Amine Baakili: Confiance, transparence et inclusion pour la reprise économique
Dans le contexte de la relance économique prônée par le gouvernement ainsi que les réformes fiscales contenues dans la LF-2021, le Maroc avec la Commission sur le nouveau modèle de développement veut engager l'année 2121 avec un nouveau modèle économique.
Les Provinces du Sud plus que jamais déterminants dans le développement du Royaume constituent un enjeu de taille.
Dans cet entretien, Amine Baakili, Président de l'Ordre des experts comptables, revient sur les propositions de leur association sur le nouveau modèle de développement, les opportunités de la ZLECAF et explique le choix de l'Ordre des experts comptables sur leur table intitulée " L’investissement moteur de développement des Régions du sud", prévue à Dakhla.
Panorapost. Pourquoi avoir choisi les Provinces du Sud pour cette activité ?
Amine Baakili. Comme tous les citoyens marocains, nous chérissons ces territoires et nous avons à cœur de contribuer activement à toute action pouvant impacter le développement économique et social de notre pays et ses régions. Les Provinces du Sud recèlent de potentialités importantes et d’opportunités d’investissements dans plusieurs secteurs qu’il convient de rappeler lors de la table ronde que l’Ordre des Experts-Comptables organise à Dakhla le vendredi 12 février 2021 autour de l’investissement, comme moteur de développement des régions du Sud.
Par ailleurs, la région de Dakhla représente un passage incontournable entre le Maroc et l’Afrique, et possède un nombre incalculable d’atouts et s’impose comme une zone productive dynamique en pleine mutation. Il nous a semblé opportun d’y déclencher cette première activité qui rassemble les principaux acteurs de l’économie marocaine autour d’une priorité commune, à savoir le développement économique des Provinces du Sud.
L’environnement créé par le nouveau modèle économique des Provinces du Sud donne aux investisseurs une visibilité quant aux opportunités d’investissements ouvertes dans la région, et ce grâce aux efforts déployés en matière de renforcement des infrastructures, de la stabilisation de la situation politique et de l’amélioration du climat des affaires. Ces régions ont de quoi séduire. Position géostratégique, infrastructures modernes, facilités pour l’octroi du foncier, incitations fiscales, réservoir de capital humain qualifié… autant de facteurs qui traduisent une Vision Royale ambitieuse pour les Provinces du Sud.
Quelles ont été vos propositions pour le Comité sur le modèle de développement ?
La réflexion menée par l’Ordre des Experts-Comptables consistait à remettre le Citoyen au cœur du débat et tracer les grandes lignes d’un Pacte de confiance à construire entre tous les acteurs pour un développement durable. Elle a porté sur l’investissement dans le capital humain, institutionnel, environnemental et social, ainsi que dans le numérique :
- Notre système éducatif qui doit atteindre l’employabilité, l’innovation et l’ouverture en restructurant les filières, si nécessaire, par l’abandon des filières non performantes.
- La santé qui doit s’inscrire dans un cadre stratégique qui vise le développement de la formation médicale, une forte réhabilitation du personnel paramédical, et une définition de l’investissement dans l’infrastructure hospitalière suivant des critères de rationalité et d’impacts.
- L’investissement dans le capital institutionnel consiste à réduire l’inefficience, simplifier les procédures et investir dans la confiance et l’efficacité des institutions, notamment celles de la propriété, de la surveillance et de la supervision économiques, de la régulation, de la couverture et la protection sociale, et de l’arbitrage.
- Ensuite, le modèle de développement devra s’inscrire dans l’économie « verte » en développant massivement l’ingénierie nationale dans les productions décarbonnées ou à faible émission de gaz à effet de serre, en se positionnant fortement sur les innovations portées par les technologies propres, et en mettant du contenu incitatif (fiscal et/ou financier) dans un Green/Eco Label.
- Le statut « d’utilité publique » doit être reconnu aux espaces associatifs qui favorisent la création de valeurs immatérielles, telle que la confiance interpersonnelle. Aussi, pour renforcer le capital social, il est nécessaire d’encourager la parité homme/femme par la Constitution pour, entre autres, améliorer l’accès des femmes aux opportunités économiques et renforcer leur représentativité dans les postes de gouvernance.
- Grâce à la transformation numérique appliquée aux acteurs publics, nous pourrions atteindre un État Plateforme qui disposerait d’un système unifié, dématérialisé et dynamique pour un partage puissant et accéléré de l’information publique.
Également, le nouveau modèle de développement doit définir clairement les rôles 1/ de l’État en sa qualité de stratège, 2/ de l’Entreprise dans une perspective de création de valeur, et 3/ des Instances de gouvernance, de régulation et de contrôle.
Si l’on veut accélérer le rythme de la croissance au bénéfice du Citoyen marocain, l’État doit être capable de répondre à ses attentes à travers l’accompagnement, la régulation et le financement (ou la mobilisation d’investissement) et prioriser, outre les investissements précités :
- L’intégration internationale pour développer et diversifier les exportations et les recettes en devises et les IDE tout en renforçant l’attractivité de notre pays et ses territoires.
- La réforme fiscale prônant la simplification, l’équité et la meilleure répartition.
- La rationalisation du portefeuille public et la valorisation des actifs publics, la réorientation des politiques économiques vers les secteurs primaires, et l’institution de la filière alimentaire comme des priorités absolues.
- La lutte contre les disparités en termes de disponibilité des services publics en actualisant la politique d’aménagement des territoires et en offrant des infrastructures publiques de qualité.
- La création d’un Haut Conseil de la croissance de l’économie immatérielle au niveau du Chef du Gouvernement pour renforcer l’importance stratégique du capital immatériel.
L’Entreprise
doit elle-même s’adapter aux changements rapides de l’environnement national et international, et des mesures seront à prendre pour actualiser certaines pratiques, notamment :
- Accompagner les entreprises tout au long de leurs vies en simplifiant les procédures administratives, en assurant des formations à l’entrepreneuriat et en offrant un cadre fiscal et social encourageant.
- Explorer de nouveaux modes de financement sans devoir avoir recours à l’endettement ou la levée de fonds via le secteur bancaire.
- Mettre en place une « contribution unique » fiscale et sociale qui encouragerait de nombreux acteurs de l’informel à en sortir.
- Garantir la continuité des entreprises, dans le cadre des transmissions, en soutenant la nouvelle génération de managers et en offrant un régime juridique et fiscal incitatif.
- Repenser la politique foncière en rendant le foncier accessible à tous.
- Accélérer la transformation numérique des acteurs publics et privés pour répondre au besoin de rapidité et de simplification des opérations.
Pour finir, une rupture doit aussi se faire au niveau des instances de gouvernance, de régulation et de contrôle et pourra se déployer suivant 6 axes :
1er axe : La transparence quant à l’information patrimoniale de l’État et ses projets associés.
2ème axe : La normalisation de tous les systèmes publics de production de l’information, en réactivant le Conseil National de la Comptabilité, suivant des plans comptables sectoriels.
3ème axe : Instauration d’une entité publique en charge de la comptabilité publique.
4ème axe : Le renforcement de la crédibilité de cette information financière et extra-financière, en la soumettant aux audits appropriés par la Cour des Comptes.
5ème axe : L’organisation constitutionnelle de la reddition des comptes au moyen d’une information normalisée, pour évaluer l’amélioration des performances des politiques publiques suivies, au regard des indicateurs prévisionnelles préalablement fixés.
6ème axe : L’amélioration de la structure de la Profession du Commissariat aux Comptes pour mieux répondre aux défis des nouveaux Business Models et modèles de gestion publique, et garantir par sa robustesse la réussite pratique de tout modèle de développement.
Le gouvernement et les entreprises s’engagent à la relance économique. Quelles sont vos propositions pour une reprise économique ?
La reprise économique ne peut être effective que si nous gardons au cœur de nos préoccupations trois principes de base : la Confiance, la Transparence et l’Inclusion au bénéfice du Citoyen marocain. La crise sanitaire que nous avons traversé a touché tous les secteurs et à la fois l’offre et la demande. Elle a révélé certaines réalités. Notamment, notre dépendance des importations à plusieurs niveaux, ce qui a souligné la fragilité du tissu industriel marocain et exige de créer et promouvoir le « Made in Morocco ». Également, les difficultés des pouvoirs publics pour mettre en place des politiques d’anticipation et de gestion des crises à l’heure de la mondialisation et de la spécialisation des économies, et ce malgré la réactivité dont a fait preuve notre gouvernement et les efforts déployés pour atténuer les effets de la crise sanitaire. Et Enfin, le caractère stratégique du numérique mettant en lumière la faible numérisation de l’économie marocaine.
Cette crise peut être vue comme une aubaine pour redonner du poids au Maroc dans la mondialisation, en termes de politique industrielle plus ambitieuse et de politique commerciale offensive, d’autonomie numérique, d’harmonisation fiscale et sociale, …. L’occasion aussi d’améliorer la compétitivité des entreprises marocaines, diversifier les chaînes d’approvisionnement, favoriser les productions critiques et intensifier les projets d’intérêt commun, ainsi que faire de la transition énergétique et environnementale un levier prioritaire de la reprise.
Pour relancer la croissance, il y a des chantiers prioritaires par lesquels nous devons démarrer. A titre d’exemples, il faudrait intensifier le soutien à l’insertion des jeunes sur le marché du travail, réinjecter l’épargne dans le circuit économique en multipliant les incitations à la consommation en faveur des secteurs en difficulté (tourisme, restauration, bâtiment…), alléger les charges et renforcer les fonds propres des entreprises pour relancer leur compétitivité, et positionner l’économie sur les marchés de croissance future.
Récemment l’UA a lancé la mise en œuvre de la ZLECAF. Quel rôle doit jouer le Maroc dans ce système économique ?
L’attachement du Maroc au développement socio-économique de l’Afrique est indéniable. D’ailleurs, l’Afrique concentre 2/3 des IDE du Maroc avec un investissement de plus de 3 milliards de dollars sur le continent en plus d’une décennie sur des projets d’envergure intra-africains, engageant le Royaume dans une politique de coopération volontariste, orientée vers la responsabilité partagée et la solidarité.
La mise en œuvre de la ZLECAF permettra au Maroc d’envisager des partenariats mutuellement avantageux avec les pays membres et de mieux saisir les opportunités que chacun a à offrir. Ainsi le Maroc pourra renforcer sa présence non seulement en Afrique de l’Ouest, mais aussi en Afrique de l’Est et en Afrique australe où il est peu ou pas présent à ce jour. Il pourra davantage exploiter son potentiel industriel pour renforcer les exportations vers les pays membres et combler les déficits existants.
L’expérience du Maroc en termes de développement économique, de consolidation de la solidarité, de partage de savoir-faire et d’amélioration du bien-être des populations sera mise à contribution et confortera la stratégie national en matière d’intégration régionale. La ZLECAF est, de ce fait, le moyen idéal de placer la politique économique africaine du Maroc dans une dimension continentale et globale.
Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue