[Entretien] : « Un plan de relance (...), n’est pas un plan d’urgence », Larabi Jaidi (PCNS)

[Entretien] : « Un plan de relance (...), n’est pas un plan d’urgence », Larabi Jaidi (PCNS)

«  Aujourd’hui plus qu’hier, il faudrait considérer que nous sommes en guerre…contre une force imprévisible et encore insaisissable mais qui laisse des traces profondes sur l’économie et la société. », soutient Larabi Jaidi – Senior Fellow au Policy Center for the New South (PCNS)et Economiste.

Dans cet entretien, M. Jaidi aborde la question de la relance économique où il soutient que compte tenu de  l’imprévisibilité sur l’évolution de la pandémie : un virus mutant ? une nouvelle vague?, la continuation de la vague avec plus ou mois de virulence ?, diffusion territoriale du virus par la mobilité ? de nouvelles formes de clusters etc… « C’est aux scientifiques d’éclairer au mieux les politiques. » Mieux,  le Senior Fellow au PCNS ajoute que « C’est aussi aux politiques de trouver ce « fine tuning » ou le réglage au plus fin qui permet le juste équilibré et un cohérent arbitrage entre l’action de soutien à l’économie nationale, la réponse aux attentes sociale et la préservation de la santé des citoyens. »

Pour la relance l'hypothèse des scénarii en V, L et W sont toutes mises sur la table. Mais, M. Jaidi reste convaincu qu' « ll n’y pas de méthode de prévision ou de construction de scénario qui soit infaillible. Il y a tout simplement des choix à éclairer par des approches multiples et convergentes. » Entretien.

 

Panorapost. Est-ce que le montant de 22,4 MMDH de crédits accordés à 15.183 entreprises sera suffisant pour se protéger de l’hécatombe d'une crise annoncée ?

Larabi Jaidi. Les besoins de financement de l’entreprise sont élevés. Jusqu’à présent, l’engagement du système bancaire et l’appui de l’Etat à travers les garanties de la CCG sont impressionnants par leur volume en termes d’effectifs des entreprises servies et des montants de crédits. Il faut rappeler que ces crédits couvrent les besoins de trésorerie des entreprises pour leur permettre de faire face aux charges courantes de relance de leurs activités. L’autre dimension, encore insuffisamment approchée, est celle des besoins de financement en capitalisation, pour assurer la pérennité de l’activité de ces entreprises. Les entreprises marocaines faiblement capitalisées vont devoir chercher à consolider leurs situations financières. Il faut imaginer des nouvelles lignes de financement plus adaptées à ce type de besoin et inciter les chefs d’entreprises à renforcer leurs fonds propres, à ouvrir leur capital, c’est par la combinaison de ces trois modes de financement que l’on pourrait espérer sauver le maximum d’entreprises. Autrement, le risque de faillite de nombreuses entreprises est réel.

La relance annoncée risque-t-elle d'être grippée par les mesures de restrictions de plus en plus longues ?

Nous sommes incontestablement dans une situation d’imprévisibilité sur l’évolution de la pandémie : un virus mutant ? une nouvelle vague?, la continuation de la vague avec plus ou mois de virulence ?, diffusion territoriale du virus par la mobilité ? de nouvelles formes de clusters etc… C’est aux scientifiques d’éclairer au mieux les politiques. C’est aussi aux politiques de trouver ce « fine tuning » ou le réglage au plus fin qui permet le juste équilibré et un cohérent arbitrage entre l’action de soutien à l’économie nationale, la réponse aux attentes sociale et la préservation de la santé des citoyens. Un triangle d’objectifs complexe à maîtriser, tant les clivages entre ces trois impératifs peuvent être pressants. Il est clair que les mesures de restrictions longues peuvent s’imposer, mais quels types de mesures ?  Si c’est un confinement total, il serait extrêmement coûteux économiquement et socialement. Si ce sont des mesures partielles, il faut en définir le profil, gérer avec doigté le « containment » du virus. C’est une affaire publique, qui interpelle l’Etat, les entreprises, les professionnels de la santé, les citoyens, les forces des médiations politiques, sociales, informationnelles et territoriales. Il faut trouver la bonne approche pour un dialogue entre toutes ces composantes, les impliquer dans une démarche efficace et concertée. Une véritable mobilisation nationale en toute responsabilité et sans polémique stérile et débarrassée de tout enjeu politicien. Aujourd’hui plus qu’hier, il faudrait considérer que nous sommes en guerre…contre une force imprévisible et encore insaisissable mais qui laisse des traces profondes sur l’économie et la société. La métaphore peut être jugée excessive par certains, mais le risque n’en est pas moins grand et nécessite une riposte convergente de tous les acteurs publics et privés.

Quelle évaluation faites-vous du déploiement et de la réponse de l'Exécutif dans le cadre du Plan de relance économique, et dans quelle mesure le plan de relance et de l'emploi répond-il aux attentes ?

Le Plan de relance a été annoncé dans ses grandes finalités, mais il n’est pas encore- à ma connaissance- totalement arrêté dans ses choix, dispositifs et mesures. Il sera certainement plus lisible quand le projet de loi de finances sera adopté. Il est, donc, prématuré de commenter une initiative importante, cruciale même, alors qu’elle n’est pas encore finalisée.  Tout ce que l’on peut dire, à ce propos, à date d’aujourd’hui, est que le Plan doit être à la mesure des attentes qui sont par ailleurs fortes, que les arbitrages sur les priorités – parce qu’il faut faire des arbitrages- soient soucieux des équilibres sociaux. Un plan de relance n’est pas, comme tout le monde le sait, un plan d’urgence. Nous avons eu un Plan d’urgence qui a fait face, avec efficacité, à la gestion de la pandémie économiquement et socialement depuis on apparition jusqu’à date d’aujourd’hui. Nous sommes dans une nouvelle phase : il faut faire redémarrer l’économie, répondre aux demandes sociales dans une conjoncture, certes imprévisible, mais qui impose des choix et des décisions. Le Ministère de l’Economie et des Finances a annoncé les deux principes sur lesquels sera construit le Plan : relance des activités de l’entreprise et soutien social. Le Gouvernement compte mettre sur la table des...

moyens financiers importants par lesquels il exercerait un effet de levier pour la mobilisation de ressources provenant d’autres circuits que le budget. Le souhait est que cet effet de levier puisse fonctionner avec célérité. L’efficacité de la dépense publique dépend aussi de l’affectation des ressources du Fonds. En général, dans ce genre de situation, au Maroc comme ailleurs, il y a toujours deux visions qui s’opposent : les partisans d’une relance par la demande, plus particulièrement la consommation des ménages, et les partisans de l’offre qui souhaitent soutenir de préférence les entreprises. Notre réalité invite à trouver le juste équilibre entre les deux types d’affectation. Se posent, aussi, les questions vers quels secteurs seront orientés les financements publics et privés, pour quelle type d’activité en priorité, pour quelle type d’entreprises (PME, Entreprises de grande taille, Groupes ?), comment sélectionner les investissements publics efficaces à court et moyen termes.  Ces investissements ne doivent pas se substituer à d’autres qui étaient programmés ou quelles réaffectations faut-il entreprendre ?  Quel est l’effet escompté du Plan de relance sur le PIB, les emplois, les équilibres extérieurs, les rentrées fiscales. Tout choix d’affectation doit éviter les risques de déperdition. D’où la nécessité d’un suivi de l’exécution : rappelons-nous que dans des situations antérieures, nombre de programmes et projets lancés ont souffert de lenteurs ou, parfois même, de renoncement. Et au-delà de la conjoncture, un Plan de relance devrait s’inscrire dans une vision à moyen terme et contribuer à impulser des ajustements des politiques publiques, tout au moins dans les secteurs les plus sensibles : santé, éducation, numérique, rural, activité à fort emploi…

Existe-t-il un scénario testé et économiquement viable pour alterner fermeture et ouverture de l'économie en s'adaptant au contexte pandémique ? 

On peut imaginer des scénarios avec des hypothèses diverses et extrêmes. Il est certain que le scénario en V qui tablait sur une reprise rapide a été remis en cause par l’évolution imprévisible de la pandémie. Les réflexions sur les scénarios de sortie de crise me donnent l’impression que nous « jouons », si vous me permettez l’expression, à un exercice de chiffres et de lettres. Le scénario V à sortie rapide va donner lieu à un taux de croissance élevé, un scénario L donnera un profil de sortie en lenteur avec un taux de croissance moindre, un scénario en W sera en dents de scie, reprise puis rechute avec instabilité du taux de croissance. Tous ces scénarios valent ce que valent les hypothèses sur lesquelles ils sont construits. Elles sont toutes empruntes d’un niveau d’invraisemblance, beaucoup de variables ne sont pas sous contrôle (environnement international, évolution de la demande adressée au Maroc, climat, comportement des acteurs …). Il n’y pas de méthode de prévision ou de construction de scénario qui soit infaillible. Il y a tout simplement des choix à éclairer par des approches multiples et convergentes. Il y a aussi des orientations incontournables. Notre économie ne peut vivre dans la fermeture de ses frontières économiques ou dans une surprotection, elle a besoin des marchés extérieurs pour faire face à court et à moyen termes à ses achats incompressibles (énergie, biens alimentaires, bien intermédiaires), elle a besoin de devises pour payer ses acquisitions et rembourser ses dettes. Ces devises ne peuvent venir que des exportations de biens et services, des transferts des MRE et des financements extérieurs. Pour bénéficier des financements extérieurs, il est nécessaire de rester crédible et maîtriser la soutenabilité de ses équilibres économiques et financiers internes et externes. Nous n’avons pas d’autre choix que de rester dans l’ouverture. L’ouverture doit être gérée dans le respect de nos engagements internationaux et sa maîtrise doit faire l’objet de politiques appropriées pour permettre une reconquête compétitive de notre marché intérieur et la valorisation de notre potentiel à l’export.

Avec la LFR, le gouvernement a pour objectif de juguler l'austérité et la relance dans une approche de changement de dogme dans la gestion budgétaire. Quel risque pourrait se dresser pour ce double objectif ?

Il est admis que le déficit de notre budget dépassera la « norme » qui, jusqu’à présent, servait de boussole pour la gestion de nos finances publiques. Il est aussi admis que notre endettement va connaître une aggravation. Nous n’avons pas le choix si nous voulons maintenir l’économie au dessus de l’eau. Tous les pays, du Nord comme du Sud, sont dans la même situation.  Si le seuil de ces deux indicateurs de déficit et d’endettement vont bouger, il reste à savoir où placer le curseur ? Autrement dit : quel mode de financement de la dette, quelle rationalité dans la gestion de son encours dans son double volet interne et externe, quel coût d’accès au marchés des capitaux, quelle affectation des ressources empruntées pour générer des recettes fiscales. Comment optimiser l’impact économique et social de l’investissement pour renforcer la résilience de note économie, consolider la double cohésion sociale et territoriale, gérer les nouveaux risques et ne pas pénaliser les générations futures. Délicates questions qui invitent à gérer au mieux nos ressources, suivre de plus près nos capacités d’endettement et revenir dans un délai soutenable à des comptes assainis et éviter toute dérive préjudiciable à la croissance à long terme.

La relance est en partie propulsée par le budget, mais elle doit mettre à contribution les établissements et entreprises publiques. D’où la nécessité de se pencher sur leur restructuration et le traitement de leur situation financière pour les rendre à même de jouer leur rôle de locomotive de l’investissement public. D’où la nécessité, aussi, de mobiliser au mieux le potentiel des Collectivités territoriales dans la contribution au développement local et la réduction des fractures spatiales. D’où la nécessité, enfin, d’inciter le secteur privé à s’impliquer plus dans le financement productif et la prise de risque.

 Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue