PJD 1er, PAM 2nd, les autres hors-jeu, comment lire ce scrutin ?, par Aziz Boucetta
- --
- 09 octobre 2016 --
- Opinions
Les élections se sont finalement tenues et, sans grande surprise, le PJD est arrivé premier. Il formera et dirigera donc le prochain gouvernement. La grande nouveauté à relever de ce scrutin est l’émergence de deux grands partis nationaux, le PAM et le PJD. Maintenant, la balle est dans le camp du roi Mohammed VI qui, dans les tous prochains jours, désignera le chef du gouvernement. Une première et rapide lecture de l’élection, et de ses résultats, en 10 points.
1/ Le déroulement des élections. Le ministère de l’Intérieur se félicite que tout se soit bien passé, semblant toujours surpris par cela, ce qui est réducteur, voire méprisant, pour les Marocains. Concernant la régularité du scrutin, le CNDH vient d’apporter son satisfecit, tant sur le plan organisationnel que sur celui de l’utilisation illégale de l’argent pour acheter les voix et des personnels et des moyens de l’administration pour influencer les électeurs. Tout s’est donc convenablement déroulé, et il n’y avait pas de raisons que ce soit autrement.
2/ La participation. Avec un taux de 43%, on ne peut que constater une désaffection des Marocains pour les affaires publiques et politiques. Ce taux est inférieur à celui de la législative de 2011, sachant qu’il y a eu 2,7 millions d’électeurs en plus inscrits sur les listes en 5 ans. Le chef du gouvernement sortant Abdelilah Benkirane a souvent affirmé qu’il avait contribué à un regain d’intérêt des populations pour la politique. C’est inexact. Plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui pour dire que les abstentionnistes sont les plus nombreux car sur 25 millions de Marocains en âge de voter, seuls 6,7 millions l’ont fait. Il serait utile que pour 2021, les listes électorales soient supprimées.
3/ Les résultats. L’élection législative 2016 est véritablement « historique » (sans galvauder ce mot plus qu’il ne l’est déjà), en cela que c’est la première fois que deux partis émergent du lot, que les partis du Mouvement national, en détresse idéologique, ont été laminés, et que les partis dits de l’administration, en détresse tout court, sont en voie de disparition. La FGD, quant à elle, a fait bien plus de bruit que son poids réel ne le nécessite. On l’a présentée comme la 3ème voie, mais ce sera pour une prochaine fois.
On constatera quand même que l’abaissement du seuil à 3% n’a pas eu l’effet de balkanisation escompté par les ingénieurs électoraux de l’Intérieur. Il aura juste permis à l’UC et à l’USFP de continuer d’exister, et à la FGD de ne pas mourir.
4/ PJD et PAM. Ce sont désormais les deux grandes forces politiques du pays. Mais ne nous y trompons pas et prenons garde à l’illusion d’optique… le PJD n’existe avec cette puissance que très largement grâce au charisme de Benkirane. Lui parti, sa formation reculera. Concernant le PAM, un très grand nombre de personnes affirment, quoique sans preuves matérielles, qu’il a été dopé à l’argent et « aidé » par l’Intérieur ; une grande partie de ses électeurs ne sont pas forcément convaincus par leur vote, qui était davantage anti-PJD que pro-PAM.
Ces deux partis sont certes dominants aujourd’hui, mais s’ils ne se structurent pas autour d’idées claires (pour le PAM) et autour d’une structure plus que grâce à un leader comme Benkirane (pour le PJD), ils risquent de péricliter à l’avenir. Dans l’attente, une ébauche de bipolarisation se dessine et s’impose dans le paysage politique national.
4/ Les réseaux sociaux. Il s’agit de la première élection dans laquelle les réseaux ont joué un rôle crucial. PAM et PJD sont très présents sur ces réseaux, et la viralité des actions et réactions a fait le reste. Les autres partis, tous, ont ignoré cette nouveauté de l’impact des réseaux sur une élection, et ont été conséquemment ignorés par les électeurs. Ils sont tous en-deçà du seuil des 50 sièges.
5/ Renouvellement du personnel politique. Les « grands noms » sont en passe de disparaître les uns à la suite des autres. Karim Ghellab et Yasmina Baddou ont été rudement sanctionnés. Salaheddine Mezouar ne s’est pas présenté, et Mohand Laenser non plus, de même que plusieurs autres secrétaires généraux. Nabila Mounib, la star des réseaux et la passionaria du peuple, n’a pas convaincu ledit peuple, un an après les communales où elle n’avait pas été élue. Nous assistons à un renouvellement des élites politiques, et il reste à espérer que le mouvement
se poursuive et se prolonge dans les états-majors des partis.
