Entretien/PCNS: Etats-Unis, les leçons d'une fin de mandat peu ordinaire
Questions/Réponses à Dominique Bocquet, Expert Fellow au Policy Center For The New South et ancien Ministre Conseiller Financier à la Délégation française auprès de l'OCDE.
Dominique Bocquet est diplômé de Sciences-Po, diplômé d'histoire et ancien élève de l' ENA . Il est membre du comité de rédaction de la revue française Commentaire et chevalier de la Légion d'honneur. Il enseigne à Sciences Po et à l'ENA et est actif dans plusieurs think tanks européens.
Il est l'auteur de plusieurs ouvrages et reportages, dont " Génération Europe " (Editions François Bourin, 1989), en collaboration avec Philippe Delleur; «La France et l'Allemagne, un couple à court d'idées» ( Notes de la Fondation Saint-Simon, 1996 ); Quelle efficacité économique pour Lomé? " (Rapport pour le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, juin 1998)" L' introduction du FED dans le budget de l'UE, un pas en avant dans la modernisation de l'aide "(Rapport du ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, juillet 2003). Il a également publié un livre sur l'OCDE, Reasoned Globalization, The Discreet Revolutions of OECD (La Documentation française, Paris, 2012).
La démocratie américaine sortira-t-elle indemne des manœuvres de Donald Trump refusant d’admettre sa défaite suite aux élections du 3 novembre 2020 ?
Pour reprendre une formulation très juste de Uri Dadush, ces manœuvres ont pour effet de « diminuer la confiance des partisans de Donald Trump dans les institutions américaines ». La démocratie suppose la confiance en la valeur du débat et en la capacité des institutions à produire les bonnes décisions. Le premier dommage est l’affaiblissement de la notion de vérité à travers des accusations de fraude sans preuves, martelées au plus haut niveau.
Le second trouble est la « victimisation » des fidèles de Trump à qui l’on présente la démocratie comme biaisée pour éviter qu’ils ne se posent des questions.
La combinaison des deux conduit à un auto-enfermement : une posture de victime construite à coups de faits fabriqués. Reste à savoir quelle proportion de l’électorat républicain sera prise dans cette logique. Si une partie de cet électorat la refuse, le prix sera un affaiblissement du parti.
Quels pourraient être les impacts de la politique de la ‘’terre brûlée’’ suivie par le président perdant depuis l’annonce des résultats des élections ?
Après trois semaines d’attente, Joe Biden
a enfin pu obtenir les moyens de la transition. Reste un autre aspect de la terre brûlée : les décisions prises par Trump en fin de mandat en vue de créer des faits accomplis. Là aussi, ce qui est en cause est une composante informelle de la démocratie. Cette pratique n’est pas illégale en soi (le président sortant détient la plénitude de ses pouvoirs constitutionnels jusqu’au 20 janvier). Mais elle contredit un usage inspiré par l’esprit démocratique : respecter l’échéance électorale et ne pas préjuger des orientations du nouvel élu.
Là aussi, il faut décoder. Le mobile est le même : fidéliser à tout prix un noyau dur d’électeurs. Ce noyau recrute parmi les évangélistes, environ 25% de la population américaine. Trump (dont la foi religieuse n’a jamais été la caractéristique principale… !) cherche à s’attacher la gratitude des évangélistes en leur donnant satisfaction sur deux thèmes cruciaux de leur agenda. L’un est l’hostilité à la liberté de l’avortement, qui a conduit à la nomination à la Cour suprême de la juge Amy Coney Barrett. L’autre est le soutien inconditionnel à Israël. Lors de sa « tournée d’adieux, le Secrétaire d’Etat Mike Pompeo (évangéliste lui-même) s’est ostensiblement rendu dans une colonie israélienne en Cisjordanie, ce qu’aucun responsable américain de haut niveau n’avait fait jusque-là. Notons que cette attitude n’est pas celle de la communauté juive des Etats-Unis. Dans sa majorité, elle s’inquiète des excès de Benyamin Netanyahou et vote démocrate.
La Constitution américaine prévoit-elle des garde-fous pour faire face à de telles dérives ?
Oui, elle est même conçue en grande partie à cette fin. C’est la cause profonde de l’échec de Trump : ses foucades ont régulièrement buté sur des obstacles et, fort heureusement, il n’avait pas la possibilité d’imposer une vraie dictature. Le premier garde-fou est la séparation des pouvoirs : la justice a ainsi rejeté la plupart des requêtes introduites par les équipes Trump contre les résultats électoraux. Le fédéralisme est un second garde-fou : les grands électeurs appelés à élire officiellement le président des Etats-Unis le 14 décembre sont choisis au niveau des Etats. Lorsque Biden l’a emporté dans des Etats dirigés par des Républicains, ces derniers ont joué le jeu, notamment parce qu’ils n’étaient pas soumis aux ordres du pouvoir fédéral.
Source PCNS