Mali: Et un coup d'État pour boucler la crise socio-économique (Entretien)
Ce qui semblait initialement être une mutinerie militaire, s’est transformé à un coup d'État qui a vu la démission du président malien Ibrahim Boubacar Keïta. S’il est tôt de déterminer avec exactitude les suites de ces troubles au Mali, les raisons de ce putsch sont évidentes et partagées presque par tous les observateurs.
Consultant, observateur des conflits au Moyen-Orient et en Afrique, des mouvements terroristes, et cofondateur de l'institut Action Résilience, Jean-Marc Lafon (photo ci-dessous) analyse dans cet entretien sur les fondements qui ont conduit à ce putsch non sans évoquer l’avenir des groupes djihadistes, qui désormais sévissent dans un presque no man’s land. Entretien.
Panorapost- Quel a été l’élément déclencheur de la chute du président Ibrahim Boubacar Keïta ?
Jean-Marc Lafon - L'exécutif malien était extrêmement fragilisé par une crise politique. Sur fond d'insécurité chronique dans une large part du pays, de crise économique et de corruption galopante, l'incendie a éclaté avec l'invalidation de nombreux résultats des élections législatives de mars et avril. Cette décision de la Cour constitutionnelle, perçue comme une supercherie favorisant la majorité présidentielle, a mis le feu au poudre. De nombreuses manifestations ont eu lieu depuis, donnant lieu à une répression meurtrière qui a attisé la colère de pans entiers de la société. Par ailleurs, IBK (Ibrahim Boubacar Keïta, ndlr) était en fort mauvais termes avec une partie des officiers généraux de l'armée malienne. Certains sont visés par des enquêtes des Nations Unies pour des faits graves. Ainsi, le général Kéba Sangaré, chef d’état-major de l’armée de terre et commandant du quartier général des forces conjointes pour les opérations de la région centrale, est accusé d'avoir laissé l'armée abandonner le village d’Ogossagou en février, laissant le champ libre au massacre de plusieurs dizaines de civils par des chasseurs dogon. Quelques heures avant le début de la mutinerie, c'est le chef d'état-major adjoint de l'armée de terre qui a été arrêté. Il est encore tôt pour pouvoir affirmer que cela est à l'origine du passage à l'acte d'une partie de l'armée mais cela semble plausible.
Avec la situation politique, y a t-il un boulevard pour les mouvements jihadistes qui sévissent au Mali ?
Les mouvements jihadistes
s'appuient notoirement sur les failles de l'Etat. L'impact de la corruption et de la faillite politico-économique sur la population est considérable, et les extrémistes se posent en alternative fiable, d'autant qu'ils sont bien implantés dans le tissu économique local. Et tout ce qui discrédite objectivement l'Etat et ses partenaires étrangers apporte d'autant plus d'eau au moulin de la propagande jihadiste. Pour autant, les mouvements jihadistes ne semblent pas aujourd'hui en mesure de prendre formellement le contrôle d'une partie du pays comme ils l'avaient fait avant janvier 2013. Les mouvements armés non jihadistes du nord du pays sont fort problématiques pour l'équilibre du pays, en privant l'Etat d'une part de son pouvoir tout en bénéficiant de partenariats avec Barkhane dont de nombreux experts interrogent la pertinence depuis plusieurs années un enjeu majeur est la sécurité des populations face aux violences inter-ethniques et au difficile partage des ressources. C'est sans doute là que se joue l'avenir du Mali, et si les différents mouvements armés, jihadistes ou non, ne participent pas officiellement à ces tensions, de nombreux combattants en leur sein sont aussi ceux qui portent le fer sous l'étiquette tribale ou ethnique à l'occasion des raids meurtriers qui ensanglantent trop souvent le Mali.
Quelles sont les conséquences directes pour les pays de la Cedeao ? Pourrait-il y avoir un effet domino comme le Printemps arabe ?
Il est encore très tôt pour évaluer les effets de cette crise à l'intérieur même du Mali. Il n'en est que plus délicat d'envisager ses répercussions hors des frontières. Pour autant, s'il est un point commun dans la région avec le contexte du printemps arabe, c'est bien l'existence d'une corruption galopante sur fond de tensions ethniques et de ressources vitales insuffisantes pour une population frappée par une crise économique sans fin. Si l'affaire malienne projette à l'étranger l'image d'un groupe de putschistes aux mains sales cherchant à sauver leur peau, l'impact sera sans doute nul. Si au contraire elle prend l'apparence d'une opération parvenant à mettre en place un exercice vertueux du pouvoir avec en ligne de mire un mieux-vivre pour les populations, la contagion sera possible. Mais à mon humble avis, rien n'est moins sûr.
Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue