[Entretien]: « La Covid-19 et son virus n’ont pas révélé leurs secrets. », Dr El Kettani

[Entretien]: « La Covid-19 et son virus n’ont pas révélé leurs secrets. », Dr El Kettani

« Peut-être qu’on est vraiment dans le début réel de l’épidémie au Maroc ! » s'interroge Dr Said El Kettani. Dans cet entretien accordé à Panorapost, Dr EL Ketanni, interniste libéral, Settat, Maroc ,revient sur la fameuse deuxième vague, la polémique des tests ainsi que les taux de létalité et de contamination.

Sur la question de la communication du ministère jugée « catastrophique » par la majorité des Marocains, Dr El Kettani a souligné la faiblesse de la communication du ministère de la Santé. « Nous n’avons plus la possibilité de connaitre les chiffres cumulés par régions. Depuis plusieurs semaines l’application Wiqatna n’affiche que les chiffres journaliers ! », soutient-il. 

 

Panorapost. Les tests Covid-19 posent-ils un problème de fiabilité ?

Dr Said El Kettani. Tous les tests biologiques ont des indicateurs d’évaluation : sensibilité, spécificité, faux positifs et faux négatifs. Lors de la phase pré analytique (Phase de prélèvement) un prélèvement inapproprié peut expliquer des résultats faussement négatifs (jusqu'à 30% dans certaines séries). Lors de la phase analytique les différences peuvent être importantes entre les différents fabricants (équipements et kits)

Le moment du prélèvement est également à prendre en considération.

Nous disposons de tests qui cherchent l’agent pathogène (en totalité ou certains de ses composants antigéniques = RT-PCR) d’autres cherchent la présence de molécules produites par notre organisme pour le combattre (sérologie : Anticorps IgG et/ou IgM et même IgA)

Le plus important c’est que le biologiste doit acquérir un appareil avec ses réactifs homologués ou certifiés chaque kit comporte la sensibilité et la spécificité.

Un patient peut être atteint du SARS-Cov-2 et avoir un test RT-PCR négatif. Sa charge virale peut être faible, les secrétions nasales ou buccales prélevées étaient en très petites quantité ou ne contenaient pas le virus, le processus de multiplication et de séquençage n’a pas été bien fait, l’appareillage n’était pas d’excellente qualité. Actuellement le protocole national permet de traiter les malades négatifs s’ils présentent d’autres signes notamment une atteinte pulmonaire confirmée par TDM.

Le dialogue entre le médecin prescripteur et le biologiste permet l'interprétation du résultat. En fait nous devons traiter un patient et non un résultat biologique. Le plus important ce n’est pas le résultat en lui-même mais ce qu’on en fait. Un résultat négatif à un moment « t » doit être expliqué au patient : renforcer la protection et multiplier la surveillance sans rentrer dans la psychose et l’hypochondrie.

Quelle lecture faites-vous de la situation épidémiologique du Maroc ?

Au Maroc, le 1er cas a été déclaré le 2 mars et le 1er décès est survenu le 11 mars 2020. Au 01 septembre l’incidence cumulée des nouveaux cas de la COVID-19 pour 100 000 habitants est 172,46.

1.1- Evolution quotidienne des nouveaux cas :

L’évolution quotidienne des nouveaux cas (Figure 1) se fait selon des vagues successives plus ou moins longues et plus ou moins hautes (moyennes mobiles des courbes).

Au Maroc après de discrètes vagues pendant les mois d’avril (pic de 281 cas le 17 avril) et de mai et surtout une vague fin juin (deux pics successifs, de 539 le 19 juin et 563 le 24 juin) à moitié juillet nous avons assisté une vague importante qui a commencé depuis moitié juillet (un pic de 1499 enregistré le 12 août) dont les pics ont parfois dépassé les 2000 par jours. Peut-être qu’on est vraiment dans le début réel de l’épidémie au Maroc !

1.2- Evolution mensuelle des nouveaux cas :

Effectivement il a y eu une ascension importante des chiffres. Au Maroc il y a eu une progression importante entre mars et avril (6,2 fois plus de nouveaux cas) puis les chiffres ont augmenté en juin comparativement au mois de mai. Le mois de juillet a enregistré une augmentation de près de trois fois. Actuellement au Maroc, on ne peut pas parler de deuxième vague étant donné que nous n’avons pas obtenu une accalmie longue de l’épidémie. Nous sommes toujours dans une phase ascendante. (Figure 2).

 Quelles sont les véritables causes de la montée des cas de contamination ?

Il est très difficile de répondre. La réponse facile est d'incriminer le citoyen dans son relâchement à appliquer les gestes barrière. Mais est-ce que les pouvoirs publics, les opérateurs économiques et les prestataires de service lui ont faciliter la tâche ! Mais lorsque nous comparons les évolutions quotidiennes dans plusieurs pays nous constatons une augmentation constante qui souvent a dépassé les chiffres d'avril ou de mai. Pour avoir un aperçu global nous devrions consulter régulièrement « Les pays qui ont aplati leur courbe :lemonde.fr »

La réponse scientifique se base sur le fait que les chiffres reflètent deux déterminants essentiels : les mises à jour des définitions épidémiologiques des cas suspects (qui étaient au Maroc trop restrictives) et le nombre de tests virologiques RT-PCR réalisés. En avril nous avions réalisé une moyenne mensuelle de 1050 tests par jours en juin 16 000 Actuellement en septembre 22 000 tests par jours. Le taux de positivité global est de 4.24% et un taux de positivité quotidien actuel entre 8 et 10 %.

Le Maroc avait fait un effort important en matière de disponibilité des réactifs virologiques et des laboratoires. De deux laboratoires au début de la crise, nous sommes passé à deux laboratoires mobiles et 28 laboratoires fixes répartis sur tout le territoire (Ministère de la Santé, Hôpitaux militaires et à but non lucratif). Cette évolution s’est accompagnée d’une baisse importante du taux de positivité des tests qui est passé de 20% pendant le mois de mars à 1,0% pendant le mois de juin. Donc au Maroc un effort très important a été réalisé concernant les tests (4 fois plus qu'en Tunisie, mais 3 fois moins qu'en Italie ou en France). Nous devons multiplier par deux le nombre de tests pour nous rapprocher de ces 2 pays européens cela fera passer certainement le nombre cumulé des cas COVID-19 de 99 816 (19/sep) à près de 200 000 cas.

Les évolutions quotidienne, hebdomadaire et mensuelle des cas confirmés s’expliquent en partie par la variabilité, le hasard, le changement des définitions et surtout l’accessibilité des tests. A mon avis la définition des cas suspects, était trop restrictive au début. Pour être confirmé, par un test virologique, un patient suspect devait répondre à un ensemble de critères épidémiologiques et cliniques et être validé par l’unité de veille sanitaire locale. Par la suite les tests virologiques ont été pratiqués dans le cadre de la surveillance épidémiologique des cas contacts (au début uniquement pour les cas symptomatiques) et dans certaines unités industrielles ou certaines professions exposées et beaucoup moins chez les malades.

Les autres facteurs déterminants sont représentés par les mesures entreprises précocement avec notamment la fermeture des frontières et donc le tarissement des cas importés puis l’instauration des mesures préventives et la prise en charge des cas avec leur isolement et le suivi des contacts puis leur dépistage virologique dans une dernière étape. Ne pas oublier également l’apparition de multiples foyers plus ou moins grands industriels, familiaux ou dans les milieux fermés tel les prisons.

Au Maroc, il semble que la majorité des nouveaux cas enregistrés depuis juillet (nous n’avons pas de chiffres officiels) soient découverts à la suite du contrôle des contacts ou lors des recherches en milieux professionnels. Je rappelle qu’au début les définitions épidémiologiques étaient trop spécifiques et les tests peu réalisés. Après l’augmentation des laboratoires et le nombre de tests réalisés par jours, la critique s’est faite sur la qualité et le choix des personnes à testées. Le paquet a été mis sur le milieu professionnel et non sur les malades !

Les données concernant les foyers épidémiques (motif de découverte, signes cliniques des porteurs du virus, conditions de travail, conditions de contamination, respect des consignes de sécurité et des gestes barrière) et leur dynamique ne sont pas disponibles pour que nous


puissions en faire une lecture critique et en tirer les conclusions adéquates. Le Ministère de la santé public marocain n’est pas très transparent concernant l’information. Celle-ci est plus verbale qu’écrite. Je rappelle qu’un foyer épidémique est un lieu où sont survenus des cas groupés de maladies. Donc il s’agit d’une transmission locale avec des cas groupés. En épidémiologie un foyer de contagion est un ensemble de cas de la COVID-19 qui sont reliés entre eux dans le temps et l’espace.

Le Maroc enregistre un taux de létalité en hausse. Y a-t-il péril en perspectives ?

Le taux de létalité apparent, en anglais case facility rate est le rapport entre le nombre de décès imputés à une maladie et le nombre de cas confirmés de celle-ci. Il est facile à calculer. Il sert à évaluer la gravité de la maladie et la qualité de la prise en charge thérapeutique des patients. Certains pays ne comptabilisent que les décès survenus dans les structures de traitement, c’est le cas du Maroc donc nos chiffres sont sous-estimés. C’est pour cela que certains épidémiologistes préfèrent le TL global qui combine les décès survenus dans les structures de traitement et dans la communauté. Il est suivi pendant toute la durée de l’épidémie et donne une indication de l’adéquation de la réponse en termes de prévention des décès évitables. En épidémiologie comparative, il serait plus judicieux encore de calculer TL réel, ou infection facility rate. Il s’agit du rapport entre le nombre de mort et le nombre estimé de tous ceux qui ont été infectés par le virus. Il serait également très intéressant dans le cas particulier du SARS-CoV-2 de calculer le TL spécifique aux formes graves ou sévères.

Au Maroc, le TL apparent était en constante baisse. Ainsi il est passé de 5,8% en mars à uniquement 1% pendant le mois de mai. Puis depuis juillet il est en augmentation. Ainsi il a été multiplié par 2 entre juillet et août (Figure 3). Le taux cumulatif au 01 septembre 2020, était de 1,86%.

 L’analyse de la létalité doit prendre en considération le sexe, l’âge, la santé globale du malade et la gravité de la maladie à l’admission. Celle-ci dépend du délai entre le début des signes cliniques et la première consultation puis de l’évocation de la suspicion à la réalisation du test et finalement à l’obtention du résultat. C’est éventuellement l’explication du retard diagnostic. Sont également à prendre en considération, le lieu du traitement (hôpital, à domicile ou ailleurs), la qualité de la prise en charge et les protocoles thérapeutiques particulièrement des formes graves et les critères de recensement des morts. Et nous avons ajouté qu’Il serait très intéressant dans le cas particulier du SARS-CoV-2 de calculer le TL spécifique aux formes graves ou sévères ou dites critiques. L’OMS estime que La véritable mortalité du Covid-19 mettra du temps à être pleinement connue. Le TL apparent en fin de pandémie, sera significatif des politiques de santé publique menées dans chaque pays.

L’analyse de l’évolution temporelle des décès liés à la COVID-19 doit prendre en considération que parfois il y a un décalage entre la déclaration des nouveaux cas et la notification des décès. Ceux-ci surviennent plusieurs jours après. Donc certains malades décédés par exemple pendant le mois d’avril ont été déclarés pendant le mois de mars ! Cette règle ne s’applique pas aux cas hospitalisés immédiatement dans un état très grave voire agonisants.

La « logique simple, intuitive » voudrait qu’avec l’augmentation de l’incidence des cas il y ait une baisse du TL apparent. Or au Maroc le TL apparent a constamment diminué entre mars et juin paradoxalement à l’augmentation de l’incidence des nouveaux cas. Puis il a augmenté en juillet et en août paradoxalement à la hausse de l’incidence des nouveaux cas. Donc l’explication devrait être qualitative.

Au Maroc, quelle explication doit-on donné à la baisse constante des TL apparents entre mars et juin ? S’agit-il de terrains pathologiques (âge, sexe et comorbidités) favorables ou de formes clinques plus bénignes, et moins problématiques avec le temps, d’une maitrise plus importante du traitement des formes graves, de l’efficacité du traitement intensif des formes bénignes et même asymptomatiques, d’une souche virale moins agressive.

Toutes ces hypothèses sont à revoir à la lumière de l’augmentation du TL apparent en juillet qui serait semble-t-il en rapport avec un retard de consultation (7 à 10 jours en moyenne) et de diagnostic et donc une hospitalisation en unités de soins trop tardive selon Pr Filali Marhoum. Ces informations ont été détaillées lors du webinaire organisé le 11 août par la Société Marocaine des Sciences Médicales. Pendant lequel Pr Hicham Afif Directeur du CHU de Casablanca a rapporté qu’un malade sur 5 arrive aux urgences du CHU presque agonisant. Pr Lahcen Barrou chef du service réanimation du CHU Casablanca a précisé que 23% des malades dans un état grave meurent à l’accueil des urgences. D’autres intervenants ont signalé que les tests virologiques étaient réalisés essentiellement en milieu professionnel, dans les unités industrielles et chez les contacts et beaucoup moins et plus tardivement chez les malades.

L’analyse des causes de décès liés à la COVID-19, avait révélé le 07 mai (bulletin N° 5) sur un total de 2521 cas que le TL était de 7,34% et que les facteurs les plus significatifs (p<0,005) étaient l’âge ≥ 65 ans, le sexe masculin, l’obésité, l’hypertension artérielle et le diabète sucré. Lors d’un Webinaire le 22/06/2020 Dr Youbi Directeur de l’épidémiologie du Ministère de la santé a révélé que les facteurs les plus significatifs chez les décédés étaient l’âge ≥ 65 ans, la présence de cancer et le sexe masculin.

Par ailleurs, on peut affirmer qu’il y a plusieurs épidémies au Maroc. Certaines régions sont plus affectées par le SRAS-CoV-2 que d'autres. Le 01 septembre 5 régions (Casablanca Settat ; Fès, Meknès ; Marrakech Safi ; Rabat Salé Kenitra ; Tanger Tétouan Hoceima) qui représentent 70.29% de la population totale ont totalisé 84,69% des cas. A noter également que les taux de létalité ne sont pas homogènes selon les régions du Royaume. J’ai dans d’autres papiers souligné la faiblesse de la communication du Ministère de la santé. Nous n’avons plus la possibilité de connaitre les chiffres cumulés par régions. Depuis plusieurs semaines l’application Wiqatna n’affiche que les chiffres journaliers !

(Y a-t-il péril en perspectives ?) : Le risque est présent de dépassement des capacités de réanimation (ressources humaines et matérielles) mais les solutions sont disponibles. Au lieu d’analyser le TL apparent il faudrait analyser le TL spécifique aux formes graves ou sévères. Cela permettra de mettre en exergue la vrai gravité (intrinsèque) de la maladie et non pas l’aspect médiatique et l’aspect de saturation du système national de santé du fait de l’afflux massif des malades. Encore une fois nous ne disposons pas des données necessaires à l’analyse. Notre système de santé ne doit surtout pas oublier voire délaisser les autres malades. La létalité pendant l’épidémie en rapport avec les autres maladies est certainement plus importante qu’avec celle liée directement au SARS-Cov-2.

Est-ce que la situation actuelle permet d'écarter un hiver à risque quant à une recrudescence de la pandémie ?

Il serait hasardeux d’avancer une réponse, toutes les prévisions proposées lors des derniers mois ont étaient fausses ! L’évolution actuelle si elle commence à se stabiliser demandera 2 à 3 mois pour descendre vers des chiffres cléments (100 à 150 par jours). Si les chiffres persistent dans leur ascension, nous devons nous résilier à attendre la vaccination ! Nous devons également vacciner en masse contre la grippe saisonnière pour ne pas encombrer les consultations, les laboratoires et éventuellement les hôpitaux. Nous ne devons pas oublier que la grippe saisonnière tue !

Les études scientifiques sérieuses décortiquant les particularités cliniques, biologiques et thérapeutiques permettront de répondre à de multiples questions. La COVID-19 et son virus le SARS-CoV-2 n’ont pas révélé leurs secrets.

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue