Diplomatie: Who’s Mr. Antony Blinken ?, par Ahmed Faouzi
A chaque élection américaine, toutes les chancelleries du monde sont en attente et se posent deux questions. La première, le prochain président américain sera-t-il démocrate ou républicain ? La raison à cette interrogation est évidente. La superpuissance américaine est omniprésente sur tous les continents et dans tous les pays. Il est donc nécessaire de suivre l’évolution de sa politique extérieure, et être attentif au changement d’équipe gouvernementale. La deuxième interrogation, aussi capitale que la première, découle de la précédente : qui détiendra le portefeuille du Secrétariat d’Etat et déroulera, en pratique, la politique extérieure du pays.
Les récentes élections américaines ont donc donné les démocrates gagnants en la personne de Joe Biden. Homme politique d’envergure, avec une grande expérience, notamment comme vice-président à côté de Barack Obama durant ses deux mandats de 2009 à 2017. L’attente n’a pas été longue quand Biden annonça qu’Antony Blinken prendra la relève du républicain Marc Pompéo à la tête de la diplomatie américaine. Alors qui est ce nouveau responsable qui gèrera, pour les quatre années à venir, le State Department ?
Antony Blinken est le 71e Secrétaire d’Etat de l’histoire américaine. Il est né le 16 avril 1962 à New-York dans une famille juive. Il a baigné dans un entourage de diplomates, d’intellectuels, d’hommes d’affaires et de mécènes. Son père est Donald Blinken, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Hongrie, et un des fondateurs de la banque d’investissement Warburg Pincus & compagny. Sa maman Judith Frehm est d’origine hongroise. Divorcée, elle se remarie avec Samuel Pisar, juif d’origine polonaise, notaire et homme d’influence américain. Elle s’établit avec lui à Paris en 1971, avec son fils Antony alors âgé de neuf ans.
Samuel Pisar jouera un rôle prépondérant dans l’éducation et l’épanouissement du jeune Antony Blinken. C’est un rescapé des camps d’extermination nazis où il a vu la mort de ses parents et de sa sœur. Il s’est réfugié, durant la deuxième guerre mondiale, en France puis en Australie où il a fait de brillantes études de droit. Il s’installe après aux Etats-Unis pour finir son doctorat à Harvard, puis devient membre de la taskforce auprès du président John Kennedy puis conseiller au département d’Etat. Il aura une fille, Leah Pisar, demi-sœur d’Antony, qui des années après, travaillera à la Maison Blanche au service des Clinton.
Le beau-père de Blinken, Samuel Pisar, aura une grande influence sur lui. Dans une interview au journal Washington Post du 15 septembre 2013, il raconta comment le jeune Blinken était curieux pour tout connaître sur la Shoah : « il voulait tout savoir, et il a été imprégné par cette histoire qui l’a impressionné et lui a donné un autre regard sur le monde » a-t-il déclaré. Plus tard, ce beau-père attentif l’aida à s’introduire dans les cercles des pouvoirs aussi bien à Paris qu’à New York. Blinken sera marqué par sa vie d’adolescent à Paris. Durant cette enfance, il a été « un diplomate junior expliquant ce qu’est l’Amérique à ses camarades de classe » a-t-il confessé une fois à la presse. De retour aux États-Unis, il poursuivra ses études à Harvard d’où il obtiendra son doctorat en 1984.
Jeune diplômé, il est membre du parti démocrate et participa très tôt aux manifestations pour venir en aide aux réfugiés étrangers aux États-Unis. Il intégra en 1994 le ministère des Affaires étrangères (State Department) sous la présidence de Bill Clinton, puis en 2001 le Centre des Études Internationales et Stratégiques (CSIS). En 2009 on le trouve chargé de la sécurité nationale auprès du vice-président Joe Biden, puis en 2015 il chapeaute le poste sensible de conseiller-adjoint au Conseil National de Sécurité.
En 2015 il retourna aux Affaires étrangères comme Secrétaire d’Etat-adjoint, auréolé de ses expériences cumulées aussi bien à la Maison Blanche qu’au Conseil National de Sécurité. Il ne quittera ce département qu’avec l’arrivée de Donald Trump en 2017. Durant ces années, il prend à bras le corps la gestion des crises qui secouent la planète, comme l’Afghanistan, le Pakistan, le Venezuela ou l’Iran.
Face à ces foyers de tension, Blinken est vu comme un interventionniste assumé quand les enjeux sont les intérêts américains ou la condition des populations civiles. Alors qu’il est membre du Sénat, il soutient en 2003 l’intervention américaine en Irak, comme Joe Biden. En 2013, quand le président syrien Bachar Al Assad utilise les armes chimiques contre sa propre population, les États-Unis n’interviennent pas pour défendre les civils malgré les avertissements lancés par Barack Obama. Blinken
regrette amèrement la non-assistance aux civils syriens et le recul du président américain. Certains de ses proches rapportent que ces massacres lui ont rappelé la non-assistance et la souffrance de sa propre famille pendant l’Holocauste.
D’autres événements l’ont marqué durant la gestion des affaires internationales sous Obama, comme la traque d’Oussama Ben Laden et son assassinat en 2011, l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, et la participation à la coalition internationale contre le régime libyen de Kaddhafi en 2011. S’il a aidé les rebelles libyens par la fourniture d’armements, il a cependant condamné en 2016 le coup d’Etat militaire contre le président turc Erdogan. Blinken a des principes et cherche à maintenir, autant que faire se peut, la diplomatie de son pays dans la légalité et le cadre multilatéral des Nations unies.
C’est cette position difficile à tenir, entre les principes d’un côté et les intérêts de l’autre, qui le pousse constamment à s’adapter aux réalités et à être pragmatique. Face aux crises qui secouent le monde, Blinken cherchera, dans les années à venir, à avoir l’appui des alliés, notamment européens. Le 24 novembre 2020, il déclara devant la presse que : « nous ne pouvons pas résoudre les problèmes du monde tout seuls, nous devons travailler avec les autres pays ». Pour lui l’Europe est vitale pour les Etats-Unis, et elle est le premier front à consolider.
En son temps, il a critiqué à ce propos la décision de Donald Trump de réduire la présence américaine au sein de l’OTAN. Pour contenir l’intransigeance russe et l’expansionnisme économique de la Chine, l’implication de Européens est, pour lui, primordiale et capitale. Au sein de l’Europe continentale, l’Allemagne restera toujours l’allié stratégique de Washington malgré la francophilie de Blinken, et au grand dam de la France. D’un autre côté, il privilégiera les actions internationales en passant par les institutions internationales de l’ONU. Le nouveau chef de la diplomatie américaine est donc européaniste, multilatéraliste, et internationaliste.
Sur les autres crises, Blinken a été critique à l’égard à l’Inde concernant la région du Cachemire, et de la Chine pour non-respect des droits humains des musulmans ouïghours et des citoyens de Hong-Kong. Quant à la Turquie, il a affirmé que ce pays n’agit pas comme un vrai allié, et laissé entendre que des sanctions pourraient être prises à son égard. S’il a soutenu l’intervention de l’Arabie saoudite contre les Houtis au Yémen, il a déploré ses conséquences humaines sur les populations civiles yéménites.
Le nouveau ministre américain reste très proche d’Israël et de sa classe politique, bien qu’il ne partage pas la vision de Benyamin Netanyahu. Il est pour l’établissement de deux Etats israélien et palestinien, avec des arrangements mutuels aux problèmes qui gangrènent le Moyen-Orient. Lors des visites du président Bill Clinton en Israël, c’est Blinken qui en est l’animateur principal et qui se chargeait d’écrire ses discours en y apportant des touches pour plaire à l’auditoire. Ainsi, lui conseilla-t-il lors des funérailles d’Itzhak Rabin en 1995, de conclure son discours par Shalom Haver (adieu l’ami) qui fera sensation dans l’opinion israélienne.
Blinken marquera la diplomatie américaine post-covid pour les quatre années à venir, sous le leadership de Biden, mais il faudrait que l’appareil diplomatique se mobilise derrière lui. En reprenant ses activités à la tête du département d’Etat le 27 janvier dernier, il a tenu à rassurer les diplomates américains : Je suis un diplomate comme vous qui retourne à la maison. Je comprends ce que vous faites et je suis prêt à relever, avec vous, tous les défis qui se présenteront à nous. Je reconnais que le département que j’ai laissé il y a quatre ans n’est pas celui que je trouve. Le monde a changé mais aussi le département, a-t-il ajouté.
A l’adresse des nostalgiques de l’ère Trump, il annonce que toutes les opinions peuvent s’exprimer librement, et d’ajouter, certainement à l’intention d’éventuels opposants, qu’aucune nomination ne se fera en fonction de l’appartenance politique. Durant cette première rencontre avec ses diplomates, Blinken a essayé d’insuffler une nouvelle dynamique à ses troupes. En homme averti, il sait que la tâche sera ardue pour lui et pour son pays. Ce ne sera certainement pas une mince affaire de vouloir réorganiser les alliés et maintenir la pression sur la Russie la Chine l’Iran et la Corée du Nord. Mais le rêve américain est toujours possible. We cross fingers for Mr Blinken and wish you good luck.
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Ahmed Faouzi est diplomate, ancien ambassadeur.