6/ Maintien des islamistes. Le Maroc était le seul pays où un gouvernement d’obédience « islamiste » s’était maintenu après les printemps arabes. Il est aujourd’hui encore une fois le seul qui conservera ces mêmes islamistes au gouvernement (pour le pouvoir, on attendra), et même après une expérience gouvernementale mi-figue mi-raisin. Fait nouveau, les salafistes ont été battus, qu’ils aient été mis en avant par l’Istiqlal ou par d’autres formations. C’est heureux, la religion n’a pas sa place en politique, et la religion extrême encore plus. Seul le roi marie religion et politique, et il doit rester le seul à le faire.
7/ Le ministère de l’Intérieur. S’il est normal, naturel et universel que les manœuvres, manipulations et attaques politiques soient le lot préalable à toute élection, il serait utile que le ministère de l’Intérieur se trouve une place plus normale au sein des institutions publiques. Les derniers échanges aigres-doux entre Hassad et Benkirane ne sont pas dignes d’une démocratie naissante, et, n’en déplaise au ministère, il aura prêté le flanc à toutes ces accusations de ministère anti-PJD et pro-PAM (communiqués à répétition). On ne prête qu’aux riches, dit-on…
8/ la formation de la coalition majoritaire. Le bloc PJD-PPS (137 sièges) aura besoin d’au moins deux partis supplémentaires pris dans le trio Istiqlal, MP et RNI. Si les choses se passent normalement et que seuls les facteurs politiques clairs interviennent, la majorité devra être assez aisée à réunir. Mais moralement, cela serait très difficile car le RNI et l’Istiqlal ont dit des choses graves sur le chef du gouvernement sortant et il serait légitimement difficile qu’ils acceptent de s’allier à lui. Et avec le seul MP, le bloc PJD-PPS n’obtiendrait pas la majorité requise de 198 députés.
9/ Que fera le roi ? Il a une autre logique que celle du peuple. Lui, il est roi, et représente tous les Marocains. Or, seuls 2 millions (selon les chiffres PJD) ont voté PJD, et donc Benkirane. 4,6 millions d’électeurs ont voté pour d’autres, ou pour personne, mais contre le PJD et Benkirane ; et sur 25 millions de gens en âge de voter, qui n’ont pas voté ou qui ne se sont pas inscrits, seuls 2 millions veulent Benkirane. Si le PJD doit constitutionnellement diriger le prochain gouvernement, il est possible que Mohammed VI choisisse un autre personnage moins controversé que Benkirane qui, lui, n’a recueilli les voix que de moins de 10% des Marocains en âge de voter. Mais peut-être que le roi a une autre logique.
10/ Un gouvernement d’union nationale. Les politiques poussent des cries d’orfraie à cette seule idée… mais à analyser plus clairement les choses, le Maroc traverse une phase difficile, à tous les niveaux et doit disposer d’un gouvernement fort et puissant. Au niveau sociétal, nous avons un PJD conservateur qui essaie de sortir de son positionnement idéologique et un PAM « moderniste » qui œuvre à s’ancrer plus dans la Tradition. Sur le plan diplomatique, le Maroc est en froid avec l’Union européenne, en délicatesse avec l’ONU, en période transitoire avec l’Union africaine, et en pleine mutation avec ses partenaires traditionnels. Economiquement, l’industrialisation est lancée à marche forcée, et le dirham est en passe de devenir convertible. Pour toutes ces raisons (nous y reviendrons plus en détail), PAM et PJD étant désormais les deux grandes forces politiques du pays, ils doivent apprendre à plus se parler et à moins se haïr. Et leur majorité serait la plus solide, avec 237 sièges. Quel meilleur endroit pour cela que le gouvernement ? Mais cela supposerait comme préalable et condition l'absence d'Abdelilah Benkirane et d'Ilyas el Omari de ce gouvernement ; et cela passerait nécessairement par la nomination de quelqu'un d'autre que Benkirane, au sein du PJD, à la présidence du gouvernement, et la non entrée d'El Omari dans ce même gouvernement. Ce sont eux qui se détestent et qui empêcheraient une telle configuration.
Vendredi 7 octobre au soir, le grand vainqueur est la société marocaine, capable d’organiser un scrutin, de le vivre, de clarifier la scène politique, de lui apporter plus de logique et de cohérence, sans que personne – sauf quelques hurluberlus – ne conteste les résultats. Si l’élection 2016 a consacré la bipolarisation, celle de 2021 devrait la confirmer. Dans l’intervalle, il serait bon d’avoir un gouvernement fort, avec des ministres compétents, représentant les deux grandes tendances de la société.