Chabat, Ramid, Zefzafi, et la logique de l’Etat, par Aziz Boucetta
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- 28 mai 2017 --
- Opinions
En 2014, le gouvernement britannique avait instauré un couvre-feu à Brighton pour calmer les émeutes qui embrasaient la ville ; en 2015, le gouvernement français agissait de façon similaire à Sens, et en 2016, les Etats-Unis décrétaient un couvre-feu dans certaines villes où les émeutiers gagnaient du terrain. Elément commun à toutes ces décisions : un embrasement légitime, car de nature sociale, de la jeunesse, et de graves troubles à l’ordre public. Comme à al Hoceima.
Cette dernière semaine, le Maroc aura eu à connaître trois faits inédits, et la réaction publique se fait attendre.
Dimanche 21 mai, le secrétaire général du parti de l’Istiqlal et désormais aussi du syndicat UGTM Hamid Chabat dit ceci : « Si je dois mourir, n’en déplaise à Dieu, ce sera de la main des services de sécurité ». Il avait déjà affirmé cela, tout aussi abruptement et à plusieurs reprises, en début d’année, et la justice n’avait pas réagi, ou mollement, avant d’oublier l’affaire.
Mardi 23 mai, le ministre d’Etat chargé des droits de l’Homme, numéro deux du gouvernement et ancien ministre de la Justice, Mustapha Ramid attaque la police et la justice dans un statut publié sur sa page Facebook. Il met en cause l’intervention virile de la police, et enfin il se pose philosophiquement, et perfidement, la question de la collusion de justice et police dans cette affaire interne à l’UGTM (en filigrane, l’idée est que « l’Etat profond n’aime pas Chabat, il le fait battre à un procès arrangé et fait donner la police pour exécuter le jugement »). Personne ne pipe mot, à l’exception de la DGSN qui publie un communiqué attestant de la légalité de son intervention au congrès de l’UGTM.
Vendredi 26 mai, Nasser Zefzafi, l’homme qui voulait être roi, foi et loi fait irruption dans une grande mosquée de la ville d’al Hoceima, interrompt le prêche, insulte l’imam, l’Etat, le gouvernement, les monarchies du Golfe, n’oublie personne, directement ou non, cite abondamment Omar Ibnou al-Khattab, gesticule, offre son corps, sa vie et son œuvre au Rif, aux siens… et s’enfuit. Il est, depuis, recherché par la police suite à un ordre d’amener signé par le parquet de la ville d’al Hoceima.
Or, la puissance d’un Etat se mesure à sa capacité à asseoir, puis à affirmer, son autorité sur son territoire. La déliquescence d’un Etat, c’est l’inverse
et c’est lorsqu’il n’est plus capable de se protéger, lui dont la fonction est précisément la protection des biens, des personnes, des biens et des lois. Au Maroc, l’Etat tangue entre les deux situations car en une semaine, il aura eu à connaître trois événements face auxquels il semble montrer une certaine hésitation à réagir.
Pourquoi laisse-t-on Hamid Chabat lancer de telles accusations contre les services publics sans lui faire rendre gorge ?
Pourquoi Mustapha Ramid se croit-il autorisé à mettre en cause l’autorité de la chose jugée et la légitimité de l’intervention policière, foulant aux pieds la solidarité gouvernementale et même la bienséance politique ?
Pourquoi Nasser Zefzafi s’est cru permis de faire intrusion dans une mosquée et d’insulter tout le monde ?
Si la liberté d’expression est sacrée, sa forme est bien encadrée par la loi et le droit. L’Etat ne doit pas tolérer certains dépassements de cette liberté et ce qu’ont fait, en moins d’une semaine, Chabat, Ramid et Zefzafi franchit largement les limites entre la liberté d’expression et l’outrage aux personnes et aux institutions.
Un Etat fort réagit d’abord par sa violence légitime à la violence (forcément) illégitime des autres. Puis il s’attelle à régler les problèmes qui ont fait naître la contestation. Il appartient à l’Etat et au gouvernement de faire respecter l’ordre d’abord, de discuter ensuite, et de prendre des mesures économiques et sociales enfin. Sinon, la contestation musclée et les atteintes aux personnes et aux biens deviendront le seul mode de dialogue des populations défavorisées – et Dieu sait qu’il y en a dans le royaume – avec le gouvernement.
Il serait salutaire de s’interroger sur l’efficacité de ce gouvernement agissant en catastrophe et avec une inquiétante propension à l’amateurisme : Saadeddine El Otmani brille par son absence sur le terrain, Rachid Talbi Alami se distingue par de graves accusations (non prouvées) contre les protestataires, Abdelouahed Laftit continue de jouer, hors du temps, la logique sécuritaire et complotiste, et Mohamed Aujjar , toujours chef du parquet, n’explique pas qui sont les « étrangers » qui assistent les émeutiers (communiqué du procureur).
Aujourd'hui, l'urgence est la restauration de l'ordre institutionnel à al Hoceima, l'heure de demander des comptes aux responsables qui ont failli viendra plus tard, et elle doit venir.
Le peuple a toujours raison quand il critique son gouvernement, et l’Etat (gouvernement et institutions) a toujours tort quand il laisse le même peuple user de violence verbale ou physique pour exprimer ses justes et légitimes revendications.