Repose en paix, Ssi Mhamed…, par Aziz Boucetta
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- 23 février 2017 --
- Opinions
Tu es parti pour le grand voyage, et le grand repos. 94 années de travail, de militantisme et d’engagement ne t’ont pas usé, tu en voulais encore. Tu nous disais tout récemment encore, dans ton humour inégalable, que tu voulais encore vivre 94 autres années, et si cela était vraiment impossible, alors au moins la moitié… Mais tu es mort, Ssi Mhamed. Ce que n’ont pas réussi à faire les adversaires et les revers, les ennemis et les avanies, en plus de tous les gens de peu qui t’en voulaient beaucoup, la maladie l’a fait. Elle t’a abordé, tu as entrepris de la charmer. Tu y as réussi, tu l’as calmée, apprivoisée, éloignée, mais elle a finalement eu le dernier mot. Comme toujours, sans distinction, sans goût.
Je t’ai connu plus jeune, plus alerte, plus vif, toujours souriant, toujours avenant, sillonnant le monde lorsque tu dirigeais la diplomatie du pays, parcourant ce même pays quand tu commandais aux destinées du parti de l’Istiqlal. Pas une naissance dont tu ne félicitais les parents, de Tanger à Lagouira, pas un décès où tu ne consolais les familles, d’Oujda à el Jadida. Toujours actif, immensément réactif. C’est pour cela que les Istiqlaliens te vouaient toute cette admiration, et que les autres t’ont témoigné leur affection.
Tu as eu à ferrailler contre de grands dinosaures, mais toujours dans la modération. Et quand il t’arrivait de t’irriter, tu le faisais avec ton inimitable accent marrakchi qui faisait passer bien des choses et douter bien des personnes. Tu savais y faire, incontestablement.
Je me souviens du jour où, m’oubliant, je devais conduire une conférence à laquelle tu étais venu assister à Marrakech, et que tu m’avais prévenu, une poignée de minutes avant l’ouverture de la séance, que si je lisais mon allocution en français, tu quitterais la salle. Il est vrai que face au secrétaire général de l’Istiqlal, il aurait été mal venu de lire un texte
en français. Tu m’avais dit, avec ton sourire en coin et ton regard impitoyablement malicieux, que tu ne comprenais pas le français… Tu m’avais dit cela, sur un ton goguenard, toi le Sorbonnard. Je me souviens quand, piaffant d’impatience d’entrer au parlement, et emporté par la fougue de ma jeunesse tout aussi emportée, tu m’avais suggéré d’aller encore « mijoter » quelques années à feu doux. J’en avais été profondément marri, tu en avais beaucoup ri, mais plus tard j’avais compris. Et aussi ri.
De ton temps, le parti de l’Istiqlal était grand, comme les grands qui t’accompagnaient et t’assistaient dans sa direction. Tu l’avais digéré avant de le diriger et lorsque tu le gérais, tu as eu à ingérer bien des couleuvres, mais tu l’as fait, et tu as maintenu ton si cher Istiqlal à la place qui a toujours été la sienne, dans le cœur des Marocains, et dans leur esprit aussi.
Tu as su faire de la politique souriante, même quand elle montrait son visage le plus hideux. Tu as su gagner la confiance de tes pairs, évitant les impairs et surmontant les obstacles, déjouant les tacles et te jouant de tes contempteurs. Toujours avec le sourire, ta meilleure arme, avec le sarcasme.
Vingt années se sont écoulées depuis ton fameux « ça suffit », quand tu avais de ton propre chef, en 1998, quitté la direction de ton parti, mais tu as continué de veiller et de surveiller. Et aujourd’hui, cinquante jours avant ton grand départ, tu as signé ton testament politique. Puisse-t-il être entendu par ceux qui restent.
Va, Ssi Mhamed, repose en paix, et de là où tu es aujourd’hui, tu continueras de veiller sur les tiens, qui ne t’oublieront jamais, Lalla Afifa, ton épouse, Ahmed ton fils, Saloua, Amina, Doha, Nezha, Zineb, tes filles, Omar, ton frère, Hafsa et Habbou, tes sœurs, et les autres qui t’ont entouré, aimé, admiré, respecté.
Tu nous manqueras à tous. Mais de là où tu es, je sais que tu nous regardes. Avec ton sourire éternel. Pour l’éternité.