L’incarcération, un contre-sens en période de crise sanitaire, par Hatim Benjelloun

L’incarcération, un contre-sens en période de crise sanitaire, par Hatim Benjelloun

Les réseaux sociaux regorgent d’héroïques vidéos de courses folles… celles des représentants de l’autorité contre les représentants de la désinvolte austérité. Les violeurs du confinement, les agresseurs de l’état d’urgence sont devenus l’ennemi public numéro 1. L’Etat y met les moyens humains, technologiques, avec l’art du combat et la manière du soldat. Des scènes de courses poursuites associées à des scènes de larmes qui s'essuient, digne des séries Netflix.

Les saisons passent et pourtant ce sont toujours les mêmes qui y passent. Il paraîtrait qu'on aurait incarcéré plus de 70 000 personnes depuis le début de la crise ! Un chiffre battant les records du principal concerné, le covid19. Serait-ce une stratégie bien étudiée d’un confinement plus corsé ? Les « déconfinés » confinés dans les geôles du Royaume. Comme si celles-ci étaient somptueusement spacieuses pouvant accueillir avec largesse une pléthore de nouveaux détenus ! La communauté scientifique se déchire à travers le monde au sujet de ce fichu coronavirus. Mais une seule chose les rassemble : la distanciation physique ! Et pour les plus téméraires elle devrait même être sociale.

Alors expliquez-moi - où expliquons nous -comment peut-on respecter cette règle dans l'exiguïté de nos prisons ? Sommes-nous si attachés à l'absurde paradoxe de nos décisions ? L'État se met en branle pour sauver des vies et dans le même temps il incarcère par grappes ? Le Maroc est cité en exemple dans le monde entier pour son courage et sa conduite exemplaire alors que de jeunes ignares, désœuvrés et finalement désespérés, se voient jetés, de manière expéditive dans les prisons marocaines.

Cette période de crise ne nous a-t-elle pas enseigné que l'adaptation et l'agilité sont le graal de l’efficacité ? Et que l'efficacité est la finalité des actions entreprises par l'État. Ne faudrait-il pas tout simplement mettre


en place un système de sanction mieux adapté ? Plus efficient et préservant la santé des citoyens ? Des amendes, des Travaux d’Intérêt Général, des assignations à domicile avec contrôle judiciaire, des "désubventions", etc. Beaucoup de solutions permettraient de faire régner l'ordre. Cela éviterait le « syndrome de la Tourette » du transgresseur et nous permettrait de se recentrer vers la mission essentielle de l’Etat en période de crise sanitaire : assurer la sécurité des citoyens, aussi obtus soient-ils. J'irai même plus loin en suspendant toute décision d'incarcération si elle n’est pas liée à des crimes graves. Pourquoi ne pas profiter de cet élan technologique national, où se créent même des masques numériques, pour instaurer les bracelets électroniques ? Il paraît que le Maroc dispose d’une cargaison de ces bracelets, stockés dans les méandres de l’indécision.

Nous sommes à un tournant économique et social dans notre pays. Des urgences apparaissent tandis que d'autres priorités disparaissent. L'incarcération à outrance est un contre-sens qui risque de sabrer nos efforts durant cette crise mondiale, mais également de nuire à cette belle image que le Maroc a tant bien que mal réussi à construire en l'espace de quelques semaines!

Si le système de santé a démontré une résilience insoupçonnée, si l'éducation nationale a fait preuve d’une adaptation étonnante... le système judiciaire peine durant cette crise sanitaire. Protéger ses détenus, leur assurer bien plus que les droits minimums, leur apporter le plus grand des soutiens... durant cette période difficile de notre histoire n’est pas un luxe mais un devoir moral face à un ennemi, autrement plus dangereux, que la malice ou l’esprit délictueux de l'être humain !

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Diplômé en Science Politique – Sécurité Globale – à l’université de Bordeaux IV avec une double masterisation en Intelligence et Communication Stratégique, Hatim Benjelloun est actuellement gérant associé du cabinet Public Affairs & Services