École de demain, ce qui devrait être changé !, par Taoufiq Kouddane
La pandémie Covid-19 a fait ressortir l’importance de l’éducation comme valeur individuelle et collective dans notre société. Elle a aussi renvoyé des marocains à leur propre image de personnes inconscientes et irresponsables... Elle a enfin révélé le manque d’imagination et de vision des acteurs de l’éducation qui, en pareille situation de difficultés et d’incertitude, devraient normalement se présenter comme une force de propositions.
Cet état de fait devrait nous amener à nous armer de lucidité et de courage pour pouvoir réfléchir sur l’école de demain, son organisation, son mode de gestion...et sur ce point qui fâche : Comment la financer d’autant que la conjoncture que traverse notre pays est difficile et que ses ressources sont limitées ?
Notre pays qui a misé, depuis son indépendance, sur l’école et la société civile pour changer la société, s’est trouvé avec un faible pourcentage d’élèves scolarisés qui poursuivent leurs études jusqu’au bac et peu d’élèves de ceux qui y arrivent à le décrocher.
Un gâchis colossal !
Les mentalités n’ayant pas suffisamment évolué, il était difficile d’instaurer des changements et encore plus difficile de les faire durer.
Maintenant que les temps durs sont arrivés, il faudrait que l’état revoie, entre autres, sa politique de natalité en rapport avec la scolarisation de ses enfants. Il n’est plus tolérable, aujourd’hui, qu’on laisse des parents continuer à concevoir la procréation comme un investissement rentable ou comme un droit sans limite. L’argent des contribuables doit profiter équitablement à tout le monde pour l’assurance d’une éducation de qualité garantissant les mêmes chances de réussite pour tous. Pour ce faire, nous proposons :
1. Une scolarité gratuite pour tous les enfants abandonnés et orphelins des deux parents.
2. Une scolarité gratuite pour les deux premiers enfants de la catégorie sociale des démunis.
3. Une scolarité gratuite pour le premier enfant de la catégorie sociale moyenne
4. Une scolarité payante pour tous les enfants de la catégorie sociale riche.
Peut-être irions-nous à contre-courant du discours populairement admis mais le train de natalité ne doit en aucun cas ralentir ou freiner la vitesse de croisière du développement du pays. L’état n’est pas une maison de bienfaisance et encore moins une maison magique remédiant à la misère des bras cassés qui se complaisent dans le plaisir en restant sur le bas-côté de la route du développement…Le marocain doit apprendre à se prendre en main en tant que personne et en tant que responsable d’une famille pour devenir, à l’instar de ce qui existe ailleurs, un capital immatériel actif. Si cette dynamique se généralise, elle impactera positivement tous les marocains et les générations à venir et amortira inexorablement le choc de la crise qui est déjà à nos portes.
Un parent qui paie pour la scolarité de son enfant veut en avoir pour son argent. Un parent qui paie pour une éducation de qualité suit de près l’évolution de la scolarité de sa progéniture, s’implique dans les activités organisées au sein de l’établissement et y instaure, par ricochet, la démocratie participative et le principe de reddition des comptes. Ainsi, les parents deviendraient-ils responsables, acteurs/partenaires, susceptibles de partager leur vision et leurs valeurs avec leur entourage.
Cette responsabilisation des parents devrait s’accompagner de changement des rails de la direction des établissements scolaires, à savoir le recrutement des directeurs, l’organisation et le mode de gestion. Le mode de gestion des établissements mis en vigueur est mécanique, routinier, encroûté par une une mentalité réfractaire au changement et à l’innovation. Pire encore encore nous sommes en train de le transmettre aux futurs cadres de l’administration pédagogique. La coopération, le travail d’équipe… qui sont à l’air du temps ne semblent pas être du goût des concepteurs du programme de leur formation.
