Ce fatalisme qui nous bride et nous étouffe, par Youssef Boucetta
Il persiste au Maroc, dans une dominance subtile et omniprésente, un sens du fatalisme aigu. Son pêché le plus saillant est l’inhibition latente qu’il induit sur le sens de l’initiative et de la résilience des consciences collectives et individuelles du pays. Matérialisé ponctuellement dans les formules trop typiques « hada howa el Maghrib » et « hatchi li 3ta Allah » (entre autres), ce fatalisme ne se positionne généralement que comme la façade qui masque une paresse intellectuelle—pouvant souvent aussi être physique— et qui tente de se glorifier en se réduisant au final à une capitulation d’ordre philosophique face au destin. Ce trait n’a rien à voir avec la religion. Car celui qui justifie l’inertie en invoquant le sous-développement de sa nation et/ou la volonté divine, ne fait que recourir à des détours ineptes pour éviter de s’inculper lui-même. Il n’y a aucun doute que nous avons tous déjà fait usage de ce raisonnement. Mais tout naturellement, prendre conscience de ce trait, qui opère quelque part entre la conscience collective du pays et la marocanité individuelle de chacun, est le premier pas dans la subversion de son pouvoir.
On ne peut pas nier que l’infrastructure sociale du pays puisse susciter des frustrations, mais il faut noter que les discours critiques auxquels je fais référence émanant de ces frustrations positionnent toujours leur auteur dans une extériorité disculpatrice. Ce que je veux dire c’est qu’en disant « hada howa el maghrib » (encore une fois, un exemple au sein de l’éventail d’expressions et injonctions similaires) on oublie trop vite notre propre appartenance au corps même que l’on accuse tout en espérant naïvement, par la grâce de cette formule, échapper au regard et au jugement de
l’Autre. Il ne s’agit donc que d’un sophisme qui maintient intact l’ego de son auteur. Fuite de responsabilité et paresse sont donc deux traits pernicieux qui, dans l’efficace simplicité de la formule, se cultivent à perte de vue. Aucun de nous n’est étranger à la manifestation de ces traits dans des situations de la vie quotidienne et c’est précisément du fait de cette omniprésence que l’on comprend la portée du crime contre l’évolution du pays que commet à chaque instant cet attribut gangrenant.
On pourra dire que cette réflexion exagère l’impact de ce qu’elle dénonce ; à savoir, un faux fatalisme qui opère pour donner licence à la paresse s’étendant inlassablement dans la culture marocaine. Quand on évoque la paresse, ce n’est pas autant la paresse individuelle—la peur de l’effort—qu’une complaisance collective caractérisée par un stoïcisme mal placé face aux imperfections de la structure sociale marocaine. Ce caractère culturel néfaste conditionne les perspectives d’évolution du pays. A partir du moment où l’on comprendra son impact et que l’on adoptera de nouvelles attitudes, on verra l’avènement d’un optimisme productif qui pourrait se trouver à l’origine des innovations sociales, culturelles et politiques de demain.
Car, au fond, se débarrasser de ce caractère, c’est pleinement assumer son libre arbitre comme moteur de l’imagination et de l’inventivité.
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Youssef Boucetta est étudiant en 3ème année au Amherst College, en littérature comparée et cinéma. Il développe un documentaire sur le skate au Maroc avec 2m et il a publié une traduction et analyse de Borges avec l’Université de Dallas. Fils de diplomates et polyglotte, il est également auteur de plusieurs articles sur la darija et son usage au Maroc.