A-t-on le droit d’avoir honte de la darija ? par Fatiha DAOUDI
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- 06 janvier 2017 --
- Opinions
Le Maroc est un pays où s’organisent souvent des débats au cours desquels des débatteurs patentés passent un temps fou à gloser et à s’étriper. C’est aussi un pays où souvent les auditeurs de ces débats se demandent s’ils vivent dans le même pays que les débatteurs.
C’est le cas concernant le débat suscité par la publication du dictionnaire de la darija, langue parlée au Maroc, avec le berbère. En effet, l’auditeur est estomaqué en entendant dire que la darija n’est pas une langue mais des dialectes et qu’elle n’a nullement besoin de dictionnaire. Que cette publication a été entreprise par des suppôts du néo-colonialisme, du sionisme et de plein d’autres ismes, qui mettent un argent fou à vouloir détruire la sainte langue arab, celle du Saint Coran et symbole de notre identité musulmane. Que cette publication, même rédigée en langue arabe, est le fait de mécréants francophones dont le but ultime est la propagation de la fitna dans la oumma.
L’auditeur qui entend ces propos se demande s’il s’agit bien de la darija qu’il parle au quotidien et dont il aime tant les résonnances ! S’il est véritablement question de cette langue qui exprime si bien ce qu’il veut dire et qui est le socle de pièces de
théâtre, des qsayed de malhoun et des différentes aïta ? Et est-ce que sa richesse et sa vivacité peuvent légitimement être passées à la trappe par ces détracteurs qui, apparemment, sont déconnectés de la culture de leur pays ?
Peuvent-ils encore valablement soutenir que l’arabe classique est la langue du pays alors que chacun sait pertinemment qu’elle se loge surtout dans les livres et nos archaïques écoles et chaines de télévision et qu’aucun Marocain ne l’utilise au quotidien... et ceci quand il ne parle pas que le berbère ?
Comment ces débatteurs inconséquents peuvent-ils affirmer que l’arabe classique est sacré parce que langue du Coran ? Est-ce que, véritablement, ils ignorent que la langue arabe existait bien avant l’arrivée de l’islam et que, même de nos jours, la messe est dite en arabe dans les églises arabes ?
Ne peuvent-ils pas vivre dans leur pays et avec leur temps, se rendre à l’évidence de l’importance de la darija et de son rayonnement ? Cette langue que toute une population utilise ne peut être qualifiée de vulgaire, et mise en compétition avec l’arabe classique dont l’importance n’est d'ailleurs remise en question par personne ! Et puis, comment donc peut-on avoir honte d’une langue qui véhicule toute une culture ? Seul, son respect encouragera la créativité et le développement culturel du Maroc.
L’auditeur marocain est souvent perplexe devant la schizophrénie de certains débatteurs patentés.