Mohammed VI est heureux de rentrer chez lui, et chez lui, c’est l’Afrique, par Aziz Boucetta
- --
- 31 janvier 2017 --
- Opinions
En cinq mois durant cette année 2016, le roi Mohammed VI a pris deux décisions diplomatiques d’importance : annuler le Sommet arabe qui devait se tenir au Maroc (février), et demander l’adhésion à l’Union africaine (juillet). Entre les deux décisions, il y a eu le discours de Ryad dans lequel le roi a réaffirmé la réorientation de la diplomatie chérifienne. Explications de la politique et de la diplomatie royale, à travers ses discours.
Le roi Mohammed VI n’est pas un homme de discours, longs et fréquents. Il prend la parole quatre fois par an, lors de la fête du Trône, de celle de la Jeunesse, à l’ouverture de la session d’automne du parlement et à l’occasion de la célébration de la Marche verte. Le chef de l’Etat s’exprime également, au besoin et au gré de l’actualité nationale et internationale, ou pendant des voyages officiels.
Les discours reflètent une personnalité, et prolongent des actes. Et les actes sont résolument économiques. On peut dire que sur le plan diplomatique, le règne de Mohammed VI aura connu deux phases, la première jusqu’en 2010/2011, la seconde est en cours. Dans la première, la priorité a été donnée au développement économique interne, avec ses inévitables hiatus. Depuis 2010/2011, le roi a opté pour un développement intégré du pays, mais dans le cadre d’une meilleure, plus grande et plus forte coopération internationale, et d’une meilleure approche du monde, des mondes qui nous entourent.
Le monde arabe
Voici des extraits du communiqué de la diplomatie marocaine, annonçant le désistement du royaume pour l’organisation du Sommet arabe prévu début 2016 au Maroc : « Au regard des défis auxquels fait face le monde arabe aujourd'hui, le Sommet arabe ne peut être une fin en soi ou devenir une simple réunion de circonstance. Les conditions objectives pour garantir le succès d'un sommet arabe, à même de prendre des décisions à la hauteur de la situation et des aspirations des peuples arabes, ne sont pas réunies (…). Face à l'absence de décisions importantes et d'initiatives concrètes, à même d'être soumises aux Chefs d'Etat arabes, ce sommet ne sera qu'une occasion d'adopter des résolutions ordinaires et de prononcer des discours qui ne feront que donner une fausse impression d'unité et de solidarité entre les Etats du monde arabe ».
Il ne sert donc à rien de se réunir pour ne rien dire, et pour ne pas agir. Voilà le message envoyé par la diplomatie marocaine, et donc par le roi, aux Arabes. L’heure est au développement, à l’action, à la prise d’initiatives, et non aux discours aussi stériles qu’inutiles.
Sur le plan arabe, Mohammed VI n’entretient de véritables relations qu’avec les six nations du Golfe. On y parle investissements, on y évoque les pistes d’une coopération effective, les uns apportant leur manne financière et leur savoir-faire managérial, et le Maroc offrant des opportunités de travail, d’investissements, de grands et moins grands projets, du solaire au tourisme, de l’agriculture à l’immobilier, au Maroc et en Afrique. Cela arrange parfaitement les affaires des Arabes du Golfe, en phase de réorientation de leurs pétrodollars de l’Occident vers ailleurs.
Le reste des pays arabes, c’est-à-dire environ une quinzaine, sont laissés à leurs différends, leurs dictatures, leurs défaillances et leurs manque de consistance; le roi l'a redit au sujet du Maghreb, aujourd'hui à Addis Abeba. La seule affaire arabe dont s’occupe et se préoccupe le chef de l’Etat marocain, en l’occurrence la question palestinienne et al-Qods, ne nécessite pas ces incessantes et si ressemblantes rencontres au sommet entre dirigeants arabes, tiraillés, divisés, éclatés. Le roi préfère l’Afrique.
Le monde africain
Avec un début d’action en 2000, à travers l’annulation de la dette des pays africains les moins avancés envers le Maroc, Mohammed VI n’a véritablement endossé sa tunique africaine que depuis 2010/2011. Et le rythme est allé en s’accélérant, avec des tournées de plus en plus fréquentes dans plusieurs pays, des séjours de plus en plus longs dans chacun de ces pays.
Le Maroc met en avant sa maîtrise dans plusieurs domaines : l’agriculture, la construction, la finance (pas l’argent, la finance), l’industrie agroindustrielle
(les engrais), les infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires… A chaque fois, le roi est accompagné par sa dream team d’entrepreneurs, de banquiers, de bâtisseurs et de responsables de l’économie verte.
En parallèle, il met à la disposition de l’Afrique ses services de sécurité pour la lutte antiterroriste, son armée pour les opérations de maintien de la paix, sa diplomatie pour les médiations. Il donne ses instructions pour régulariser la situation de dizaines de milliers de migrants subsahariens, et il fait donner ses oulémas et ses imams pour l’ancrage spirituel et la stabilité/sécurité religieuse des pays africains amis et/ou alliés.
Cette action multiforme est d’autant plus efficace qu’elle est accueillie de bonne grâce par les chefs d’Etat africains et, petit à petit, progressivement, le champ d’intervention du Maroc, et de son roi, s’élargit. La coopération passe de la zone d’influence traditionnelle de l’Afrique de l’Ouest, francophone, à l’Afrique centrale, puis orientale et depuis quelques mois, Mohammed VI fait des incursions plus au sud (Rwanda, Madagascar, Tanzanie).
Aujourd’hui, comme il l’a dit lui-même à Addis Abeba, il est rentré chez lui, dans sa maison, retrouver ses chers Africains qui lui ont manqué, bien qu’il soit conscient que la présence du Maroc ne fait pas l’unanimité, comme il l’a dit à ses pairs de l’UA ; mais cela évoluera avec le temps, quand les Présidents hostiles au Maroc auront compris que leur intérêt ne se trouve pas à Alger mais avec Rabat (ce n’est pas avec le pétrole et le gaz qu’on nourrit les gens, a expliqué le roi).
Et tout cela est l’aboutissement de plusieurs d’années d’effort au service d’un continent autrefois ravagé et pillé, aujourd’hui usé et abusé par les autres pays du monde.
Le monde occidental
Bien souvent, ces dernières années, Mohammed VI a évoqué le monde occidental en termes peu amènes… pas les Chinois, pas les Russes, le monde occidental, qui agit avec l’égoïsme qu’on lui connaît, qui colonise d’une nouvelle manière, tyrannise de plusieurs façons et qui fragilise autant qu’il peut.
« L’Afrique n’est plus un continent colonisé », disait-il en février 2014 à Abidjan. Deux ans plus tard, depuis Riyad en avril 2016, il s’en prend aux Occidentaux en ces termes : « Que veulent-ils de nous ? Nous faisons face à des complots visant à porter atteinte à notre sécurité collective. Ceci est clair et n’a pas besoin d’analyse. Ils en veulent à ce qui reste de nos pays, qui ont pu préserver leur sécurité, leur stabilité et la pérennité de leurs régimes politiques ».
Et aujourd’hui 31 janvier, à Addis Abeba, il porte l’estocade : « Depuis plusieurs années, le taux de croissance de certains pays du Nord ne dépasse pas celui de certains pays africains ; la faillite de leurs sondages révèle combien ils ont perdu toute capacité de comprendre les aspirations de leurs peuples ! Et pourtant, ces pays à la situation sociale et économique défaillante, au leadership faiblissant s’arrogent le droit de nous dicter leur modèle de croissance ! ». Les termes sont rudes.
Dans son action, et surtout à travers ses réactions, le roi montre qu’il n’est plus du tout disposé à revenir en arrière, vers cette histoire mouvementée où la relation était verticale, du dominant au dominé. Et non seulement, il n’est pas disposé à se laisser dominer, mais il exhorte ses pairs africains à lui emboîter le pas, trouvant en Kagamé, Ouattara, Condé, Dellassegn, Buhari, des interlocuteurs en communions de vues.
Avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, l’inquiétante avancée de Marine Le Pen en France, et la montée des populismes un peu partout dans le monde occidental, il est plus que jamais temps de marquer son territoire et de s’approfondir dans sa région et son continent. Surtout quand ce continent est porteur d’espoirs et d’espérances…
Pendant ce temps-là, le monde politique marocain…
Entre l’hibernation boudeuse de l’un, les exigences des autres, et les tentatives de médiation de quelques-uns, rien de nouveau sous les nuages. Les institutions exécutive et législative sont à l’arrêt, ou presque, et l’indifférence commence à gagner tout le monde, ou presque. Cela est un autre sujet, moins passionnant que ce jour historique à Addis Abeba.