(Billet 453) – Bravo, Majesté !

(Billet 453) – Bravo, Majesté !

Pourquoi se priver d’être heureux quand on le peut, si on le veut, et pourquoi se priver de complimenter celui qui est à la manœuvre quand le job accompli est robuste ? Et le job, c’est tour à tour, en un mois, avec audace et sang-froid, l’engagement de l’armée aux frontières Sud, la décision de vacciner 20 millions de personnes en un temps court, et le deal du siècle, avec Donald Trump.

Un chef d’Etat ne peut réussir son challenge sans prise de risque, surtout quand le mandat est long, ce qui est le cas quand ledit mandat est un règne. On peut être pacifiste, prudent, fin politique, ce qu’on veut… mais il y a des moments où la prise de risque est inévitable. Et quand ces risques sont pris en moins d’un mois, il faut s’en féliciter, encourager et soutenir au lieu d’enrager et démolir.

1/ L’opération de Guergarate. Cela ne pouvait plus continuer ainsi… Le Polisario bloquait la frontière sud du Maroc, l’Algérie ne disait rien ou bien n’importe quoi, et la « communauté internationale » représentée par l’ONU regardait ailleurs. Laisser faire revenait à entériner cette position du Polisario et surtout montrer une faiblesse qui aurait pu encourager les séparatistes à aller plus loin, compliquant encore plus une situation qui commençait à l’être significativement. Le Maroc a averti (discours de la Marche Verte), l’ONU n’a rien fait, le Polisario s’incrustait. Il fallait donc le déloger par une action militaire. Cela a été fait. La « communauté internationale » comprend ce langage… et semble même ne comprendre que cela.

2/ La vaccination. Prendre la décision d’administrer un vaccin à une population au 21ème siècle, à l’heure des réseaux et à l’ère des doutes, est une gageure. Peu de chefs d’Etat ont eu le courage de le faire. Au Maroc, la parole du roi est incontournable, dit-on, et jadis, on disait même que la parole du roi faisait loi… Peut-être, mais cela, c’était avant, et n’impliquait pas de se faire inoculer une médecine non encore éprouvée, même si les scientifiques la disent sans danger. Mohammed VI a pris la décision de collaborer avec le Chinois Sinopharm, de tester un échantillon local, d’acheter une vingtaine de millions de doses (prix public, 137 $, prix d’achat par le Maroc aux alentours de 600 DH), de mobiliser la logistique nationale, et de vacciner. Gratuitement.

3/ Un don du ciel transformé en deal du siècle. Subir la pression de Donald Trump et de son gendre Jared Kushner n’est certainement pas une activité paisible… et...

c’est ce qu’a fait le Maroc, et pour tout dire le roi, deux années durant. On ne peut pas dire que les deux chefs d’Etat sont amis, Donald Trump n’ayant pas donné suite à une demande de rencontre en avril 2017 (épisode brièvement rappelé dans le communiqué royal de la semaine dernière), et le même Trump ayant lui-même pris la tête de l’offensive contre la candidature du Maroc pour le Mondial 2026.

Dans cet accord triangulaire Maroc-Etats-Unis-Israël, le roi a bien manœuvré, semblant dire à des Marocains sceptiques et des Arabes irascibles que « yes, we can » allier la défense des intérêts nationaux prioritaires à celle des positions palestiniennes essentielles. Dans un monde où désormais tout le monde se parle instantanément, sans frontières ni barrières linguistiques, la politique de la chaise vide et du bannissement n’est plus porteuse. 70 ans d’ostracisme de l’Etat juif ayant plus fait de mal que de bien à la cause palestinienne, il était temps de changer de politique, pour voir…

Ce qu’il faut savoir et admettre est que Mohammed VI est depuis longtemps sorti de ces approches idéologiques de « rejeter les Juifs à la mer » et du déni de l’existence d’Israël, ne serait-ce que parce que la culture marocaine est en partie hébraïque, et que son histoire aussi. En outre, là où les autres restent dans des postures certes respectables mais surannées, le Maroc se projette vers le futur. Il en est aujourd’hui à l’énergie verte, aux nouvelles technologies, aux énergies propres et renouvelables, à la coopération sud-sud résolue avec l’Afrique, à l’élargissement de ses relations politiques et diplomatiques et à la redéfinition d’une autre géopolitique dans sa politique internationale. Et être allié à Israël est un atout non négligeable.

Cela étant, et libre à chacun de ne pas le croire, la défense des Palestiniens reste une priorité pour Rabat, et cela a été régulièrement dit et répété, actions à l’appui (la dernière d’envergure étant la signature avec le Pape en mars 2019 de l’Appel d’al-Qods/Jérusalem) et argent à la clé (Bayt mal al-Qods).

Et donc, en attendant le modèle de développement, qui devrait être (avec sa sérieuse mise en œuvre) le quatrième succès royal en cette fin d’année 2020, le chef de l’Etat marocain a enregistré trois grands succès. Il est simplement dommage que ces efforts, cette audace et les risques pris ne soient pas relayés par la classe politique dans l’intégrité morale (et parfois matérielle) et par la haute technostructure dans l’intégrité matérielle (et souvent morale).

Dans l’attente, bravo, Majesté !

Aziz Boucetta