Une sous-estimation de la population  marocaine atteinte par la Covid-19, selon Dr Moussayer

Une sous-estimation de la population marocaine atteinte par la Covid-19, selon Dr Moussayer

Le ministère de la Santé a publié le 17 septembre  la  première étude sur l’étendue de la propagation du virus dans la population marocaine (la séroprévalence). Les résultats, utiles en soi, ont été malheureusement donnés « bruts » sans  en effectuer  une extrapolation mathématique, seule capable de fournir une « estimation » réaliste. Les tests sérologiques actuels sous-estiment en effet le nombre de personnes atteintes 

L’enquête du ministère, effectuée  entre mars et août sur un échantillon de 85 000 donneurs de sang, fait apparaître que 0,7 % d’entre eux  auraient été en contact avec  le virus. Elle a  porté sur la recherche  chez ces donneurs  de substances biologiques chargées par notre organisme de lutter contre la Covid-19 qu’on appelle anticorps, et  plus précisément sur une catégorie particulière de ceux-ci : IgG.

L’impossible quête des anticorps IgG

La difficulté (et elle est de taille !) est qu’une grande partie des sujets contaminés ne recèlent pas d’anticorps IgG dans leur sang au moment d’un prélèvement sanguin. Ces derniers  ne sont en effet vraiment détectables par les tests sérologiques qu’à partir du 14ème jour suivant la contamination et  diminuent progressivement pour rester en moyenne 40 jours encore présents. On sait en plus que ces anticorps IgG n’apparaissent pas toujours ou disparaissent rapidement  chez  beaucoup de personnes contaminées   ne développant pas la maladie de façon visible (on dit qu’ils sont asymptomatiques) ou en présentant une forme bénigne.

On ne peut donc se satisfaire de ce résultat annoncé de  0,7 % de la population au contact  du virus, à partir de la seule  présence de l’anticorps IgG.  Il doit faire l’objet d’une modélisation, notamment à partir du calcul des probabilités  pour évaluer la proportion du nombre de personnes  susceptibles d’être dépourvus d’IgG  au moment d’un prélèvement et à partir éventuellement d’un croisement  avec les chiffres publiés de l’autre test de détection du virus, le PCR.  C’est seulement à partir de  ce travail préalable que l’on pourra obtenir une estimation même approximative  du niveau de propagation de l'infection parmi la population marocaine. 

Il est vrai que ce calcul n’est pas aisé et les pays développés peinent aussi à obtenir des chiffres satisfaisants  sur ce sujet à partir des seuls tests sérologiques actuels. Ainsi, en France,  le Conseil scientifique de ce pays avait « estimé » grosso modo, dans un avis publié le 27 juillet, à 4,4% la part de la population concernée, ceci à partir d’un faisceau de preuves, sans qu’aucune étude approfondie n’ait pu  corroborer cette affirmation 

Nous ne disposons pas du bon anticorps pour les études épidémiologiques !

 Une étude publiée le 3 septembre dernier dans le British Medical Journal,  tend à montrer (en rejoignant d’autres études) que l’on sous-estime la part de la population déjà confrontée au coronavirus. D’abord parce que, selon les auteurs, “Les tests d'anticorps actuels ne permettent pas d'identifier les personnes qui avaient des infections bénignes”. Et ensuite parce que un autre anticorps, l'IgA,  semblerait « plus


pertinent dans la Covid-19, en particulier chez les personnes asymptomatiques”.

L’avantage de ces derniers anticorps, les  IgA, réside dans le fait qu’ils sont détectables dans le sérum, la salive ou le lait maternel, qu’ils seraient en outre présents plus tôt et persister plus longtemps que les IgG. 

Une étude luxembourgeoise, publiée dans la revue MedRxiv, vient confirmer ces assertions en montrant que 11% des 1 862 personnes prélevées présentent des anticorps IgA contre le coronavirus, contre 1,9% seulement pour  les anticorps IgG.

Si on transpose ce dernier résultat au cas du Maroc,  la part de la population touchée serait ainsi actuellement de 4,2 % (une hypothèse d’école seulement, à valider ensuite par une étude exhaustive !).  Au total, en tout cas, la population touchée par la Covid-19 serait en réalité bien plus importante qu'estimée dans la plupart des pays, y compris au Maroc.

Ceci n’est pas forcément une mauvaise nouvelle  en ce sens qu’un certain taux d’immunité collective (seuil requis à partir duquel un sujet infecté ne transmet plus le pathogène car il rencontre trop de sujets protégés), même transitoire, permettrait de ralentir l’épidémie.  Surtout quand l’on sait, en infectiologie, que cette protection repose aussi sur la mémoire de l’infection passée détenue par certaines cellules immunitaires (des lymphocytes T) et  assurant en général une réaction de défense immunitaire plus rapide en cas de réinfection. Même si ce seuil est lui aussi difficile à estimer actuellement pour la covid-19 : entre 60 % et 70 % selon  l’Organisation mondiale de la santé, de 20 à 40 % selon d’autres études…

Par ailleurs, les enquêtes ciblées de surveillance sérologique annoncées par le ministère paraissent très utiles en ce qui concerne les professionnels de la santé et  les détenus dans les établissements pénitentiaires. Un peu moins par contre  en ce qui concerne les personnes ayant des maladies chroniques  et  celles de plus de 60 ans : les résultats de ces 2 derniers types d’étude, quels qu’ils soient  n’ont en effet aucune incidence sur le comportement de protection maximum que doivent continuer à adopter ces deux populations à risque.  Il manque par contre  une évaluation de la séroprévalence dans les grandes métropoles et en premier lieu Casablanca, et cela afin d’y adapter en conséquences les politiques de  santé publique.  On sait en effet que c'est là qu'on risque de trouver  des chiffres très élevés, à l'exemple de New York, Paris, Rio de Janeiro... En les prolongeant, si besoin est, dans certaines zones de ces villes : on a ainsi vu récemment à Bombay, en Inde,  une prévalence  sérologique de 51 % à 58 % dans les quartiers défavorisés, contre 11 % à 17 % dans le reste de la ville !

Dr Moussayer Khadija 

Spécialiste en médecine interne et en Gériatrie, Présidente de l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS), Ancienne chef de service à l’Hôpital de Kenitra, Ancienne interne aux Hôpitaux de Paris : Pitié Salpêtrière - Hôpital Charles  Foix