(Billet 211) – Casablanca, ville d’histoire… sans gloire

(Billet 211) – Casablanca, ville d’histoire… sans gloire

L’effondrement d’une partie de l’hôtel Lincoln (en attendant ce qui reste) est révélateur et n’a d’égal que celui de la mémoire de Casablanca. Quand les façades d’un monument historique tombent en morceaux, des pans entiers de la mémoire collective d’une ville partent en lambeaux. Mais cela arrive, pourrait-on dire… sauf que cela ne cesse d’arriver dans notre bonne vieille ville de Casablanca, par les outrages du temps, les dommages de l’incompétence et les ravages de l’indifférence et de l’insouciance. Et surtout de l’inconsistance.

Ainsi donc, par exemple du mythique hôtel d’Anfa… cet hôtel qui avait accueilli une conférence internationale en 1943, réunissant Roosevelt, Churchill et les généraux de Gaulle et Giroud… cette conférence à laquelle avaient été conviés (brièvement) le sultan du Maroc, Mohammed ben Youssef et son fils, le futur Hassan II… cette rencontre historique qui avait décidé du sort de la Seconde guerre mondiale et dessiné les contours de l’après-guerre, et où avait été (poliment) évoquée la question de l’indépendance du Maroc. Cet hôtel a été rasé ! et il n’est pas le seul…

Le cinéma Vox (1940), plus grand d’Afrique, rasé aussi ! La piscine municipale et originale (1934), plus grande du monde, devenue mosquée Hassan II, qui aurait pu aller s’imposer et s’exposer ailleurs en ne perdant rien de sa superbe ! L’hôtel Lincoln (1917), qui n’en finit pas de s’effondrer ! La Sqala, fortin militaire du 18ème devenu simple et onéreuse 9ahwa ! La place Mohammed V, cœur et ancien symbole de la ville, construite en 1920, outrageusement blingblinguisée… Tout cela (et la liste est loin d’être exhaustive), enterré sans fleurs ni couronnes, sans fqih ni cortège.

On ne peut raisonnablement pas dire que les autorités de la ville, ou du pays, ignorent totalement ce passé prestigieux de Casablanca et refusent de le maintenir. Mais ils ne savent pas, ou ils ne peuvent pas, ou ils...

n’y pensent pas… Le boulevard Mohammed V était un joyau, et aurait pu le rester. C’est aujourd’hui un dépotoir. L’ancienne Médina était cet îlot d’histoire, entouré d’une muraille elle-même surmontée d’une horloge (aujourd’hui moyennement réhabilitées). C’est aujourd’hui un dortoir.

Il faut dire que Casablanca a connu les années 80 et 90, dites années Basri… L’alors « vice-roi » dézingue,  y allant au couteau, quand la corruption, la concussion et la prévarication étaient le prélude de la Grande Démolition. Des immeubles hideux et des bâtisses administratives staliniennes décorées à la marocaine, des quartiers sortis de nulle part, transformés la nuit en coupe-gorges, et un découpage administratif conçu bien plus pour la sécurité que pour la sérénité.

En 20 ans, trois maires… d’abord l’inconnu, ensuite le taiseux, et aujourd’hui, le furtif. Et des walis qui se sont succédés à cadence rapide, une dizaine en 20 ans, du flamboyant à l’insignifiant, de l’irascible au fusible, du sécuritaire au velléitaire. Et aucun, absolument aucun, pour semer ces petites graines qui, au fil du temps, deviendront un grand arbre protecteur de la grande mémoire de cette grande ville. Même un discours énervé du roi Mohammed VI en 2013 n’y a rien fait…

Alors, pour donner le change, on multiplie les annonces triomphantes et/ou les incantations suppliantes, on invoque Coué, on plante des palmiers bêtement longilignes et on plante aussi et surtout des panneaux de pub en nombre aussi incalculable que leurs chefs sont inexpugnables, on entasse de l’inox qui est à la ville ce que le botox est à une dame.

Quant au ministère de la Culture, tant qu’il relève du lot de consolation confié à des seconds couteaux qui prendraient n’importe quoi, il ne faudrait pas attendre qu’il produise autre chose que la colère qui coupe le souffle et la misère qui trouble le sommeil. Et une forte envie de s’en aller…

Aziz Boucetta