[Entretien]: le digital pour redresser le secteur immobilier, Kevin Gormand (Mubawab)

[Entretien]: le digital pour redresser le secteur immobilier, Kevin Gormand (Mubawab)

Va-t-on vers une résurgence de la crise immobilière 2008 ? En tout cas le secteur de l’immobilier risque de s’effondrer en raison de la crise pandémique de Covid-19. A ce titre, la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI) a adressé au gouvernement des propositions réglementaires, bureaucratiques et financières. Dans le détail, la FNPI propose de revoir les anciens textes de loi qui réglementent le secteur et de lever les obstacles liés aux procédures administratives et au financement pour les acquéreurs.

Au Maroc, le secteur de l’immobilier, pourvoie de plus d’un million d’emplois avec une valeur ajoutée de 107,3 milliards de dirhams et pèse beaucoup sur le social au-delà économique.

Endettement, déstockage,  déstockage …. Kevin Gormand, CEO & Founder de Mubawab revient sans détour dans cet entretien sur les nouveaux enjeux de l’immobilier au Maroc. Face à la pandémie du coronavirus, «  il y a plusieurs volets à prendre en compte pour redresser le marché». 

Kevin Gormand, qui a commencé sa carrière chez Capgemini comme responsable marketing, pour ensuite travailler chez Inter-Com, soutient que « Les acteurs, aujourd’hui, comptent énormément sur le digital pour attirer des acheteurs potentiels, pouvoir leur présenter le bien ciblé à distance et réaliser une première visite. Le plus important, à ce stade, est de pouvoir digitaliser la plus grande partie de ces outils d’aide à la vente, afin de pouvoir informer les personnes intéressées sans se déplacer avec photos des biens, vidéos/visites virtuelles, visibilité online (Mubawab, site Web, Facebook…), contrats, cahiers des charges, autorisations, plans digitalisés facilement envoyables par email ou par WhatsApp ».

En 2012, Kevin Gormand fonde Mubawab, le premier site immobilier au Maroc.

Panorapost. Globalement comment se porte le secteur de l'immobilier au Maroc ?

Sans surprise, la crise a eu son effet. Selon Bank Al Maghrib, le volume des transactions immobilières au 2ème trimestre 2020 a baissé de 42,8%. Soit 38,2% pour le résidentiel, 53,7% pour les terrains et 54,2% pour l’immobilier professionnel. L’indice des prix des actifs immobiliers (IPAI) a également baissé, en glissement trimestriel, de 3,3%.

Il faut dire que la crise liée à la Covid-19 a été l’occasion pour l’écosystème immobilier d’encourager la demande, avec l’application de mesures de relance allant d’offres favorisant la reprise par plusieurs promoteurs, la baisse du taux d’intérêt, la réduction de 50% sur les frais d’enregistrement à la suspension du référentiel des prix de la DGI.

Par ailleurs, nous constatons sur mubawab.ma que la demande est bel et bien présente. L’étude réalisée par Mubawab, pendant la période de confinement, a révélé que les internautes qui avaient un projet d’achat immobilier semblent toujours être intéressés par cet investissement.

  • 79% cherchaient leur bien avant le début du confinement (intentionnistes pré-confinement), 65% d’entre eux ne souhaitent pas reporter leur projet d’acquisition à cause du confinement.
  • 18% ont commencé à chercher leur bien pendant le confinement (intentionnistes post-confinement), 81% d’entre eux sont intéressés par l’organisation de visites virtuelles en visio-conférence.
  • 3% avaient déjà trouvé leur bien avant le confinement (acquéreurs), 33% d’entre eux auraient aimé procéder aux étapes d’achat en ligne, s’ils en avaient la possibilité.

Y a-t-il une particularité des produits les plus prisés en moment ?

Un nouveau phénomène a été constaté par les professionnels du secteur. Pendant ce confinement, nombreuses sont les personnes qui se sont projetées dans un nouveau logement, et ce pour différentes raisons, l’on cite principalement : la nécessité d’avoir un balcon, une terrasse ou un jardin, la volonté d’avoir un logement plus grand, ou encore l'éloignement de la ville pour bénéficier de l’air, de la nature ou de la mer.

Une grande majorité des ménages déclare vouloir changer d’habitat en raison de la prise de conscience, pendant le confinement, de l’inadéquation de leur logement avec leurs besoins réels.

La demande est plus friande d’aménagements extérieurs : 58% des visiteurs de mubawab.ma recherchent désormais un appartement comportant un balcon ou une terrasse, et 68% de ceux qui recherchent une villa, la recherchent avec une piscine. Cette tendance est tout à fait logique ; ces personnes viennent de passer plusieurs semaines confinées, sans possibilité de déplacement pour exercer leurs loisirs. Le choix d’avoir un espace de vie plus agréable fait opposition au comportement


pré-pandémie.

Comment jugez-vous la hausse du crédit immobilier ?

Les conditions actuelles du marché de l’immobilier offrent des conditions favorables pour les acquéreurs. Les banques proposent des offres de crédits avec des taux d’intérêts parmi les plus bas appliqués au Maroc ces dernières années adossés à des promotions exceptionnelles proposées par les promoteurs pour écouler leur stock avec des offres attractives.

Avec les semaines de confinement qui ont empiété sur les transactions immobilières – vu qu’elles n’avaient pas pu être menées à leur terme – nous connaissons actuellement un rebond des crédits qui s’explique en partie par un effet de rattrapage.

Sur le plan fiscal, plusieurs mesures ont été déployées pour redynamiser les ventes avec notamment la suppression des droits d’enregistrement sur le logement social, la réduction des droits d’enregistrement de 50% pour les biens ne dépassant pas 2,5 millions de dirhams ou encore l’exonération sous certaines conditions de la taxe sur les profits immobiliers.

Le niveau d'endettement risque t-il de pousser les promoteurs à un déstockage massif de produits ?

Il est vrai que le niveau d’exposition des banques sur les crédits relatif à l’immobilier - autour de 30% vis à vis de la totalité des crédits bancaires - est jugé comme étant trop important. Pour réduire ce risque, qui dans un scénario catastrophique amènerait les banques à ne pas pouvoir contenir les défauts de paiements sur ces crédits, tout l’objectif est de réduire les stocks.

Néanmoins, cette problématique n’est pas nouvelle, même si d’actualité dans un moment de crise comme celle que nous traversons.

La suspension du référentiel des prix de l’immobilier par la DGI permettra aux promoteurs d’avoir plus de marge de manœuvre pour agir sur le prix et, par conséquent, écouler leurs stocks.

Comme cité plus haut, plusieurs mesures ont été prises pour relancer la demande. Les promoteurs ont certainement besoin d’écouler leurs produits, mais, bien entendu, en s’alignant avec la tendance et la dynamique du marché.

La crise ne va-t-elle pas favoriser l'évolution de l’informel ? Que faudrait-il faire pour le rendre professionnel 

L’informel existe dans tout marché, avec ou sans crise, et tout l'écosystème immobilier, dont Mubawab, travaille avec acharnement pour réguler le marché et gagner la confiance des acquéreurs.

Une étude récemment menée par Mubawab a démontré qu’aujourd’hui l’un des critères d'acquisition est de faire appel à un acteur de confiance, qu’il soit promoteur ou agent. Les Marocains sont de plus en plus exigeants. Il faut dire qu’actuellement les acteurs de l’immobilier ont intérêt à recourir à des pratiques transparentes pour favoriser et encourager les transactions.

Quelles doivent être les mesures de résilience dans le secteur immobilier ?

Le constat est sans appel : il y a plusieurs volets à prendre en compte pour redresser le marché. Commençons par la digitalisation du secteur. Les acteurs, aujourd’hui, comptent énormément sur le digital pour attirer des acheteurs potentiels, pouvoir leur présenter le bien ciblé à distance et réaliser une première visite. Le plus important, à ce stade, est de pouvoir digitaliser la plus grande partie de ces outils d’aide à la vente, afin de pouvoir informer les personnes intéressées sans se déplacer avec photos des biens, vidéos/visites virtuelles, visibilité online (Mubawab, site Web, Facebook…), contrats, cahiers des charges, autorisations, plans digitalisés facilement envoyables par email ou par WhatsApp.

Les administrations publiques ont également entamé le processus de numérisation. L’Agence nationale de la conservation foncière, du cadastre, et de la cartographie (ANCFCC) a basculé ses processus de paiement au mode digital et délivre les certificats de propriété en ligne.

Une chose est sûre, la relance de la demande exige des efforts et n’aboutira qu’avec de fortes incitations aux acquéreurs. La réflexion unanime des professionnels porte sur la réduction des taux d’intérêts bancaires sur les crédits immobiliers et sur la diminution des charges administratives (l’enregistrement et le cadastre).

Selon les concertations des promoteurs, au Maroc, les banques peuvent proposer des packages de crédits immobiliers autour de 2 à 3%.

Aussi, produire des logements adaptés à la classe moyenne avec des prix plus abordables, à travers un réaménagement urbanistique, vu la cherté du foncier dans le milieu urbain est une mesure importante à prendre en compte par les promoteurs.

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue