reste un membre tout aussi emblématique, et en sa qualité d’ancien chef du gouvernement, il est tenu à ce qu’on appelle un devoir de réserve. Mais il y avait, à vrai dire, assez peu de chances qu’il le respecte.

En second lieu, M. Benkirane s’est laissé aller à sa passion, voire ses pulsions. Après avoir défendu la reprise avec Israël, « pour protéger l’image du pays et l’aura de son roi, et aussi pour sauver le parti », il a agi par précipitation sur cette question de cannabis (kif, comme il l’indique dans ses lettres de menace et de suspension). Son côté dogmatique l’a emporté sur la rationalité ; ce sont en effet 2 millions de personnes qui vivent dans les régions de culture du cannabis et 50.000 d’entre elles sont sous mandat de recherche, sans compter que le cannabis, bien exploité, est une immense source de richesse pour le pays. Que les sceptiques vérifient, les chiffres cognent d’eux-mêmes.

Qu’adviendra-t-il maintenant ? Il appert que la loi 13-21 passera. Soit les élus PJD la voteront, et M. Benkirane démissionnera, soit ils la rejetteront et le PJD devra quitter le gouvernement, mis en minorité deux fois en 15 jours par ses propres députés (quotient électoral et cannabis). Mais la loi passera. Et si M. Benkirane quitte le parti, la meilleure des choses serait qu’il rentre chez lui, car en cas de scission et de formation d’un nouveau parti, le Maroc aura des ultras, des radicaux, ou des ultraradicaux, constitués en parti populiste, modérément démocrate, modérément tolérant.

Le Maroc n’a vraiment pas besoin de cela et l’éminente noblesse du concept de démocratie ne peut tout justifier. Ceux qui défendent aujourd’hui la démocratie pure et parfaite à tout prix ne sont certainement pas prêts à en payer le prix demain, car personne n’en joue le jeu…

Aziz Boucetta