Dans un concept d’amélioration de la gestion du personnel enseignant et de démocratisation des établissements scolaires, le directeur tout comme l’inspecteur devraient être recrutés plus pour ce qu’ils sont que pour ce qu’ils savent. La capacité de fédérer, l’intelligence de savoir écouter, l’humilité de se remettre en question et de reconnaître ses erreurs, la lucidité, l’ouverture d’esprit et l’honnêteté intellectuelle ne se mesurent pas au statut ou au titre du fonctionnaire. Cette hiérarchie suffocante de la fonction en toute chose est aberrante. L’obéissance n’est pas une valeur ; la bienveillance sans complaisance en est une. Cette photo de jeunes filles, entassées comme des sardines, n’aurait pas défrayée la chronique si l’enseignant(e) avait su/pu dire « NON ». Par conséquent, une direction collégiale est plus que jamais nécessaire pour plus d’efficacité, de justice et d’harmonisation des conceptions. Une vision commune devrait forcément se dégager de cette collégialité ; vision qui donnerait forme, par la suite, à une identité de l’établissement. La société civile et toute autre compétence pourraient venir en appoint.
Quant au personnel enseignant, il ne serait que justice faite d’arrêter ce prof bashing et de corriger cette idée selon laquelle les différentes réformes s’étaient arrêtées aux portes des classes, comme on le faisait croire. Rien n’est plus faux !
Seule la paperasse y est entrée. L’esprit n’a jamais dépassé le portail des établissements scolaires tellement le climat n’y est pas propice au travail. La tension et l’incompréhension seraient grandes, dans la majorité des établissements scolaires à cause de cette administration génératrice de conflits ou de la relation difficile qu’entretiennent des inspecteurs avec des enseignants. C’est le pot de fer contre le pot de terre.
Les enseignants ne fuient pas le travail mais fuient un climat de travail dégradé, des injustices, des humiliations…Le travail n’est pas valorisé et un enseignant qui ne se sent pas utile pour son pays, pour les enfants dont il a la charge finit par ne penser qu’à lui-même et par travailler pour d’autres afin d’assurer durablement sa sécurité et son gagne-pain.
Ce sentiment d’inutilité et d’insécurité n’est pas exclusif aux seuls enseignants. Des membres du personnel administratif en souffrent eux, aussi. Avec des parents biologiques démissionnaires et parfois plus violents que leur progéniture, le personnel enseignant et le corps administratif, ne pouvant y remédier, se rejettent la responsabilité. La répétitivité des agressions
dans le même ou différents établissements ont fini par banaliser la violence… Pendant et depuis, chacun y est allé dans sa propre analyse. La hiérarchie, se rangeant parfois sur la position des élèves et de la direction, avait laissé émerger une génération de voyous. Ce parti pris s’illustre d’une manière flagrante quand on place l’enseignant et l’élève sur le même plan. L’infantilisation humiliante va plus loin lorsque la parole de l’élève l’emporte sur celle de l’enseignant. Autant donner alors à cette institution un autre nom sauf celui de « Education » !... Et comme si cela ne suffisait pas, le ministère, voulant remodeler sa politique éducative a accablé les enseignants d’autres tâches, en dehors du cadre légal (textes officiels de la fonction publique définissant les obligations des enseignants). La gestion par décret est devenue la voie la plus facile et cela ne nécessite que l’adoption du gouvernement.
Avec les inspecteurs, le problème est tout autre. C’est un dialogue souvent difficile avec certains d’entre eux notamment ceux qui prennent les orientations pédagogiques pour la parole révélée. Ce différend surgit avec des inspecteurs rigides qui se sont éloignés pendant un certain temps de la pratique de la classe, avec des inspecteurs du secondaire qui n’avaient pas exercé au collège, avec des inspecteurs fraîchement sortis du CNFIE, avec des inspecteurs qui se cachent derrière l’apparat du poste répétant à souhait cette litanie fréquemment entendue quand ils sont en difficulté à justifier un choix pédagogique ou un changement de manuel imposés par le ministère suite à « une expérimentation validée ?!?! » : « Nous sommes tenus au droit de réserve ; nous représentons l’institution. ». Que de fois des enseignants ont demandé à entrer en contact avec leurs collègues ayant été désignés pour l’expérimentation mais en vain. Cette situation laisse les enseignants dans le flou.
