Instructions royales et réseaux sociaux, mécanismes de gouvernance au Maroc ?, par Fatiha Daoudi
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- 10 novembre 2016 --
- Opinions
Selon le premier alinéa de l’article 1 de la constitution du premier juillet 2011 : « Le Maroc est une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale ». Par conséquent, le pays a à sa tête un Roi, et il obéit à une constitution qui prône, dans son article 2, la souveraineté du choix du peuple à travers des élections périodiques et la séparation du pouvoir législatif du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire.
Le Roi a des fonctions qui lui sont propres : il est le chef de l’Etat, l’arbitre suprême entre les différentes institutions et le garant de la constitution (article 42), il a l’exclusivité du champ religieux en tant que commandeur des croyants (article 41). Il est également le chef suprême des forces armées (article 53).
Le Chef du gouvernement, choisi au sein du parti arrivé en tête lors des élections législatives est, quant à lui, chargé de former un cabinet qui gère les principaux axes de la vie quotidienne de la population marocaine, et d’assurer sa coordination et son bon fonctionnement. C’est dans ce sens que, pour ne parler que de ces départements, la Santé a son ministre, que l’Education nationale aussi, de même que l’Intérieur, la Justice, les Affaires étrangères... Les différents membres du gouvernement sont tenus de gérer leur département avec célérité et efficience pour ensuite, normalement, rendre des comptes sur leur gestion (articles 93 et 94). Autrement dit, ils sont censés avoir la capacité de gérer et de prendre toutes les initiatives nécessaires.
Depuis quelque temps cependant, ces initiatives, somme toute routinières, se font de plus en plus sur instructions royales. Est-ce à dire que les membres du gouvernement sont incapables de faire le travail pour lequel ils ont été nommés ? Pour prendre l’exemple de la tragédie d’Al-Hoceima, le ministre de l’intérieur n’aurait-il pas pu aller rapidement sur les lieux afin de s’enquérir des faits et rendre visite à la famille du défunt sans avoir à recevoir des instructions ? Et le ministre de la Justice n’aurait-il pas pu diligenter, de son propre chef, une enquête ? Ce genre d’actions devrait pourtant faire partie du travail routinier de ces deux ministres.
Par conséquent,
les instructions royales, quand il s’agit de la quotidienneté du travail ministériel, n’ont-elles pas pour effet de diluer l’action du gouvernement et de mettre trop en avant la personne du Roi qui, du reste, a déjà de lourdes responsabilités constitutionnelles? N’aurait-il pas mieux valu remplacer les ministres défaillants pour la bonne marche des institutions ? La fréquence des instructions royales mène à poser la question suivante : sont-elles en train de s’instaurer en tant que mécanisme de gouvernance ? Auquel cas, elles risqueraient d’inhiber toute initiative gouvernementale.
Nous sommes face également, de nos jours, à une autre source d’influence sur le système politique marocain : celle des réseaux sociaux, depuis leur démocratisation et donc la libre circulation de l’information.
En effet, par leur biais, ce qui se passe dans les parties les plus reculées du royaume est répercuté partout dans le pays et même dans le monde. Cette célérité de l’action civile est quasiment un pied de nez à la lenteur de la machine administrative. Quand il s’agit d’atteinte aux droits humains, elle conduit rapidement à une mobilisation des internautes qui, comme nous l’avons vu dans la tragédie d’Al Hoceima, prend une ampleur nationale et internationale. Deux autres mobilisations ont fait reculer la machine administrative : celle qui remettait en cause la grâce du pédophile Galvan et celle qui a suivi le suicide d’Amina Filali après son mariage avec son violeur. La première a eu pour conséquence l’annulation de la grâce et la deuxième l’abrogation de l’article du code pénal qui permettait au violeur d’échapper à la prison en épousant sa victime.
L’influence des réseaux sociaux est appelée cyberactivisme et est en voie de devenir un véritable mécanisme de gouvernance qui fouille dans la gestion des dirigeants et la remet en cause si nécessité. De ce fait, il semble que les décideurs qui détenaient seuls, jusqu’à récemment, l’information et donc le pouvoir, sont de plus en plus dans l’obligation de la partager et même d’avoir à rectifier leurs actions. Suite à cela, ces dernières se diluent devant l’activisme des réseaux sociaux.
Pour conclure, il semble possible d’avancer que les instructions royales et le cyberactivisme, tout en étant de nature totalement différente, sont en train de prendre place comme mécanismes de gouvernance au Maroc.