Ces intellectuels qui nous font honneur, par Nabil Adel
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- 15 décembre 2016 --
- Opinions
Nous Marocains, Dieu merci, sommes choyés par nos intellectuels. Entre ceux qui nous traitent d’incultes et de mal élevés et d’autres qui veulent nous moderniser, nous n’avons pas le temps de nous ennuyer. Notre seule consolation, c’est que l’application des idées qu’ils (les intellectuels) véhiculent nous a permis de rivaliser économiquement et scientifiquement avec les grandes puissances de ce bas monde. Grâce à leurs recettes – miracles, ils ont réussi à nous sortir du sous-développement et nous ont permis de renouer avec un passé glorieux où nous étions parmi les maîtres du monde.
Leur dernière trouvaille de génie, et non des moindres, est d’appeler à séparer le religieux du politique et à adopter les principes de démocratie et de droits de l’homme, tels qu’ils sont universellement reconnus. Pour eux, il faut que l’Islam reste confiné à la mosquée, si on veut un jour voir la couleur du progrès, et encore, en supervisant les prêches et en sévissant contre les imams qui aborderaient autre chose que les ablutions et la prière ou qui ne blâmeraient pas les prieurs sur leur responsabilité dans les maux qui s’abattent sur la communauté musulmane.
Mais, attendez un peu ! N’est-ce pas déjà le cas ? Où ont-ils vu l’Islam, en tant que système politique, modèle économique et corpus juridique, appliqué dans nos contrées en dehors de e pauvre code de la famille ? Feignent-ils d’oublier que cela fait plus d’un siècle et demi, que le monde musulman s’est vu imposer, par le feu et dans le sang des corpus idéologiques oscillant entre communisme et économie de marché? Ces idéologies ont été ensuite perpétuées par ces intellectuels formés dans les universités de l’Est et de l’Ouest, mais qui n’ont jamais donné la parole à leurs peuples ou les ont guidés pour façonner leurs propres modèles de développement et d’émancipation.
Au lieu de tout mettre sur cette religion, devenue le souffre-douleur du premier venu, ils feraient mieux de pointer les vrais responsables de l’arriération et de l’humiliation dans laquelle vit tout musulman sur cette terre. Les responsables auxquels il faut demander des comptes sont les dirigeants politiques des pays musulmans, dont le seul rôle est de maintenir les peuples sous la botte de régimes autoritaires, de phagocyter toute tentative d’émancipation et de préparer des dizaines de milliers de civils à l’abattage par leurs propres armées ou par les forces étrangères, lorsqu’ils osent contester cet ordre établi et jalousement défendu dans un temple, dont ces intellectuels sont malheureusement les serviles gardiens. Le génocide en Syrie n’est-il pas l’œuvre d’un régime baathiste ayant séparé la religion et la politique depuis plus d’un demi-siècle ? Le démembrement de l’Irak, la défaite des six jours, subie par l’Egypte de Nasser ou le chaos libyen ne sont-ils pas la conséquence directe des dérapages autoritaires de régimes laïques ?
Et pourtant personne n’entend ces pseudo-intellectuels
pointer du doigt l’idéologie néolibérale et néocolonialiste maléfique derrière nos malheurs, ni au moins s’élever contre le traitement raciste et avilissant subi par leurs coreligionnaires dans les pays, dont ils nous demandent d’appliquer les référentiels. Aujourd’hui, des femmes voilées se font tabasser en public ou se voient arracher leurs foulards, un président américain prépare les musulmans de son pays (devenus des citoyens de catégorie inférieure) au comptage et pourquoi pas à l’internement ou, plus génocidaire, des millions de musulmans se font massacrer aux quatre coins du monde, sans que tout cela ne soulève la moindre émotion, à part des « share » et des « like » sur Facebook.
Que ces intellos aillent juste demander à François Fillon et à Angela Merkel de ne plus faire allusion aux valeurs chrétiennes dans leurs programmes politiques ou aux gouvernants israéliens de cesser de parler de leur pays comme Etat juif. N’est-ce pas cela séparer le politique du religieux ? C’est dans ces situations que nous voulons entendre leurs voix qui ne s’élèvent que pour stigmatiser la victime et trouver des excuses au bourreau.
Avant d’être militaire, notre défaite, à cause de ces pseudo-intellectuels, est d’abord idéologique et culturelle. Formés en Occident, ils ne peuvent malheureusement même plus en contester l’idéologie, aussi néfaste sur la planète et meurtrière pour ses habitants, soit-elle. L’ascendant que cet occident hégémonique et guerrier a pris sur eux, maintient les pays musulmans dans un statut de vassalité, par le truchement de ces « intellectuels vaincus », dont on se passerait bien.
Aujourd’hui, par paresse, mauvaise foi ou traitrise, ils ne prennent même pas la peine d’étudier, ou de laisser étudier, ce riche patrimoine juridique musulman, constitué pendant plus de 10 siècles d’accumulation ; le mot Charia est devenu en soi un Léviathan. Or une lecture ne serait-ce que superficielle nous montre à quel point notre religion est remplie d’excellentes propositions sur le plan de l’encouragement de la recherche scientifique, de la participation démocratique des citoyens à la gestion de leurs affaires, de l’équité et de la transparence dans les relations économique, tenant compte de la préservation de l’environnement et de la justice sociale. Elle offre des alternatives très crédibles à la sauvagerie de la loi brute du marché qui n’a produit que crimes de masses, dégradation de l’environnement et creusement des inégalités. Si seulement, nos intellectuels consacraient du temps à mettre à jour cette richesse et à l’adapter à notre temps au lieu d’aller quémander des référentiels, dont les auteurs nous méprisent pour ce que nous sommes, nous mettrons alors les pieds sur les premières marches de la résurgence.
Car ne leur en déplaise, l’Islam ne peut être qu’une affaire individuelle. C’est un mode de pensée et un système législatif dont les préceptes englobent tous les aspects de la vie (politique, économique, social, culturel et cultuel), mais qui laisse une très grande place à l’interprétation des hommes et donc à l’adaptation dans le temps et l’espace.