Une gestion collégiale où le directeur aura le rôle de coordinateur serait à même de ramener de l’apaisement, de la sécurité, de la justice, de la collaboration et de la transparence dans la gestion, à l’établissement scolaire. Elle serait à même, aussi, de personnaliser la formation des enseignants de l’établissement en fonction de leurs besoins. Elle serait à même, enfin, de mettre en place un partenariat, d’assouplir le mode de direction en lui insufflant du management… Cet aménagement touchera également le contenu des matières et leur méthode d’enseignement. Dans cette perspective, les enseignants de la même matière pourront travailler en réseau tout en respectant le programme. Ainsi gagneraient-ils en temps, en apprentissage, en motivation et en efficacité sans tomber dans la facilité. Le choix des textes et des activités d’apprendre à réfléchir… devraient permettre aux enfants de s’ouvrir sur le monde et aux enseignants de développer, chez leurs apprenants, les compétences de demain telles la créativité, l’esprit critique…La maîtrise de l’outil informatique, compétence transversale, renforcera, aussi, l’esprit d’équipe et de coopération entre élèves, à mener un projet ensemble, à s’accepter, à apprendre le vivre ensemble et à s’apprécier pour ce qu’ils sont, qu’ils soient du même établissement, même pays ou de différents établissements…
Ceci nous amène aussi à nous interroger sur l’utilité des manuels scolaires conçus et édités sous l’autorité du ministère de l’éducation nationale. Malgré leur diversité, ces manuels, destinés principalement aux élèves, sont ennuyeux à lire et n’ont la prétention ni d’ouvrir les yeux des apprenants sur le monde extérieur ni de les faire réfléchir. Donner son opinion, tout le monde peut le faire mais savoir réfléchir et pouvoir argumenter deviennent un exercice difficile pour les élèves. Les textes proposés à l’étude sont pauvres et leur exploitation ne permet à l’élève ni de s’outiller ni d’enrichir ses idées et son vocabulaire. Ce sont des supports fonctionnels dans leur majorité. Ils n’offrent, non plus, aucun prolongement d’apprentissage en dehors de l’établissement scolaire. Pire encore, c’est la direction provinciale de l’éducation nationale qui impose à chaque région de la ville le manuel à utiliser sans consulter les enseignants. Le caractère purement commercial prend le dessus sur le souci pédagogique.
Les activités parallèles ont, également, contribué à l’impalpable stagnation des esprits des enfants par l’organisation d’activités qui sont l’oeuvre des enseignants chargés des clubs opérant au sein des établissements scolaires. Les enfants viennent pour pérorer ce qu’on leur a dit et adopter la posture qu’on leur a dictée et ce afin d’épater la galerie. Seuls les directeurs en tireraient une certaine fierté espérant, peut-être, recevoir des félicitations et une attestation de mérite des supérieurs hiérarchiques. Prendre des photos est devenu une tradition qui s’est ancrée dans l’imaginaire collectif du corps administratif…. Des activités sur demande et des clubs relancés à l’approche de certaines occasions telles la semaine culturelle de l’établissement, la fête de fin d’année scolaire…Aucune créativité… !
Une direction collégiale saurait donner de la personnalité à l’établissement scolaire, mettre fin à cette théâtralisation éhontée de certains acteurs éducatifs et surtout améliorer la qualité de l’offre éducative en prenant des initiatives telles :
- Création d’un site/blogue (avec forum) destiné à la publication des activités des différentes matières et à l’échange entre élèves/ élèves et élèves/enseignants du même établissement.
- Conception d’un livret réunissant les textes à l’étude durant chaque période et ce pour chaque niveau. Livret conçu par les enseignants du même établissement ou de différents établissements et sous la supervision de l’inspecteur de la circonscription. On gagnerait en argent et en qualité.
- Faire confiance aux élèves et les laisser monter leurs propres projets et en financer quelques-uns.
- ….
Si cette école n’a pas réussi à changer la société, on devrait inverser l’approche pour construire celle de demain. Autrement, il faudrait changer la société pour pouvoir changer l’école.
Il est donc temps de remettre de l’ordre dans notre société et de hiérarchiser les priorités. Une école à direction collégiale peut s’inscrire dans ce mouvement pour peu qu’elle redevienne exigeante comme elle l’était auparavant et que les enseignants retrouvent leur autorité dont ils ont été dépossédés et que la collaboration, la transparence et la reddition des comptes ne restent pas de simples slogans.