Saad Lamjarred, coupable ou innocent... on te soutiendra mordicus !, par Sanaa Elaji
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- 02 novembre 2016 --
- Opinions
Très chers vous, avant de commencer, mettons les choses au point et accordons-nous sur certains principes : l’individu qui se fait agresser et délester de ses biens n’est pas responsable de ce qui lui arrive, comme on pourrait le penser au prétexte fallacieux que « c’est lui qui avait un portable et un portefeuille »… de la même manière que la fille qui se fait violer n’est pas responsable de son agression, quels qu’aient été sa tenue vestimentaire, l’heure du crime, ou son lieu. Dans tous les cas, seul est responsable l’auteur de l’agression.
Voilà.
C’est pour cela qu’il m’est très difficile, à moi et à toute personne imprégnée des droits et de la loi, de comprendre cette très large campagne de soutien dont bénéficie aujourd’hui Saâd Lamjarred et avant même que la justice ne dise son mot sur son cas. Saâd est aujourd’hui incarcéré, en pleine phase d’instruction et la justice française se prononcera sur son affaire. S’il est déclaré innocent, il méritera alors toute notre sympathie et toute notre empathie, non pas parce qu’il est Marocain ou parce que ses chansons nous plaisent, mais parce qu’il aura été victime d’une injustice, et accusé à tort d’un crime qu’il n’aura finalement pas commis. Mais s’il est condamné, alors la seule personne qui devra être soutenue sera sa victime.
Dans l’attente, et quels que soit l’amour et l’admiration que nous lui portons, et aussi malgré le fait que nous partageons la même nationalité que lui, nous ne pouvons lui témoigner de soutien alors même qu’il est poursuivi et mis en examen pour « viol et violences aggravés », sauf si les faits ne sont pas établis. Tous ceux qui crient aujourd’hui « Nous sommes tous Saâd Lamjarred », « Tous solidaires avec Saâd Lamjarred » ont-ils pensé une seule seconde à ce que serait leur réaction si le chanteur est convaincu de viol, jugé et condamné ? Cela signifierait-il qu’ils encouragent le viol ? Cela signifierait-il également que quand nous apprécions un artiste, nous sommes prêts à fermer les yeux sur son comportement, voire même à l’encourager pour la seule raison qu’il est des nôtres, qu’il a réussi ?
Les réactions les plus choquantes dans cette affaire sont celles qui émanent de ceux – et surtout de celles – qui estiment que c’est la fille avec qui il était qui est responsable de ce qui lui serait arrivé, au motif qu’elle l’a accompagné nuitamment dans sa chambre d’hôtel. Le fait qu’elle l’ait suivi dans sa chambre l’autorise-t-il donc à la violer ? Quand on est convaincu et imprégné des valeurs du droit et de l’égalité, on doit être conscient du fait que
lorsqu’une fille part avec un homme dans une chambre, cela ne lui confère aucun droit sur elle, et a fortiori celui de la violer ! Une relation sexuelle doit être consentie par les deux partenaires et si l’un des deux décide de changer d’avis, il appartient à l’autre de respecter son vœu.
Il y a même eu une autre catégorie de femmes, qui ont pensé que la fille qui a porté plainte contre le chanteur est vernie car un homme ayant cette notoriété et cette présence médiatique l’aura remarquée… Comment donc, quand on dispose de quelque entendement, que l’on soit femme ou homme, peut-on légitimer l’idée de violence et de viol commis par un homme, pour la seule raison qu’il est beau, qu’il est célèbre, qu’il est riche ? Ces femmes comprennent-elles que par leur attitude, elles confirment certains hommes riches et célèbres dans leurs pulsions sexuellement violentes… qu’elles les encouragent à violer et à violenter leurs femmes ?
Et puis, imaginons l’idée que l’accusé pour viol n’ait pas été Saâd Lamjarred, qu’il n’ait été ni fortuné ni connu, aurait-on eu les mêmes réactions de soutien en sa faveur ? Sommes-nous donc face à la défense d’un homme déterminé, qui a réussi, ou d’une cause et d’un principe, qui sont intangibles ? Si nous sommes dans le second cas, que nous portons haut les valeurs de défense des femmes et de leur protection contre toute forme de violence, nous n’aurions pas autant défendu Lamjarred, sauf s’il est reconnu innocent ; mais si nous soutenons l’homme, Saâd en l’occurrence, quelles que soient les accusations qui pèsent sur lui, alors cela devrait très sérieusement nous interpeller et soumettre notre conscience à une rude remise en question.
Pour finir, je nous invite à méditer sur la propension que nous avons eue à lourdement condamner une actrice ayant incarné un rôle qui a déplu, bien que cela n’ait été qu’un rôle de fiction. Nous nous sommes tous levés hier, comme un seul homme, comme une seule femme, pour défendre l’honneur… mais nous défendons quand même aujourd’hui un homme accusé de viol.
Il y a quelque chose qui ne va pas bien dans notre relation à la femme… et à l’honneur.
Al Ahdath al Maghribiya (traduction de PanoraPost)
*Le titre original est « Saâd Lamjarred, t7ane mha ! », dans un jeu de mots impossible à traduire de la darija, faisant référence au fameux « t7ane mmou » (phrase qui aurait été prononcée par un agent public à al Hoceima, vendredi dernier, juste avant la mort de Mohsine Fikri dans un camion benne, et qui veut dire ‘écrase-moi ça’) et « t7anha » (ou t7an8a), un terme vulgaire utilisé par un homme voulant expliquer à ses admirateurs qu’il a virilement fait l’amour à une femme.