! آسي بن كيران الله يهديك*, par Aziz Boucetta
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- 24 novembre 2016 --
- Opinions
Cher Ssi Abdelilah Benkirane,
Vous êtes le chef de ce gouvernement, désigné depuis maintenant plus de six semaines, mais un chef toujours sans gouvernement… Plus le temps passe, moins vous avez de gouvernement mais plus vous avez de griefs. Contre tout, contre tous. Le Maroc est institutionnellement à l’arrêt et il risque fort de ralentir économiquement, mais vous n’en avez cure. Vous attendez d’avoir gain de cause, enfermé, calfeutré, boudeur, chez vous, à votre domicile.
Ssi Benkirane,
Vous et les vôtres accusez les autres de vouloir renverser le cours électoral et politique de notre pays, accusant les journalistes qui vous critiquent de calomnie et les politiques qui vous résistent de félonie. Vous dites avoir gagné et vous avez raison, mais vous avez tort de penser avoir triomphé. Vous reprochez à vos « partenaires » sur la scène politique de vouloir légitimement engranger une petite victoire politique sur les décombres de leur grand revers électoral, les faisant accuser de « putschistes » par vos hommes-liges. Leur seul tort est pourtant de négocier leur entrée à votre gouvernement.
Or vous, vous revendiquez en dépit de votre victoire relative dans les urnes un pouvoir absolu au sein de votre gouvernement. N’est-ce pas un putsch inversé sur le résultat électoral ? Les citoyens ne vous ont pas donné mandat pour diriger ce pays à votre guise, mais seulement pour conduire un gouvernement de coalition.
15,7 millions de personnes se sont inscrites sur les listes électorales, 6,8 se sont déplacées pour voter, et 1,7 million vous ont accordé leur confiance. Comment et pourquoi pensez-vous pouvoir former un gouvernement qui vous serait entièrement dévolu alors que les électeurs ne semblent manifestement pas l’avoir voulu ? Par quelle alchimie voulez-vous transformer une victoire plombée en présidence du gouvernement dorée ? Vous êtes pourtant assez croyant et assez grand pour ne plus croire aux sornettes des alchimistes médiévaux ! Et pourtant…
Vous osez bloquer un processus institutionnel par la seule force de votre caprice, et vous mystifiez le bon peuple qui croit toujours en vous. Vous lui dites que vous ne courez pas après les fonctions et les honneurs, mais vous suspendez tout un pays, son économie, ses réformes qui vous sont si chères, pour une présidence forte, aussi forte que semble désormais l’être votre ego. Il est légitime de vouloir gouverner en position de force, mais la démocratie a ses raisons auxquelles vous devez adhérer mais que vous paraissez ignorer. Mobilisez donc 3,5 millions d’électeurs autour de vous et faites-le donc ! Mais dans le cas contraire, dans le cas présent, soumettez-vous à la volonté populaire que vous dites défendre.
Avec les 183 élus dont vous disposez par les grâces de Hamid Chabat et de Nabil Benabdallah, qui agissent pour des raisons internes à leurs formations et pour des motifs légitimes de légitimes ambitions, vous avez aujourd’hui deux hypothèses de travail pour compléter votre majorité. Soit avec Driss Lachgar, soit avec Aziz Akhannouch, mais vous reprochez au premier de vouloir vous tirer vers le bas et au second d’être venu du haut. A vous de trouver la solution médiane, et vous seriez grandi de la trouver vite.
Driss Lachgar, il est vrai de douteuse fiabilité et de périlleuse compagnie, exige le perchoir en plus d’autres faveurs ministérielles. A vous de lui opposer, si vous le souhaitez, un non franc et massif, mais il faut vous décider
à le faire, sans plus tergiverser. Aziz Akhannouch, certes inopinément et trop rapidement apparu, requiert la reconduction de la coalition sortante. Déclinez, si tel est votre bon plaisir, mais agissez. Et surtout, n’oubliez jamais qu’il est du droit de chacun de poser ses conditions pour vous permettre de gouverner. Vous pouvez refuser ces conditions, mais vous ne pouvez leur dénier le droit de les exprimer. Cela s’appellerait du totalitarisme, et vous n’êtes pas un totalitaire, Ssi Benkirane, ou du moins ai-je la faiblesse de le penser.
Votre porte-voix/porte-flingue/porte-plume Mohamed Yatim a récemment commis une réflexion évoquant la démocratie allemande, la comparant à la ternocratie arabe. Mais cet homme ignore, ou feint d’oublier, qu’en 1998, Joschka Fischer avait été propulsé vice-chancelier d’Allemagne et ministre des Affaires étrangères de Gerhard Schröder avec seulement 6,7% des voix. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’il lui avait permis au chancelier de former un gouvernement !
Ssi Benkirane,
Vous pouvez dire non aux deux, Akhannouch et Lachgar, mais alors vous ne serez plus en mesure de former un gouvernement majoritaire. Il ne vous restera plus alors comme seule et unique possibilité que de reconnaître votre échec. Et il ne vous appartiendra pas d’appeler à de nouvelles élections ; une telle chose ne se décide qu’en conseil de ministres (article 104 de la constitution), lequel ne peut se réunir que quand le gouvernement est légalement constitué, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Ssi Benkirane,
Vous ne parlez plus de tahakkoum, mais vous laissez les autres s’en charger pour vous, insultes à l’appui et en votre nom. Le tahakkoum, pour être clair, est votre manière de suggérer craintivement que le palais tire les ficelles, et vous en prenez aujourd’hui le peuple à témoin. Ce faisant, vous entreprenez un hold-up électoral, un vrai, prouvé et établi, car du petit « v » de votre incontestable mais petite victoire, vous voulez faire le grand « V » d’un triomphe que vous n’avez pas obtenu, même en sillonnant les villes et provinces du pays, sollicitant abondamment vos glandes lacrymales. Las, même avec autant de larmes, vous n’avez pas eu plus de 1,7 million de voix, et 1,7 million de voix ne vous donnent droit à rien de plus qu’à gouverner en coalition.
Alors, Ssi Benkirane, vous adoptez la position de l’éternelle proie, de la sempiternelle victime. Vous faites savoir que vous êtes en déprime, que la dépression vous guette. Vous laissez croire qu’on vous a volé votre volonté de servir et qu’on a, à travers votre personne, spolié le peuple de ses droits. Et quiconque dit le contraire, journaliste, analyste ou éditorialiste, est immédiatement qualifié de vendu, épinglé comme félon, publiquement lapidé (fort heureusement au figuré), copieusement vilipendé. Même au besoin, en mentant un peu… La grande cause du pouvoir absolu du PJD ne s’embarrasserait pas d’un petit mensonge, et même d’une grande mystification.
Ssi Benkirane,
Vous faites aujourd’hui ce que d’autres que vous, sous d’autres cieux, dans d’autres conditions, ont également fait. Vous exposer à tout perdre pour avoir tout voulu. Vous avez eu un mandat 2011-2016 réussi, malgré les légitimes critiques et les salutaires reproches. Vous avez assaini les finances publiques, contribué à instaurer une pratique démocratique, imposé un appareil politique, fait adopter des réformes pourtant problématiques. N’essayez pas d’être plus grand que vous n’êtes ni de voler plus haut que vous ne pouvez. Icare s’y est essayé avant vous…
! آسي بن كيران الله يهديك
* (Reprenez-vous, M. Benkirane !)