(Billet 403) – Et si les Marocains votaient, cette fois ?...
Le Maroc avance lentement vers les scrutins de 2021, les trois élections communales, régionales et nationales. Il semblerait, à date d’aujourd’hui, que ces scrutins seront maintenus, malgré la crise sanitaire et ses inévitables excroissances économiques, sociales, financières… Aujourd’hui, les électeurs se moquent de ces élections comme de leur premier bulletin de vote non comptabilisé. Mais les choses pourraient être appelées à changer…
Depuis 1992, le royaume organise régulièrement ses élections nationales et locales. Si on devait s’arrêter à cela, tout est parfait dans le plus beau pays du monde. A y regarder plus précisément, les choses sont quelque peu différentes : des partis qui ne veulent rien dire pour des électeurs qui refusent de dire leur opinion, et qui sont de plus en plus nombreux, puisque les taux de participation fondent comme les espoirs suscités par les élections.
Qu’on en juge : le taux de participation aux législatives est passé de 67 % en 1984 à 62 % en 1993, 58 % en 1997, 50 % en 2002 et 37 % en 2007… et un étrange (petit) sursaut depuis, avec 45% en 2011 et à peu près pareil en 2016. Sur un corps électoral estimé à quelques 25 millions d’âmes, seules 15 millions sont inscrits sur les listes électorales, sur lesquelles l’inscription n’est toujours pas automatique pour les plus de 18 ans. Près de 7 millions votent et seulement 6 millions de bulletins sont comptabilisés, les autres sont nuls ou « militants ».
Pour 2021, le contexte sera différent. Il est en effet connu qu’à chaque fois qu’une nation connaît un séisme, subit un électrochoc, vit un traumatisme, les taux de participation bondissent. Et le moins que l’on puisse dire est que le royaume est aujourd’hui fortement perturbé, d’où les appels au report des élections, appels semble-t-il non entendus.
Alors il y aura bien élection. Sauf que cette fois-ci, face à une classe politique sclérosée, des partis nécrosés et des dirigeants tétanisés, les votants pourraient s’exprimer en masse. On ne
sait jamais quelles sont les réactions des peuples qui ont vécu ce que nous vivons, confinement ou pas, enseignement présentiel ou non, crise économique affirmée et appauvrissement confirmé. Quatre scénarios semblent devoir se dégager :
1/ Un parti nouveau. Les partis ne se sont pas renouvelés et leurs dirigeants sont incapables de faire peau neuve. Il n’est pas impossible que d’autres formations naissent, comme cela a été le cas en France, en Espagne, en Grèce, en Allemagne… Au Maroc, un mouvement de jeunes point très prudemment le bout de son nez, mais n’est pas encore décidé à franchir le pas pour basculer résolument en parti politique. Son nom est Maan. Ses approches sont nouvelles, ses idées sont plutôt belles, mais ses dirigeants sont des néophytes qui se tâtent encore… et toujours.
2/ Une résurgence des petits partis. Une autre réaction de l’électorat abîmé par le doute et redoutant la banqueroute serait un vote dispersé, où les anciens « grands » partis fléchiraient devant des formations plus modestes mais qui auraient eu l’heur de recruter des personnages influents ayant toujours refusé l’implication partisane. L’ordre d’arrivée des partis aux élections pourrait en être considérablement bousculé.
3/ Un vote-sanction général. Il est également envisageable que les électeurs dispersent leurs votes, chacun votant non sur des programmes ou même des personnes, mais en fonction de son humeur, de sa fureur… accordant sa voix sans logique apparente en dehors du vote-sanction. Cela aboutirait à la formation d’une majorité de plusieurs partis, plus nombreux que pour l’actuelle qui en compte cinq. Le Maroc serait alors ingouvernable.
4/ L’abstention. Il existe de fortes probabilités que l’abstention devienne un moyen d’expression privilégié, aboutissant à des institutions représentatives qui ne représentent qu’elles-mêmes.
Dans tous les cas, le vote est périlleux car de deux choses l’une, soit il reconduit la scène politique actuelle, ce qui serait hasardeux pour l’avenir et la gestion de l’après-Covid, soit il va dans un autre sens et alors, nous plongerions tous dans l’inconnu.
Aziz Boucetta