(Billet 474) – Soft power, dites-vous ? Oui, mais alors très soft…

(Billet 474) – Soft power, dites-vous ? Oui, mais alors très soft…

A une époque où tout le monde parle de tout le monde, où les uns scrutent les autres et où la pandémie et les risques sanitaires augmentent et se compliquent, le soft power n’est pas un luxe. Et il l’est d’autant moins pour les nations qui ne disposent pas de hard power… Or, le Maroc n’est tout simplement pas connu, ni cité, ou alors très peu, occasionnellement, parfois complaisamment…  Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire accroire.

Dans notre monde actuel, globalisé, il est de bon ton de se faire connaître des autres, pour l’influence, pour l’économie, pour le tourisme, pour les investisseurs et autres gens d’argent, et objectif ultime, pour le bien-être national… Il existe des méthodes pour cela, et si la compétition est rude, les moyens sont aussi plus importants. Culture, gastronomie, communication, diplomatie publique ou d’influence… pour influencer les autres et porter leur attention sur nous. Le Maroc déploie donc une politique de soft power, et en parallèle une forme de méthode Coué pour s’en convaincre car notre rayonnement international est plutôt morne et tiède !

Et pourtant, nous avons une grande histoire à faire connaître, à travers une industrie du film qui soit véritablement créative, voire offensive. Scrutons donc les Turcs avec leur grande série sur Soliman 1er, intitulée le Siècle Magnifique, qui a tant contribué au soft power turc. Le Maroc dispose pour sa part de réalisateurs de renom et de renommée, peut-être pas nombreux, mais au talent reconnu. L’Etat doit pouvoir travailler avec eux pour créer quelque chose de beau, de bon, qui rayonne et qui éblouit, et qui nous ferait monter de quelques étages dans l’édifice planétaire. Et pour cela, il ne suffit guère de tousser un ou deux concepts, mais d’en être véritablement convaincu, pour convaincre…

… sauf que pour convaincre, il faut préalablement vaincre les vieux réflexes, consistant à se suffire du peu d’efforts entrepris et les présenter comme les considérables avancées qu’elles ne sont pas. Et l’Etat a, donc, encore une fois, un rôle à jouer… d’abord en cessant de nous présenter comme « « le pays des grandes réalisations » et de s’en suffire, et ensuite en activant tous les leviers – et le Maroc en dispose – pour assurer la promotion de...

ce que nous sommes et lancer des idées qui infusent.

En effet, à force d’user et d’abuser du terme « historique », on en finit par oublier la vraie histoire, la nôtre, celle des grandes épopées, des grandes batailles, des grands rois, des grandes conquêtes andalouse et africaines, dans des films à grand spectacle que les Marocains sont capables de réaliser et, au besoin, avec le concours d’expertises importées pour l’occasion.  Ainsi, de la traversée du Détroit par Tariq Bnou Ziad à la lutte pour l’indépendance, en passant par les batailles des Trois Rois ou celle d’Anoual (100 ans en juillet), des règnes de Mansour Eddahbi ou de Moulay Ismaël (que l’on pourrait tourner en partie à Versailles…), le Maroc a bien des atouts…

A quoi cela servira-t-il ? A renforcer notre soft power, en atteignant les peuples, et pas uniquement les gouvernements ou les Etats, ainsi que nous le faisons aujourd’hui, plus ou moins utilement… puisque, soyons réalistes, nous voyons bien le traitement réservé au Maroc et aux Marocains dans les médias étrangers et dans les inconscients collectifs en Europe ou même en Afrique. Quant aux Américains, hormis « Casablanca » avec Humphrey Bogart (encore le cinéma), ils ne connaissent rien du Maroc, et l’image du couple Clinton manger à la main dans un patelin local est bien sympathique mais n’y changera rien.

Nous n’avons pas les moyens des petits Emirats Arabes Unis ou de l’encore plus petit Qatar pour nous offrir de grandes équipes de foot ou de grandes chaînes télé, mais nous avons une richesse immatérielle qu’il n’appartient qu’à nous de fructifier, de promouvoir, de faire connaître.  La politique des festivals a fait le job, avec ces centaines de milliers de touristes qui affluent à Fès y contempler les concerts de musique sacrée, ou d’autres qui se ruent sur Essaouira et y découvrent les Gnaouas, et bien d’autres encore…

Mais c’est avec le cinéma que le rayonnement du pays sera assuré. La politique, ce n’est pas seulement la lutte contre le chômage, la recherche des grands équilibres et l’attente recueillie de la pluie… La politique, c’est aussi de faire connaître le pays, son histoire, ses mémoires et gloires passées, pour son succès et son rayonnement futurs.

Qui pour faire le job, chez nos gouvernants ?

Aziz Boucetta