(Billet 167) - Se déclarer hors-la-loi est bien... agir, c’est mieux

(Billet 167) - Se déclarer hors-la-loi est bien... agir, c’est mieux

Plusieurs centaines de Marocain(e)s ont signé une pétition, publiée dans le Monde, pour réclamer, exiger, le changement de la loi sur les (non)libertés sexuelles, sur l’avortement et sur le droit à disposer de son corps. Ces 490 grands noms et personnalités de renom, auteures et signataires, se déclarent hors-la-loi, et entendent bien le rester jusqu’au changement de la « loi ». Fort bien.

Le principe est bon, mais la démarche l’est moins. Le texte est fort, parce qu'avec la maîtrise du verbe et la sacralisation des grands principes, les choses s’annoncent aisément et les mots pour les dire arrivent aisément... Cependant, le texte appelle à plusieurs remarques, car il ne s'agit pas tant d'en appeler au courage des élus que de concrétiser la rage des militants.

1/ S’autoproclamer hors-la-loi n’est pas inédit car nous le savons tous ici, depuis longtemps, partout. Sonner la charge avec les mots est émouvant, mais inutile. La loi permet de déposer des motions législatives, plaçant le législateur et les partis face à leurs responsabilités. Réunir 1.000 ou 2.000 signatures en quelques heures montre si besoin est qu’il n’est pas impossible, et qu’il est même possible, de mobiliser 25.000 personnes pour une motion législative ; cela prendrait quelques semaines, voilà tout. Cette pétition est aussi inutile que d’aller manifester devant le tribunal, où les juges appliquent la loi, si discutable soit-elle, car il ne leur appartient pas de la changer, tout au plus de l’interpréter, mais sans la vider de sa substance. Elaborer une motion et aller la déposer avec plusieurs milliers de personnes au parlement serait plus efficace.

2/ Les Marocains persistent à se regarder à travers les médias étrangers, surtout quand c’est le Monde. Cela a conduit à un éditorial du quotidien français qui conclut sur cette sentence : « Il est temps que le Maroc applique aux libertés individuelles les principes de modernité et de libéralisme dont il se prévaut en matière d’infrastructures et de développement économique ». De quel droit et selon quelle logique un journal, aussi prestigieux soit-il, se permet-il d’asséner de telles sentences, dans l’ignorance de la complexité de la société et de la sociologie du royaume… ?

3/ Dans son éditorial, le Monde évoque « le Manifeste des 343 », publié en 1971 en France pour défendre, entre autres, le droit d’avorter. Les esprits étaient crispés en ces temps-là dans l’Hexagone, et les nerfs étaient tendus, au lendemain de la révolution sexuelle de 68 encore mal assimilée par de larges franges de la population. Le rapprochement opéré par le quotidien entre le Manifeste et la pétition marocaine est pertinent car dans sa construction syntaxique et son style littéraire, la seconde remémore le premier. A cette exception que les signataires de 1971 s’exposaient clairement et explicitement à des poursuites pénales, reconnaissant individuellement avoir subi un avortement. Ce n’est pas le cas des auteures, et des signataires féminines, de la pétition, qui diluent l’acte d’aimer avec celui d‘avorter, affirmant ceci « (avoir) eu des relations sexuelles hors mariage. (Avoir) subi, pratiqué ou été complices d’un avortement ».

 Le Manifeste, pour sa part, dit cela : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France (…). Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté ». L’acte fut courageux, voire téméraire, ne laissant aucun doute aux juges… Et...

le combat n’était pas mené contre la justice, mais contre la loi.

4/ Les auteures de la pétition disent également ceci : « Mon corps m’appartient, il n’appartient ni à mon père, ni à mon mari, ni à mon entourage, ni aux yeux des hommes dans la rue, et encore moins à l’Etat ». Il ne faut pas confondre l’Etat et la loi. L’Etat est immuable, perfectible certes et certainement, mais immuable, alors que la loi peut changer. Elle le doit. Il ne faut pas se tromper de cible et de combat.

5/ S’il faut amender le Code pénal et supprimer l’article 490, il n’en va pas de même pour le texte criminalisant l’avortement. Placer l’acte sexuel et l’interruption de grossesse sur le même plan n’aura pour résultat que de compliquer les choses pour la « légalisation » du premier. La législation sur l’avortement évolue au Maroc, quoique très lentement, et en dépit de l’arbitrage royal de 2016, rien n’est encore fait. En passe de l’être, mais pas encore… En France, 25% de la population est opposée à l’IVG, soit 17 millions de personnes, et aux Etats-Unis et dans plusieurs autres grandes démocraties, une vague antiavortement submerge les sociétés. La question de l’avortement irrite encore les sensibilités, il faut savoir l’appréhender sans précipitation, et la dissocier de la liberté du corps et du sexe.

6/ L’art de la pétition est noble et beau, mais l’acte de voter est fondateur et efficace. Il existe au Maroc un extraordinaire réservoir de personnes progressistes et/ou modernistes en jachère de l’opération électorale. Les mobiliser serait plus porteur qu’attendre leur signature sur une pétition qui n’a aucune force légale.

Ce que commande cet article 490 est de rester vierge de tout amour charnel jusqu’à l’âge moyen au mariage, 28 ans en l’occurrence. La loi serait respectée, mais les équilibres psychiques en seraient grandement bouleversés.

 

Cela étant, oui, les auteures de la pétition ont raison : nous avons tous été, à un moment donné de notre vie et à plusieurs reprises, hors-la-loi. Le Maroc ne peut plus vivre sous l’empire d’une telle disposition. Elle doit changer, impérativement, pour plus de libertés, pour davantage d’intelligence législative. Il existe des moyens légaux et législatifs, efficaces et massifs, pour parvenir à cet objectif (initiative législative parlementaire, gouvernementale, lobbying auprès des partis, motion populaire, participation électorale…).

Chaque société dispose de ses particularités et de ses traditions et chaque société les fait évoluer, spécifiquement. Les grandes vagues et les réformes profondes des sociétés émanent ou ont le plus souvent émané de groupes minoritaires qui ont su insister, persister et résister pour faire aboutir leurs idées. Chaque société a sa vitesse d’action et de réaction, fonctions de son histoire, de sa culture, de sa religion. La démocratie impose le respect de tout cela et les démocraties doivent observer ce respect.

Il faut supprimer l’article 490 du code pénal, par la loi, et le plus vite possible. Le sort de Hajar Raïssouni, de ses codétenus et de toutes les personnes souffrant, ayant souffert ou qui souffriront de l’article 490, n’appelle plus à l’imprécation des pétitions, mais à l’action au sein des institutions. Concrète et complète.  Dans l’attente, des millions de gens vivent inutilement et dangereusement hors-la-loi, nécessitant non pas des pétitions, mais des motions et une nouvelle législation.

Aziz Boucetta