(Billet 439) – Les cliniques au bord du seuil critique

(Billet 439) – Les cliniques au bord du seuil critique

La question sanitaire et médicale revient de loin en loin au Maroc, sur l’effectif, les moyens, les privés, le secteur public, les attentes et les délais d’attente, sans oublier le fisc. Aujourd’hui, Covid-19 aidant, les discussions se font de plus en plus pressantes, voire passionnées. Au début, comme partout, ici compris, tout allait bien, et après, depuis quelques semaines, des couacs regrettables sont signalés ici et là.

Au commencement, il y avait l’incurie de l’Etat, incapable d’assurer un service public sanitaire qui serait digne de la dignité des Marocains. Cela, on le sait… hôpitaux en souffrance, moyens techniques en carence, négligences, indifférence, mauvaise gouvernance… Puis, le libéralisme aidant, les groupes de lobbies militants ont fait le reste. Les cliniques ont ouvert un peu partout, pratiquant pour un grand nombre d’entre elles la médecine, et aussi une certaine idée de la déontologie, oscillant entre leur serment d’Hippocrate et de regrettables pratiques technocrates.

Advient alors la crise sanitaire, et tout le monde monte sur le pont, médecins privés aussi, voire surtout. Il ne faut pas renier cela, ni dénier aux praticiens leur engagement professionnel, humaniste même. Les privés aidaient le public, mettaient à sa disposition lits et appareils, en plus des personnels. Puis, avec le relâchement estival et les approximations gouvernementales, le virus revint, et l’âpreté au gain aussi !

Face à l’encombrement des hôpitaux publics, les cliniques ont grandement ouvert leurs portes aux malades Covid… mais les informations ont commencé à surgir sur les pratiques, confirmées avec le temps.  60.000 DH sont souvent réclamés aux entrants, en chèques de garantie, avant les soins et les factures « soignées ». Mais ceci est une pratique ancienne, qui est aujourd’hui reconduite avec la crise sanitaire que connaît le pays… quand on chasse le naturel, c’est bien connu, il revient au galop. Alors imaginons le cas où ce naturel n’a presque jamais été chassé …

Rien n’y fait, malgré le décès du juge Mejdoubi qui, pris d’un malaise cardiaque à Avicenne en novembre 1999, s’était entendu réclamer un chèque de garantie avant prise en charge. Il mourut. Passons sur le procès et les peines en sursis qui y avaient été prononcées. 21 ans après, on est toujours sur le chèque de garantie, et tous les ministres qui se sont succédés depuis, quand il leur arrivait de se prononcer sur...

cette pratique interdite et relevant du droit pénal, répétaient à l’unisson que « le chèque de garantie est interdit », avant de passer à autre chose.

Avec la crise sanitaire, les nerfs sont tendus, les gens énervés, les malades en détresse respiratoire, l’Etat hagard et craignant de se laisser submerger, et les médecins des cliniques privées, sollicités par l’Etat, redoutent la faillite. Car, en effet, il faut le reconnaître, la prise en charge d’un patient Covid en milieu médical privé coûte cher, nécessite du matériel dédié et une organisation particulière, bouscule le fonctionnement normal de ces cliniques… Les médecins ont raison de se protéger et de se prémunir, sachant que le ministère de la Santé ne saurait, ni ne pourrait, les aider en cas de banqueroute.

Le problème est dans l’état d’esprit des médecins, qui pour beaucoup d’entre eux se montrent arrogants, s’accrochant à une forme d’impunité (essentiellement sur le plan fiscal) qui est la leur depuis longtemps, ou pour le moins aussi indélicats que maladroits. Dire, comme le Pr Radouane Semlali, président de l’association des cliniques privées, qu’ « on ne peut régler la misère du pays » car cela appartient à l’Etat, est certainement juste dans le fond, mais la forme est effroyable.  Et profiter du désarroi des malades et de leurs familles et de la fébrilité chaotique du ministère pour surfacturer est inexcusable, et condamnable, pour ceux qui font cela.

Quelle a été la réaction du ministère de la Santé ? Il a mis hier en place une structure de surveillance et de contrôle des pratiques des cliniques privées. Osons espérer que cet organe fasse vraiment le job, de sorte que les patients reçoivent les soins, sans se ruiner, et que les cliniques gagnent de l’argent, sans se ruiner non plus.

Et comme les indélicats et les véreux existent, comme partout, si cette structure de contrôle ne surprend aucun dérapage, ne démasque aucun chantage au chèque, c’est que, en toute simplicité, elle n’aura pas fait son travail.

Comme pour la promotion immobilière, comme pour l’enseignement privé, et comme pour la médecine privée (en clinique ou en cabinet), l’Etat doit reprendre la main, instaurer une morale et, à défaut, appliquer la loi et rien que la loi, dans toute sa fermeté et en toute rigueur. La moralisation de la vie privée, cela existe aussi !

Aziz Boucetta