Lettre à un ami diplomate africain, par Ahmed Faouzi
Je suis ravi d’apprendre que bientôt tu vas rejoindre, en famille, ton poste dans un pays lointain. C’est certainement un nouveau défi, et un nouveau départ pour toi. Mais c’est surtout une grande confiance mise dans tes capacités pour bien représenter ton pays. La joie de pouvoir changer d’horizon est bien légitime, mais elle cèdera bientôt la place à d’autres réalités pour lesquelles tu as été mutées.
Bien souvent on compare ton métier à celui d’un soldat qui rejoint son champ de bataille. Parfois on les oppose aussi, l’une de défense et de conquête et l’autre est de paix et de coopération. L’un défend les droits du pays au niveau international par le dialogue et la concertation pour, justement, ne pas arriver au langage des armes. L’autre, les armes à la main, défend le pays contre un ennemi réel. Mais l’un comme l’autre, exploite toutes les circonstances pour modifier un rapport de force. Un, pacifiquement et par le dialogue, l’autre, par la contrainte et la coercition. Cependant, les deux visent un seul et même but : protéger les intérêts de la nation à laquelle les deux appartiennent.
Comme le soldat, tu poursuivras donc tes objectifs de manière officielle et pacifique. Tu ne viseras point la destruction physique d’un ennemi, mais plutôt l’acquisition d’avantages politiques, économiques, culturels ou stratégiques, au profit de ton pays. La guerre met généralement la force au service de la diplomatie, mais celle-ci temporise l’usage excessif de la force pour favoriser la paix et la concorde. L’intelligence diplomatique te permettra de faire l’économie de la violence.
Tu n’es pas sans savoir que, dans cette contrée lointaine, ton chemin au service de ton pays sera complexe et fastidieux. Un militaire peut obtenir une victoire rapide et éclair en fonction de sa stratégie et des forces en présence. Toi, tu dois te munir de patience pour atteindre tes objectifs en étant modéré dans tes propos et en mesurant les risques de tes gestes sur les intérêts de ton pays. Ta parole est une arme qui risque, quand elle est mal utilisée, de laisser des traces indélébiles.
Il ne faut pas escompter toujours un résultat immédiat de tes démarches. Ton travail sera de longue haleine. Une forme d’investissement pour le moyen et long terme. Comme il n’y aura pas de victoire subite et immédiate, il faudra alors te munir de patience en consolidant d’abord les acquis. Tu sauras censé conjuguer, au quotidien, les effets de la puissance de ton pays à tes capacités de persuasion. Ta force sera dans ta rectitude pour atteindre les objectifs assignés. Ta souplesse associée à ton intransigeance sur l’essentiel te seront utiles dans tes démarches pour réussir ta mission.
Les conflits qu’il te faudrait résoudre, ou au moins en atténuer les effets, peuvent changer subitement d’amplitude. Plus grandes sont les tensions et plus difficiles deviennent les interventions. En tant que diplomate, une rapide intervention peut circonscrire un feu pour en limiter les dégâts. Pour arriver à cela, tu dois être un négociateur avisé au service de ton pays pour défendre, bec et ongles, ses intérêts et trouver des sorties honorables aux malentendus et aux crises. Tu dois être, en toute circonstance, prêt pour proposer des solutions, et en mesure de déjouer et neutraliser tout manquement aux intérêts de ton pays.
La sagesse d’un diplomate n’est pas forcément synonyme d’une totale neutralité. Quand l’intérêt du pays est en jeu, tu dois procéder avec doigté à préserver les acquis et à être disponible, quand il le faut, pour faire obstruction. Il faut être prêt à anticiper et prévoir même la confrontation, quand les intérêts du pays sont en jeu. C’est lors d’une telle situation que tu auras la sensation d’être un soldat, ce combattant loin de sa base, censé être aussi audacieux que prudent. Audacieux pour renforcer les acquis, et prudent pour ne pas offenser ton
pays hôte et impliquer le tien dans un conflit inutile.
Avec le temps tu te rendras compte qu’il est difficile, voire impossible, d’obtenir un gain sans contrepartie aussi pour ton pays d’accréditation. En général, on ne peut faire plier un État étranger à son bon vouloir que sous la contrainte. Il résistera autant qu’il le pourra parce qu’il en va de sa dignité aussi, de son honneur et de son orgueil. Quand on cherche à soumettre un État à sa propre volonté on se soustrait soi-même aux règles et coutumes de bienséance. Alors, tu seras toujours appelé à trouver un terrain d’entente pour fructifier la coopération bilatérale. Façon de démontrer que ton pays pèse sur le plan international et peut apporter pacifiquement sa contribution au développement des autres.
Tu es un être humain, et les relations entre États ressemblent à celles entre les êtres humains, parce qu’ils usent, aussi, de la violence. Dans ce cas, celle-ci prend des formes diverses comme l’intimidation ou la menace, pour faire adosser à un État un acte contraire à ses intérêts. Rappelle-toi, un pays n’accepte de s’y soumettre que quand les rapports de force sont en sa défaveur. Une fois ces rapports modifiés, il demandera la renégociation d’une situation qui ne répond plus à ses intérêts.
Il ne s’agira nullement pour toi d’intimider ou de provoquer la crainte chez ton pays d’accueil. Au contraire, l’objectif de ta mission est de favoriser, autant que faire se peut, la bonne entente, la paix et la coopération au bénéfice de tous. Ce que tu dois imposer c’est plutôt le respect qu’on doit avoir, en toute circonstance, pour ton pays et ce qu’il représente. Rappelle-toi, aucune puissance ne peut tenir un langage de vainqueur et de guerrier éternellement au risque de basculer dans le chantage qui est tout le contraire d’une mission diplomatique.
Durant ta mission tu sauras qu’il y a une nuance entre exercer un chantage et faire pression contre un État. La pression est par essence subtile, car elle sera ton outil de chaque jour. Elle doit être basée sur la réalité du terrain et des rapports de force en présence. Averti, tu n’useras jamais d’un ultimatum pour obtenir un gain. L’ultimatum, rarement utilisé, est une menace ouverte qui exige une réponse immédiate. Il est peu efficace et contraire à l’esprit même de ta mission. Il peut aboutir à la confrontation, à la capitulation ou alors à la rupture. Tu dois, par conséquent bien habiller ta requête de façon à ce qu’elle n’apparaisse pas contraire à ta propre mission pour laquelle tu as été élue.
Pendant ton séjour, ta vigilance doit être constante et de rigueur. L’image de ton pays peut être un jour attaquée ou déformée. Certains États mènent des politiques qui visent à s’ingérer dans les affaires des autres pour déstabiliser ou modifier un comportement par la désinformation ou la propagande. Ton objectif est d’être vigilant et ne jamais réagir avec passion ou dans la panique. Une provocation peut être arrêtée à son premier essai. Faute de réponse immédiate, elle risque de se perpétuer.
Un diplomate averti en vaut deux. Le comportement agressif répété d’un gouvernement est l’annonce de risques majeurs et d’une hostilité qui peut s’installer dans le temps. Dès l’apparition des premières étincelles, il faut les circonscrire pour éteindre le feu qui risque de se propager. Sur place, tu es le premier à prendre le pouls des tempêtes à venir et à agir en conséquence. De même, tu seras le premier à sentir le bourgeonnement et l’amélioration de cette relation pour aider à son épanouissement.
En guise de vœux de bonne chance pour ta nouvelle mission, et puisque tu me l’as demandé, je me suis permis de te faire part de ces quelques pensées, somme toute évidentes, en te souhaitant une belle aventure professionnelle dans le pays où tu vas séjourner.
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Ahmed Faouzi est diplomate, ancien ambassadeur.