Zoom n° 39 : Main basse sur la mémoire
Oui, l'humanité a récemment fait beaucoup de progrès sur les droits de l’homme, mais maintenant il est temps de repenser nos rituels de mémoire.
Ce sont des scènes impressionnantes qui se déroulent actuellement aux États-Unis, en Angleterre, France et en Belgique: des photos de statues décapitées ou enduites de peinture, des monuments de personnages historiques renversés et coulés dans l'eau. Avec ces chutes, les manifestants du mouvement de protestation antiraciste Black Lives Matter exigent: « Notre histoire doit être réévaluée! » Un signe contre l'esclavage et le racisme.
En 1996, l'Américain Samuel Huntington dans son ouvrage « Le Choc des civilisations », avertit : « Dans ce monde nouveau, la source fondamentale et première de conflit ne sera ni idéologique ni économique. Les grandes divisions au sein de l'humanité et la source principale de conflit sont culturelles… »
Depuis la mort de George Floyd suivie des manifestations de masse contre la violence policière, le racisme et la discrimination structurelle contre les Afro-Américains, les protestations ont pris une autre tournure avec la prise d'assaut des monuments. Et dans ces manifestations, on lit une intention d’effacer des mémoires les symboles qui honorent les hommes blancs qui vivaient de l'esclavage et défendaient vigoureusement un système économique basé sur l'esclavage.
Aux Etats Unis, la statue de son président de l'époque, Jefferson Davies, a été renversée à Richmond, en Virginie, la capitale des États du Sud pendant la guerre civile (1861-1865). À Montgomery, en Alabama, un mémorial au général confédéré Robert Lee a été cassé. De Boston, Massachusetts à Miami, en Floride, même des monuments de Christophe Colomb ont été endommagés. Dans cette dynamique, le Washington Post rappelle le déboulonnage des statues de Lénine à la chute de l'Union soviétique.
En Caroline du Sud, le gouverneur républicain Nikki Haley a interdit le drapeau confédéré des bâtiments de l'État. C'est « le symbole d'un passé brutal qui blesse profondément de nombreuses personnes ».
Cependant, il y a de nombreuses raisons de douter de la vraie histoire de l'esclavage et du colonialisme: les vérités peuvent avoir une importance pour comprendre notre présent. Oui, l’humanité a bien fait beaucoup de choses, mais il est temps de repenser aux discours sur la mémoire, de les ouvrir, de les questionner et les rendre plus accessibles.
En France, une statue de Jean-Baptiste Colbert devant l'Assemblée nationale à Paris est particulièrement critiquée. Des menaces de sa destruction son de plus en plus réelles. Colbert, l’ancien ministre des Finances sous Louis XIV a écrit le « Code Noir »,
qui régissait le traitement des esclaves noirs dans les colonies. Après des appels pour détruire la statue, la police a déclaré qu'elle était désormais sous garde spéciale. La situation est similaire avec une statue du général Joseph Gallieni et de Faidherbe.
Même si c’est sous d’autres formes, la question du racisme est toujours d’actualité dans plusieurs pays en Européens. Les Noirs sont souvent victimes de discrimination en France. Telle est la conclusion de la Ccommission française des droits de l'homme dans une étude remise il y a quelques jours au gouvernement français. Selon le rapport, une personne sur deux d'origine africaine en France se plaint de discrimination à l'école et au travail et près d'un tiers dans la recherche d'un logement.
De l’autre coté de la Manche, « Il faut aussi repenser le système » dixit le maire de Londres, Sadiq Khan, qui à la suite de cette vague, a créé à la hâte une commission chargée de revoir les monuments et les noms de rues.
Pour protester contre le règne de la terreur dont il était responsable au Congo, des statues du roi Léopold II surnommé « Moordenaar » (meurtrier) ont été couvertes avec de la peinture rouge vif, qui symbolise le sang des Congolais tués. Des plaques de rue portant son nom ont également été peintes. Des dizaines de milliers de personnes ont signé des pétitions en ligne demandant que les statues soient retirées de l'espace public. Certaines ont déjà été démantelées. Le Congo a été systématiquement pillé sous Léopold II. Des millions de personnes y sont mortes.
A côté des monuments qui trônent aux quatre coins du monde rappelant ce passé triste, les archives africaines volées et gardées en Europe ne sont pas restituées. Il faut restituer à l’Afrique sa mémoire et cela doit commencer par le retour des statues. Aujourd’hui, les musées africains devraient être remplis d'expositions et non de photos.
«Dans ce domaine, je ne peux accepter qu'une grande partie du patrimoine culturel de plusieurs pays africains se trouve en France. Il y a des explications historiques à cela. Mais il n'y a plus de justification valable, permanente et sans restriction. Le patrimoine de l'Afrique ne peut pas seulement être conservé dans les collections privées et les musées européens », a déclaré Emmanuel Macron.
Pour Samuel Huntington, « …Le choc des civilisations dominera la politique à l'échelle planétaire. Les lignes de fracture entre civilisations seront les lignes de front des batailles du futur. »
Mouhamet Ndiongue