(Billet 379) – Ce soir, minuit…

(Billet 379) – Ce soir, minuit…

Les autorités marocaines ont pris l’habitude de nous surprendre, ygheflouna pour être plus précis. Ce soir, minuit… disent-elles. Cela laisse quelques heures aux gens pour s’organiser, puis se jeter sur les routes, les uns sur les autres, tous contre tous. Prendre cette décision quelques jours avant l’aïd est normal, et était même prévisible, mais c’est le faire de cette manière indifférente aux conséquences qui est anormale, coupable.

18h30, le communiqué conjoint Santé/Intérieur tombe : Tanger, Tétouan, Fès, Meknès, Casablanca, Berrechid, Settat et Marrakech seront bouclées dans moins de six heures. Et soudain, c’est le Maroc entier qui est désorganisé ! Sur les réseaux, sur les routes, dans les chaumières et dans les pensées, c’est le branle-bas de combat. Les médias ne parlent que de cela et les gens ne pensent qu’à cela. Et du côté gouvernemental, hormis ces quelques lignes sèches, rien, pas un mot, pas une réaction, pas un visage, même pas menaçant ou grimaçant. Quant à compatissant, il ne faut même pas espérer !

Ceci est une manière très indélicate de se comporter avec des gens comme nous autres, les Marocains. Confinement de trois mois pour des millions de personnes, confinement depuis cinq mois et demi pour quelques autres millions, frontières fermées et 30.000 des nôtres abandonnés trois mois durant, économie en dangereux ballotement, ménages sévèrement bousculés et aujourd’hui isolement de huit villes… Les Marocains ont râlé et râlent encore, mais au final obtempèrent. Était-il vraiment nécessaire de prendre ainsi une telle décision, répétons-le, certainement nécessaire et potentiellement utile, de cette manière rustre ? Veut-on vraiment conduire ce peuple généralement pacifique, globalement gentil, généralement compréhensif, volontiens loyal et à l’occasion gouailleur, à la désobéissance civile (voir les images des Tangérois empêchés de quitter la ville, mais qui l’ont quittée à pied !) ?

Les plus jeunes déplorent le présent, et leurs aînés se remémorent le passé… années 80, années 90, quand l’Intérieur faisait tout et que personne ne disait rien. Non, cette décision, bonne dans le fonds, est...

calamiteuse dans la forme et dans l’accompagnement. Pourquoi ne pas avoir placé des gendarmes, partout, des policiers, partout ? A-t-on pensé aux gens lâchés sur les routes ? Combien de contaminations évitera-t-on avec cette décision, et combien de morts fera-t-on sur les routes, d’estropiés à vie, d’amputations, de mutilations, de cruelles et funestes séparations ? NARSA, la DGSN et la Gendarmerie royale sont instamment priées de faire le décompte des victimes, et d’en communiquer les chiffres.

La précipitation des auteurs du communiqué les a conduits à cette autre faute majeure : ne pas dater ni limiter l’isolement des huit villes dans le temps, contrairement aux autres mesures de confinement, où une date butoir était toujours donnée. On ferme, jusqu’à nouvel ordre, ou jusqu’à nouvelle engueulade faudrait-il dire plutôt… Deux ministres technocrates, de la Santé et de l’Intérieur, ne relevant d’aucun parti, ne se sentant comptable devant personne, les nerfs à vif mais l’âme en paix, arborant souvent des mines de méchants de série B, prennent une décision certainement salvatrice mais aussi potentiellement létale ; deux ministres qui demandent des comptes aux Marocains, qui admonestent nos concitoyens, mais qui devront, un jour, aussi, fournir des explications. Et des comptes, sur l’accompagnement de leur décision. Nos autorités doivent apprendre à savoir parler et aussi à avoir peur, peur des comptes à rendre.

C’est cela un Etat de droit. Autrement, nos autorités donneront du grain à moudre à ces Bloomberg, Amnesty, le Monde et autres qui traquent la moindre information tendant à prouver leurs affirmations sur l’Etat autoritaire et totalitaire que nous refusons de voir revenir dans nos vies, parce que nous le savons changé. Aucune décision n’est facile, on le sait et on l’admet. Mais que les ministères de souveraineté comprennent ce peuple et sachent et admettent que s’il a des devoirs, il a aussi des droits, et que si eux ont des droits, ils ont également des devoirs !

Le 26 juillet restera incontestablement une journée noire dans l’histoire de ce gouvernement.

Aziz Boucetta