"Le Mondial de football n’est pas qu’une question de sport, c’est également une formidable arène géopolitique" Nicolas

"Le Mondial de football n’est pas qu’une question de sport, c’est également une formidable arène géopolitique" Nicolas

Nicolas Gachon est maître de conférences en civilisation américaine contemporaine à l’Université Paul Valéry Montpellier 3, spécialiste des questions politiques. Consultant pour plusieurs médias (télévision, radio et presse écrite), il a été en poste auprès de l'ambassade de France aux Etats-Unis, puis au Canada, ainsi qu'à Rutgers University et à University of Wisconsin-Madison. Il répond aux questions de PanoraPost.com sur la politique américaine et le Mondial 2026.

1/ Comment percevez-vous aujourd'hui la politique américaine vis-à-vis de l'Afrique, surtout avec la concurrence chinoise qui se renforce d’année en année?

La politique des États-Unis vis-à-vis de l’Afrique n’est pas une priorité pour Donald Trump, dont la vision des relations internationales est extrêmement ethnocentrique. C’était très visible lorsqu’il s’est laissé aller, pour des raisons de calibrage interne de sa politique migratoire, à qualifier les États africains (ainsi qu’Haïti et le Salvador) de "shithole countries". Le président Trump s’est révélé aveugle à la dimension multilatérale de la politique étrangère américaine et à la zone éminemment stratégique que représente le continent africain pour le siècle à venir.

On se souvient que Bill Gates l’avait immédiatement interpelé pour l’alerter sur le danger inhérent à une telle posture, au-delà de sa dimension profondément choquante. Le risque est en effet de voir l’administration Trump provoquer un effritement, voire un effondrement de l’influence des États-Unis en Afrique au profit de la Chine. Certes, Donald  Trump avait adressé une lettre au président de la Commission de l’Union africaine et aux chefs d'État et de gouvernement réunis en Sommet à Addis-Abeba, mais il s’agissait essentiellement d’essayer de clore la polémique.

On ne décèle pas de politique raisonnée de l’administration Trump, le Président gouvernant à court terme et ne percevant pas de menace commerciale, qui constitue sa véritable  priorité. C’est une erreur, car d’autres puissances, dont la Chine, misent, avec plus ou moins de tact d’ailleurs, sur le continent africain. Le 45ème président des États-Unis semble en outre ne percevoir l’Afrique que comme une menace migratoire, et cet argument est très porteur aujourd’hui avec la poussée de la droite conservatrice.

C’est regrettable, car la question mémorielle de l’esclavage, que certains leaders conservateurs ont très maladroitement (on l’espère en tout cas) assimilé à de l’immigration dans certains de leurs propos, ainsi que celle de la ségrégation raciale, sous-tendent une part importante des relations sociales aux États-Unis et constituent un sujet très délicat. Tout pays a le droit de construire la politique migratoire de son choix, et Donald Trump s’est fait élire sur un programme de réduction de l’immigration strict. Mais strict ne justifie pas d’offenser l’Afrique, au risque de surcroît de provoquer l’inverse de l’effet escompté dans la rivalité des États-Unis avec la Chine.

2/ Quelle est l'approche du président Trump sur sa politique migratoire en Asie, notamment avec les pays arabes?

La politique de Donald Trump étant très largement ethnocentrique, je répondrais qu’elle n’est pas si différente que cela de la politique, certes mois élaborée, déployée envers l’Afrique. La succession de décrets migratoires, successivement contestés par diverses cours fédérales, témoignent d’une instrumentalisation d’un ennemi extérieur. L’amalgame entre religion (musulmane) et nationalité est particulièrement révélateur, et il est utilisé et sur-utilisé à dessein en ce qu’il constitue un levier très efficace en politique intérieure.

C’est regrettable, parce que les États-Unis pâtissent considérablement de cette image brutale. Or, les Américains sont très loin de tous adhérer à cette vision caricaturale de la religion, vision contraire aux idéaux sur lesquels se sont fondés les États-Unis. La preuve en est que Donald Trump est contraint de passer par des décrets, pour contourner le Congrès des États-Unis alors que ledit Congrès est acquis au Parti républicain. Le président Trump sait parfaitement que sa politique migratoire, en l’état, ne serait pas votée au Congrès. C’est bien le signe qu’elle n’est pas adossée à une vague d’adhésion populaire chez les Américains. Cela étant, la rhétorique d’exclusion et d’instrumentalisation d’un ennemi extérieur fait lentement son œuvre dans certaines franges du tissu social.

3/ Comment le Mexique perçoit-il la construction


du mur alors qu'il est entrain de s'engager avec les Etats-Unis et le Canada pour l'organisation de la Coupe du monde 2026 ?

Naturellement, le Mexique perçoit cela très mal. Pour tout grand nombre de raisons. D’une part, Donald Trump a commencé par diffuser l’idée, durant la campagne présidentielle, selon laquelle le Mexique envoyait des hordes de voleurs et de violeurs aux États-Unis. Il y a mieux en termes de diplomatie. Il a ensuite ajouté l’insulte à l’humiliation en annonçant la construction d’un mur à la frontière du Mexique, dont tout le monde s’accorde à dire qu’il sera inefficace, en promettant que ce leur serait financé par le Mexique.

On voit combien cette promesse essentielle de sa campagne le poursuit encore aujourd’hui : sa base exige plus que jamais la construction du mur et Donald Trump n’a toujours aucun financement, ni de la part du Mexique, naturellement, ni du Congrès des États-Unis (voir les menaces de véto proférées par Donald Trump avant qu’il ne signe finalement la loi budgétaire la semaine dernière).

Incidemment, le fait qu’il demande un financement au Congrès des États-Unis démontre que c’est bien au contribuable américain, et non au Mexique, qu’il fera finalement payer le mur. Au-delà, c’est une réalité politico-économique fallacieuse, en rupture avec de nombreux engagements des États-Unis, sur le cas des Dreamers par exemple, mais également dans le périmètre de l’ALENA. Les illégaux mexicains sont partie prenante de l’économie américaine, ils en sont même un des rouages importants, et Donald Trump lui-même le sait sans doute mieux que personne : en tant que magnat de l’immobilier, il a probablement de très nombreux illégaux sur ses chantiers.

Il est naturellement possible, idéologiquement, de revenir en arrière, de prôner un hypothétique  coup d’arrêt à l’immigration non choisie dans un pays pourtant d’immigration, mais les dommages collatéraux de postures rhétoriquement très agressives, et parfois offensantes, sont sans doute tout aussi importants, sinon bien plus, que les bénéfices escomptés.

Dans ce contexte, il semble évident que les décisions et déclarations controversées de Donald Trump entravent la candidature commune des Etats-Unis, du Mexique et du Canada pour le Mondial 2026. Pour une raison toute simple, le Mondial de football n’est pas qu’une question de sport (idem pour les Jeux Olympiques, comme on l’a vu avec le rapprochement des deux Corées), c’est également une formidable arène géopolitique. Il ne s’agit donc pas simplement de la politique mexicaine de Donald Trump mais bien de l’ensemble de ses positions envers la communauté international (à l’ONU, à l’UNESCO, sur le climat, vis-à-vis de Jérusalem, etc.) qui viennent brouiller l’image et l’aura des États-Unis, et qui compliquent considérablement la candidature pour le Mondial.

4/ Pensez-vous qu'avec Trump le sentiment anti-américain est revenu comme du temps de Georges Bush jr ?

En forme de boutade, George W. Bush aurait prononcé cette phrase il y a quelques semaines à propos de l’administration Trump : « makes me look pretty good » (il me met plutôt à mon avantage) ... tout est dit. Effectivement, au-delà même du cas de George W. Bush, Donald Trump est en train de saper tout ce sur quoi les États-Unis on construit leur leadership international dans le sillage de la Guerre froide.

 Au-delà du sentiment anti-américain, les États-Unis pâtissent également de cette sorte d’oxymore politique que Donald Trump a vendu au peuple américain pour se faire élire, et que l’on pourrait qualifier d’isolationnisme conquérant. Mais la réalité du pouvoir est tout autre, car la voix des États-Unis a été largement démonétisée, et Donald Trump l’apprend peu à peu. Il n’en tire pas nécessairement les bonnes conclusions ...

Ainsi, la récente nomination de John Bolton au poste de Conseiller pour la Sécurité Nationale témoigne certes d’une posture beaucoup plus interventionniste et internationaliste, mais dans une posture extrêmement agressive. John Bolton, un vétéran de l’administration Bush, idéologiquement proche des néoconservateurs et de l’ancien vice-président Dick Cheney, était l’un des principaux défenseurs de l’invasion de l’Irak en 2003. Il est aujourd’hui favorable à des frappes sur l’Iran et la Corée du Nord.

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue