Rions un peu avec la koutla historique, par Noureddine Miftah

Rions un peu avec la koutla historique, par Noureddine Miftah

Notre appareil politique national a commencé à produire ce surréalisme que tout le monde attendait et dont personne n‘est par conséquent surpris. Les premières images sont tombées, défiant la mémoire vive du pays. Un Chabat, par exemple, qui tient non seulement à échanger les sourires, les rires et les abrazzos avec son ennemi d’hier M. Abdelilah Benkirane, mais qui met sa main dans celle de ce dernier, et les deux hommes lèvent les bras en signe de triomphe… Triomphe de qui et de quoi, sur qui et contre quoi ? Je n’en sais rien !

L’opinion publique ne saurait oublier ce même Ssi Hamid qui avait failli faire tomber le premier gouvernement Benkirane pour on ne sait au juste quelle raison, retirant ses ministres et adressant une lettre au roi… Et après cela, il s’était joint à Lachgar pour se plaindre de Benkirane au palais. Et puis il était allé au parlement pour y traiter le chef du gouvernement de choses inimaginables, l’accusant de rouler pour Daech et aussi pour le Mossad. Et enfin, Chabat avait qualifié Benkirane de corrompu car il dirigeait une imprimerie dont lui, Chabat, avait estimé la valeur à 20 millions de DH, accusant le chef du gouvernement d’instrumentaliser sa fonction à des fins commerciales !

Quant à Driss Lachgar, c’est bien pire encore car jusqu’aux dernières heures précédant le scrutin et l’annonce des résultats, il avait encore attaqué sur le plan idéologique le chef du gouvernement, qualifiant son parti d’obscurantiste et considérant que toute alliance entre l’USFP et le PJD serait un acte de haute trahison contre la modernité et l’idéal socialiste. Mais le voilà, aujourd’hui, « Ba Driss », avec son alter ego Habib Malki, à la recherche désespérée de la présidence de la Chambre des représentants et/ou de quelques ministères, désireux tous les deux de prendre le train en marche et de ne pas rester à quai, fouettés par les vents glaciaux de l’opposition.

Or, ces deux partis anciens et historiques, l’Istiqlal et l’USFP, avaient un jour décidé, sur un coup de tête de leurs jeunes directions qui n’ont pas résisté au premier choc électoral, de s’allier au PAM pour arracher l’obscurantisme de ses racines qui prenaient selon eux dans le pays ! Et voilà donc que le parti de Sdi Allal était devenu, subitement, moderniste, que la Koutla avait grimpé sur un Tracteur qui passait par là et que Chabat et Lachgar étaient devenus les porte-flingues de l’opposition. Le vocabulaire politique s’était alors enrichi de mots et concepts nouveaux et insultants… les ministres étaient ainsi devenus des « poivrots », et on avait même entendu parler des épouses et concubines… jusqu’à ce 4 septembre 2015 où les assurances de Chabat avaient volé en éclats quand  l’homme avait perdu sa grande aimée la ville de Fès et qu’il avait perdu avec tout entendement, au point qu’on le voit cette semaine se vautrer dans l’antre de Benkirane, s’apprêtant à réécrire l’histoire de cette Koutla avec Driss Lachgar et ses 20 députés, et aussi avec Nabil Benabdallah et sa douzaine d’élus.

Ceux qui considèrent aujourd’hui que cette nouvelle alliance entre le PJD et les vestiges de la Koutla est un triomphe de la démocratie sont de doux illuminés. Mais les partis, il ne faut pas l’oublier, sont des créatures vivantes qui peuvent prendre un coup de froid ou un coup de vieux, puis mourir, de même qu’il est possible qu’un parti nouveau émerge de nouvelles tendances profondes de la société et qu’un ancien se voit arraché à cette frange de la société qui l’a soutenu à sa naissance. Dans notre histoire récente, les partis de la Koutla, tels qu’ils avaient été créés


par les fondateurs de cette dernière, ne sont plus forcément les mêmes aujourd’hui : Boucetta n’est pas Chabat, pas plus qu’el Youssoufi n’est Lachgar ; et les choses ne sont pas  nécessairement liés aux personnes mais à leurs orientations et à l’image qu’ont les Marocains des organisations politiques dans leur pays.

Quant à ce qu’on avait appelé un temps les partis de l’administration, on ne saurait comprendre comment ils pourraient aujourd’hui connaître une transition démocratique et ils sont aujourd’hui un mal dont les Marocains gagneraient à se débarrasser. Ces partis, RNI, UC et dans une moindre mesure le MP, ont dépassé  depuis des dizaines d’années la phase de leur naissance et ils devraient maintenant être jugés plus sur leur comportement et leur pratique que sur les vicissitudes de leur création.

Au Maroc, beaucoup d’analyses tournent au vacarme quand elles sont confrontées aux faits. Les acteurs politiques se jouent de nous comme le ferait un prestidigitateur avec ses instruments, entraînant les populations à sacraliser un tel et à diaboliser tel autre, surfant sur cette ineptie politique émanant d’une mauvaise lecture du fait politique national. Et cela a été le cas depuis les batailles homériques entre Istiqlal et USFP  jusqu’à ces alliances avec les partis « cocotte-minute », en passant par l’entrée de Mezouar au gouvernement Benkirane… et aujourd’hui, nous voilà face à ces concertations pour la formation du futur gouvernement, auxquelles les caméras et les flashs ont apporté une sorte d’onction mais une réelle artificialité.

C’est pour cela qu’il faut savoir raison garder avant de se jeter dans les bras de telle partie ou telle autre tant il est vrai que la logique politique dans un pays aussi complexe que le Maroc n’est pas la logique tout court… et parce que les pleurs et les lamentations suite à un décès, si décès il y a bien entendu, se transforment en bêtise volontaire ! Et du fait que M. Benkirane n’a cessé de nous rappeler que l’impossible en politique est… impossible, une victoire démocratique dans le pays ne se mesure pas à l’entrée de Lachgar ou à la sortie de Laenser, par l’entrée de Chabat ou la sortie de Mezouar, par la présence de tant de technocrates dans le gouvernement ou non, ou moins, ou peu, car tout cela, analysé dans le contexte marocain, tiendrait davantage de la métaphysique  que d’une quelconque explication politique. La transition démocratique est tributaire des rapports de force et des convictions profondes des acteurs, et essentiellement des vainqueurs du scrutin du 7 octobre, si tant est que l’on puisse parler de vainqueurs puisque le premier parti n’aura engrangé que 1,5 million de voix alors même que les citoyens en âge de voter dépassent les 20 millions.

Une élection est un instrument démocratique, mais il n’est pas la démocratie. Et pour cela, il nous suffit de nous intéresser à une formation déterminée dont personne, parmi l’élite instruite et informée, ne conteste l’ancrage résolument démocratique. Cette formation est la Fédération de la Gauche démocratique qui, sitôt l’élection passée et en dehors de toute analyse sur ses résultats calamiteux (2 sièges), est en passe de perdre l’un de ses trois éléments constitutifs, à savoir le Congrès national ittihadi ; et un des deux nouveaux parlementaires élus sous ses couleurs, Omar Balafrej, a démarré son parcours législatif dans une sorte de posture d’adolescence politique, portant le couvre-chef de Bensaïd Aït Idder et le vêtement d’Abderrahim Bouabid, évoquant son renoncement à sa retraite de député… De la grande politique dans un (tout) petit verre... bien plus petit que les aspirations des Marocains à la démocratie. Alors commençons par mettre en place les conditions d’un développement fort, dans l’attente de cette démocratie que nous attendons encore.

Al Ayyam (traduction de PanoraPost)