« Du Covidonomics : les trois temps d’un choc » par Mouhamadou Ly

« Du Covidonomics : les trois temps d’un choc » par Mouhamadou Ly

Les gouvernements des continents ont proposé des mesures strictes pour lutter contre les coronavirus, dont l'impact se fera fortement sentir dans toutes les économies. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont souligné la nécessité d'accorder un allégement de la dette aux pays en développement.  Mais face à une récession économique mondiale, les pays africains risquent d’être fortement impactés par les conséquences de la crise sanitaire.

Mouhamadou Ly (photo), Économiste senior au Policy Center for the New South  a analysé les effets économiques du coronavirus sur l’Afrique.

Dans cette présente contribution intitulée « Du Covidonomics : les trois temps d’un choc », il propose des réponses de politiques économiques et sanitaires qui soient contextualisées suivant trois périodes.

« La crise sanitaire Covid-19, au même titre que l’angoissante question du changement climatique ou encore la situation lancinante de la sécurité un peu partout dans le monde, fait naître un nouveau paradigme : celui du partage des grands défis de notre monde par tous les pays, aussi bien les riches que ceux en développement. L’adoption des Objectifs de Développement Durable par les Nations unies en 2015, à la suite des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), marque à juste titre ce changement de paradigme. Notre monde globalisé fait face aux mêmes défis et devra désormais s’engager dans des actions plus coordonnées pour y répondre. Dans son dernier essai, Rémy Rioux décrit ce phénomène en ces termes « les ODD s’appliquent pour la première fois avec la même validité à tous les pays du monde, qui doivent tous prendre le chemin d’un monde durable en définissant leurs propres trajectoires ». Dès lors, ce paradigme rend caduque l’approche qui singularise et inscrit les questions de développement des économies à revenu faible et intermédiaire dans un certain relativisme. Ainsi, la problématique du développement s’insère désormais dans une pluralité qui, bien sûr, appelle des réponses spécifiques suivant la région d’intérêt. 

La démarche dans cette contribution est de distinguer les différentes phases éventuelles par lesquelles les économies du monde transiteront à la suite de ce choc qu’est le Covid-19. Identifier ces temps permettra de connaître les défis ainsi que les réponses les plus idoines à apporter sur les plans sanitaire, social, sociétal et économique.

Ces phases, consécutives à la présente pandémie, sont à l’image du cycle économique bien connu des « économistes conjoncturistes ». Burns & Mitchell (1946) définissent le cycle comme « …expansions qui sont suivies par des récessions, des contractions et des reprises, les reprises débouchant sur la phase d’expansion du cycle suivant… ». Sur cette base, un parallèle peut être fait avec un « cycle économique Covid-19 » qui se décomposerait en trois temps et chaque temps posant des défis propres et appelant des réponses tout aussi spécifiques. Bien que se situant dans une logique désormais plurielle, les politiques sanitaires, économiques et sociales devront être en harmonie avec les différents contextes régionaux, notamment sur le continent Africain.

Le temps de la pandémie : une alternative au confinement ?

Le 14 février 2020, l’Egypte révélait son premier cas de contamination au Covid-19 marquant, ainsi, un tournant décisif dans l’évolution de la pandémie sur le continent africain. La suite est bien connue, avec une accélération du nombre de sujets diagnostiqués au Covid-19, avec actuellement un total de 9292 cas. Bien que relativement faible, le taux de létalité de 3,2% (en Italie le taux de létalité avoisine les 10%) ne dispense pas le continent de  mieux contextualiser sa stratégie de lutte face à cette menace inédite.

Le continent africain, à l’instar du reste du monde, qui est à la première phase, définit sa stratégie sanitaire pour contenir la propagation de la pandémie.

De Dakar à Djibouti, en passant par le Caire jusqu’au Cap de bonne-espérance, la sagesse la mieux partagée semble tenir en un seul mot : confinement. La question que nous sommes en droit de se poser est celle de savoir si les réalités sociales et économiques font que cette mesure soit la plus optimale dans ce cas de figure ?

Il faut savoir que le secteur informel (i.e. secteur non enregistré)  représente 40 à 50% du PIB de la région Afrique subsaharienne (autour de 30% du PIB pour la région Afrique du Nord-Moyen Orient[iv]). Les activités informelles concernent le petit commerce, la vente ambulante en zone urbaine, le travail domestique et les activités d’élevage à petite échelle. Ces activités peuvent représenter jusqu’à 86% de l’emploi. La grande réalité dans ce secteur informel ce sont des acteurs qui vivent de façon quotidienne


(une absence totale d’épargne) et souvent statistiquement mal connus des autorités. De ce fait, le (relatif) faible niveau de développement des stabilisateurs automatiques, un système encore naissant de sécurité sociale pour le secteur informel et les couches les plus vulnérables, il semble que la solution qui consiste à mener des confinements à grande échelle (e.g. type France, Italie) risque de poser des défis tant budgétaires pour les Etats que de paix sociale. Sur ce registre, M. Patrice Talon, Président de la République béninoise, exprime clairement les dangers liés à un confinement des populations.

 

L’économiste statisticien sénégalais, Moubarack Lo, Senior Fellow au Policy Center for the New South, propose une autre approche alternative qui correspond au mieux aux réalités du monde en développement africain. Le first best aurait été de pouvoir mener des tests sur toute la population d’un pays mais face aux contraintes techniques et financières, une enquête ménage reste un second best reste largement possible et scientifiquement probant. Pour le cas du Sénégal, M. Lo recommande une enquête sur la base d’un échantillon de 6000 ménages sur les 45 départements que compte le Sénégal. La coordination du personnel médical et des professionnels enquêteurs statisticiens (des agences nationales de la statistique) permettrait d’identifier et de mesurer le niveau de contamination communautaire.

Le temps de la crise : redémarrer la machine

Une fois que les contaminations maitrisées et que la pandémie commencera à reculer, viendra le temps de la crise qui pourrait s’avérer multidimensionnelle si l’on n’y prend garde.

Sur le plan sanitaire, d’abord, il est fort à parier que les systèmes de santé (aussi bien infrastructures, matériels que ressources humaines) auront été sur-utilisés. Dès lors, se posera la question  des réelles capacités pour gérer la demande en santé des flux de patients usuels relatives aux maladies non transmissibles, aux épidémies saisonnières, à la santé maternelle et infantile etc. Quelles seront les capacités des systèmes à faire face à cette future demande ?

Une autre dimension va concerner la relance urgente de l’appareil de production pour faire face à la future demande.

Ce temps qui sera celui de la convalescence devra aussi viser l’objectif de réparer l’emploi qui aura été détruit au plus fort de la période pandémique.

A ce titre, Ly & Azaroual (2020) proposent des mesures de politique budgétaire et monétaire susceptibles d’accélérer la reprise économique dans les pays africains.

La période post-crise : construire la RESILIENCE des pays

L’enseignement que l’on tire de l’épisode du Covid-19 c’est que le monde en développement devra se doter d’économies résilientes et de secteurs sociaux en mesure de faire face aux chocs qui se reproduiront certainement.

Il s’agira de repenser le monde et de réformer les économies. Adapter les entreprises et PME/PMI aux nouvelles réalités de l’économie mondiale. A n’en point douter : une nouvelle économie mondiale.

Trouver un équilibre entre dépenses d’investissement en infrastructures « classiques » (e.g. communications, transports routiers, aéroportuaires etc.) et les dépenses courantes et de capital en santé devenues nécessaires. En effet, d’après l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’Afrique n’accède qu’à 1% du total mondial des ressources financières allouées au secteur de la santé, alors que la Commission Economique des Nations unies pour l’Afrique estime qu’il y a un gap de quasiment 66 milliards de dollars par an dans le secteur de la santé en Afrique.

Enregistrement contextualisé de l’informel : le choc, puis la crise, qui suivront montrent une fois de plus la nécessité pour les Etats d’avoir une meilleure connaissance des secteurs informels de leurs économies. Pour plus de chances de succès, cet enregistrement du secteur informel devrait capitaliser sur les expériences du passé et recourir à l’outil digital avec l’instrument de la téléphonie mobile bien implantée dans le continent.

Renforcer la recherche fondamentale dans les universités et centres de recherche : les différentes réformes dans les différents secteurs d’enseignement supérieur à travers le continent doivent laisser une part prépondérante à la recherche fondamentale, notamment dans les domaines de l’énergie, de la biologie et de la télémédecine. Une souveraineté du continent dans ces domaines lui assurera une exposition moins forte aux chocs futurs (climatiques, sanitaires, environnementaux).

Accélérer la digitalisation dans les PME/PMI : la période de choc Covid-19 que vit le monde actuellement montre suffisamment que les PME/PMI qui ont pu organiser un travail à distance de tout ou partie de leur activité auront une plus grande résilience face à une future situation identique à celle que vit le monde en ce premier semestre 2020.

A moyen terme, l’objectif de résilience devrait être la pierre angulaire des politiques publiques, aussi bien dans le monde en développement qu’ailleurs ».