[Entretien]« la sortie de crise n’est pas seulement économique », Faiçal El Hossaini (UM6P)
Le Maroc représentait 9% de tous les cas confirmés de coronavirus au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA) en novembre 2020. Ce qui avait commencé comme une urgence médicale bien gérée entre mars et mai 2020 s'est rapidement transformé en une situation inquiétante et incontrôlée. Face à cette situation le Maroc a lancé plusieurs stratégies visant à faire sorti le royaume des crises, car « la sortie de crise n’est pas seulement une question économique, mais aussi sanitaire. »
Dans le projet de loi de finances 2021, le gouvernement s’engage à injecter un montant de 120 milliards de dirhams dont l’origine des 30 milliards reste à déterminer.
Comme solution, Faiçal El Hossaini, enseignant-chercheur, Faculté de Gouvernance Sciences Economiques et Sociales (FGSES) de l’université Mohammed VI polytechnique craint fort que « le gouvernement n’aura probablement pas d’autres choix que de s’endetter davantage, dans un contexte d’assèchement des recettes fiscales. »
A propos du stock de réserves de change, Faiçal El Hossaini estime que ce dernier « demeure à un niveau relativement confortable. » Entretien.
Panorapost. Le Maroc a fait plusieurs levées de fonds à l'international pour atténuer l'impact de la Covid-19. Est-ce que cette stratégie peut suffire à atténuer les conséquences. Le surendettement ne risque-t-il pas de prolonger davantage la crise économique ?
Faiçal El Hossaini. Concernant la première partie de votre question, je peux dire que l’atténuation de l’impact des effets de la Covid-19 dépendra de la conjugaison de plusieurs facteurs, et pas seulement de la capacité du Maroc à se financer sur le marché international. Comme vous le savez, depuis le déclenchement de cette crise sanitaire, le Maroc a fait preuve d’une réactivité salutaire et appréciée, en mettant en œuvre des politiques économiques qui ont réussi à limiter les dégâts. Les levées de fonds à l’international, pour leur part, ont été réalisées selon des termes avantageux, comme en témoigne la dernière émission réalisée le 8 décembre 2020 d’un montant de 3 milliards de dollars (Interview réalisée le 17 décembre, ndlr). Ces levées auront certainement un impact positif sur les finances publiques, le niveau des réserves de change ainsi que sur la liquidité du marché monétaire. Concernant la question du surendettement public, il faut rappeler qu’elle ne concerne pas uniquement le Maroc, mais l’ensemble des pays impactés par le choc sanitaire. On s’entend bien évidemment sur le fait qu’un niveau d’endettement (public) critique pourrait faire reculer l’investissement privé (i.e. effet d’éviction classique), réduire l’espace budgétaire, et empêcher le gouvernement de poursuivre ses réformes. Or, la sortie de crise n’est pas seulement une question économique, mais aussi sanitaire. Dans ce contexte, le déclenchement prévisible de la campagne de vaccination au Maroc et dans les pays partenaires sera de bon augure pour la reprise de l’économie marocaine. Cette dernière se fera graduellement à un rythme déterminé par la résolution de la pandémie, à travers une vaccination généralisée, qui permet d’agir favorablement sur l’offre de travail et la productivité des facteurs, ainsi que par la normalisation des conditions mondiales, en particulier chez nos principaux pays partenaires.
La crise a accentué les inégalités au niveau des régions, mais aussi chez les différents corps de métiers. Y-a-t-il véritablement une mauvaise répartition des richesses du pays ? Quelle stratégie pour diminuer ces inégalités ?
Effectivement, l’impact régional du choc sanitaire n’est pas uniforme et indique une concentration des pertes dans les régions contribuant le plus à la valeur ajoutée nationale, notamment Casablanca-Settat, Tanger-Tétouan-Al-Hoceima et Marrakech-Safi. A l’échelle sectorielle, ce sont les hôtels et restaurants, textile et cuir, industrie métallurgique et bâtiment et travaux publics les plus exposés aux pertes économiques. Par ailleurs, et selon une autre étude réalisée par le Haut-Commissariat au Plan, la Covid-19 a également altéré la distribution des revenus par profession. Ainsi, la baisse des revenus a concerné 86% d’artisans et d’ouvriers qualifiés, 84% de commerçants, 77% d’exploitants agricoles et 26% de cadres supérieurs. De plus, la baisse des revenus a affecté également 88% d’indépendants ou employeurs et 51% de salariés.
La question de la répartition des richesses du pays est d’une importance capitale et permet de comprendre les déterminants du creusement des inégalités, ainsi que leurs persistances dans le
temps. Il est vrai que le Maroc a fait des progrès dans le domaine de la lutte contre la pauvreté, mais différentes formes d’inégalités continuent à peser lourdement sur la cohésion sociale. Quelques actions pourraient contribuer à réduire les inégalités, dont notamment la promotion de la bonne gouvernance, une politique fiscale plus équitable et progressive et l’élaboration d’une politique de rémunération à l’échelle nationale (i.e. indexée sur la productivité et l’inflation). La dotation de l’ensemble des régions des ressources nécessaires (i.e. humaines et matérielles) s’avère primordiale pour agir à l’échelle territoriale sur les racines de cette problématique. Pour ce faire, une politique publique ambitieuse et réfléchie s’impose désormais visant essentiellement à relancer l’ascenseur social et recentrer le cœur de notre modèle de développement autour du capital humain, afin de permettre à tout citoyen de tirer pleinement profit des avancées économiques et sociales de notre pays.
La loi de finances 2021 pourrait-elle sauver les équilibres macroéconomiques dans un contexte d'endettement presque chronique ?
Il faut dire qu’en raison de la crise sanitaire, les équilibres macroéconomiques ont été fortement chamboulés, en particulier le déficit budgétaire et la dette publique. A mon sens, il faut compter quelques années de sacrifice avant de voir résorber certains déséquilibres et retrouver les sentiers d’avant crise. Concernant la loi de finances 2021, cette dernière a été élaborée dans un contexte très difficile marqué par une forte incertitude, aussi bien en interne qu’en externe, rendant tout exercice de prévision difficile à réaliser. A la lecture de cette loi, on s’aperçoit que le gouvernement s’engage à réaliser un plan de relance dont l’objectif est, d’une part, de soutenir l’activité des différents secteurs en berne et, d’autre part, de créer un environnement économique et social approprié pour une sortie de crise rapide et sereine. Il me semble que le programme de relance est ambitieux, mais que les moyens ne sont pas à sa mesure. Prenons un exemple simple. Selon la loi de finances 2021, le gouvernement s’engage à injecter un montant de 120 milliards de dirhams dans l’économie nationale, dont 75 milliards de dirhams sous forme de prêts garantis par l’Etat pour les entreprises. La différence, soit la somme de 45 milliards de dirhams, sera fournie par le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement. Ce dernier a été créé, rappelons-le, en application des instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, lors du discours du Trône (i.e. 29 juillet 2020), afin d’amortir les répercussions de la pandémie et d’accompagner la relance de l’activité. Sachant que seul le montant de 15 milliards de dirhams a été alloué à ce Fonds, le gouvernement ne dit pas grande chose sur les 30 milliards qui restent à fournir. Personnellement, je crains fort que le gouvernement n’aura probablement pas d’autres choix que de s’endetter davantage, dans un contexte d’assèchement des recettes fiscales. On voit bien que le redressement de l’équilibre budgétaire est une affaire complexe qui présente beaucoup d’enjeux et de défis.
Le stock de réserves de change présente-t-il un facteur de risque pour la stabilité macroéconomique?
Selon les chiffres officiels de Bank Al Maghrib (11 décembre 2020), les avoirs officiels de réserves avoisinent les 290 milliards de dirhams. L’institut d’émission prévoit également un niveau de réserves de près de 320 milliards à fin 2020 et un montant proche de celui-ci au cours des deux années à venir, avec une couverture à plus de 7 mois d’importations de biens et services. Au vu de ces évolutions, on peut considérer que le stock de réserves de change demeurera à un niveau relativement confortable. Ainsi, le fait que le niveau de réserves présente un facteur de risque pour la stabilité macroéconomique ne me semble pas envisageable pour les deux raisons suivantes. Premièrement, le compte capital, relativement fermé pour les résidents, fait immuniser l’économie marocaine contre toute attaque spéculative contre le dirham. Deuxièmement, il y a l’engagement du Maroc dans la deuxième phase de flexibilisation du Dirham. En effet, l’élargissement des bandes de fluctuation, bien qu’il reste étroit, devrait conférer plus de pouvoir aux règles de l’offre et la demande pour circonscrire, dans la mesure du possible, la demande de devises, si les conditions l’exigent.
Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue