Plaidoyer pour la désaffection électorale et l’abstention, par Noureddine Miftah

Plaidoyer pour la désaffection électorale et l’abstention, par Noureddine Miftah

Pour de nombreuses personnes au Maroc, tout conduit à l’écœurement pour la politique… Ainsi, à l’exception de la parenthèse ouverte en ce jour du 20 février 2011 et qui s’est maintenue durant quelques mois, les Marocains sont revenus à leurs anciennes habitudes et convictions, à savoir que tout peut se faire et continuer de se faire, sans politique.

A leurs yeux, la politique n’est pas la voie pour rendre justice aux précarisé(e)s, ni le chemin pour encourager les ambitieux, ni le moyen pour lever les injustices, ni la solution pour améliorer l’enseignement et aménager les centres de soins pour qu’ils ressemblent à des centres de soins…  Et il y a du vrai dans tout cela, et il y a encore plus de vrai et de raisons dans cette propension à la désillusion, qui se traduit par la désaffection électorale.

Cette désaffection n’est ni une forfaiture ni un renoncement au devoir, au sens absolu… Non. Il s’agit d’une réaction à une accumulation de choses : une action partisane décousue, un défaut de considération pour les institutions, des comportements confinant bien souvent au surréalisme de la part des personnels politiques, les uns étant analphabètes, d’autres opportunistes, d’autres encore arrivistes et une autre catégorie formée de guerriers et de porte-flingues divers. Il reste seulement une poignée de responsables politiques honnêtes, efficaces et intègres, mais ils sont noyés dans cette masse obscure et ténébreuse. Ajouté à cela, des années, des décennies de manœuvres, manipulations et interventions toutes plus malheureuses les uns que les autres, submergeant les quelques initiatives, prises ça et là, de loin en loin, qui restent aussi exceptionnelles qu’un cheveu sur la tête d’un chauve.

Ces éléments constituent autant de raisons pour ne pas se sentir concerné par les élections, et sont encore plus renforcés avec ce qui est en train de se produire en préparation au scrutin du 7 octobre prochain, avec le tumulte et le vacarme, les insultes et attaques, les divisions et confusions auxquels on assiste tant dans les rangs de l’opposition que dans ceux de la majorité, ou ce qu’il en reste. Des déclarations à l’emporte-pièce, des investitures qui ne respectent aucune logique, l’enchevêtrement des fins et des moyens. Pourquoi tout cela ? A défaut de répondre, on perd espoir, et en perdant espoir, on perd l’envie de voter.

Mais en dépit de ces incontestables faits et méfaits, j’estime que les raisons de participer sont plus pertinentes, car sans l’implication politique lors des années de plomb nous ne serions pas arrivés à cette réalité, si obscure soit-elle… et sans la participation à toutes ces élections lourdement truquées, avec leur urnes volées et tripatouillées, jamais la falsification des résultats n’aurait cessé, jamais les concessions présentées à la nation n’auraient été faites, quelle que soit leur envergure, et jamais la réforme n’aurait eu autant de marge.

Le changement se fait par la participation, sans que la participation ne soit une condition préalable à ce changement. Ceux que nous voulons voir disparaître de notre univers, parce qu’ils sont source de nos désillusions, de nos déceptions et de nos crispations, ne partiront jamais de leur propre chef, quittant le pouvoir – ah le pouvoir !...  –, car ils ne déguerpiront que contraints et forcés, tous les cinq ans, par le vote, contre eux, contre leur présence et leur inconsistance. Et à l’inverse de ce que pensent tous ceux qui pensent abstention, une voix, chaque voix, compte et permet d’orienter la société.

Toute voix manquante aux conservateurs est une trahison commise à leur encontre, et chaque voix qui ne vient pas s’ajouter à celles des modernistes est une félonie contre eux. Chaque voix perdue contribue à donner une image fausse de la maturité de notre société tiraillée entre une douteuse spécificité et une ouverture tant recherchée. Cette voix doit être volontaire et non déléguée car il n’est pas possible de compter sur d’autres que moi pour me donner la majorité que je souhaite… Quiconque aspire à voir triompher une couleur, un courant, un discours, un projet ou une orientation doit aller l’acheter dans un bureau de vote où la vente ne se fait pas avec l’argent, halal


soit-il ou haram, mais avec la conscience et le droit de choisir. L’achat des projets proposés à la vente permet le changement, même le changement lent, car il est vrai que ce changement, aussi lent et poussif qu’il puisse être,  reste meilleur que l’avancée de l’indifférence et la désaffection.

La leçon de l’indifférence est claire, ainsi que nous l’avons exposé, et cette indifférence est d’autant moins compréhensible à la lumière de l’espoir, qui ne meurt qu’avec la mort de celui qu’il anime.

Dans le Maroc aujourd’hui, nous n’avons plus besoin d’une majorité silencieuse, mais d’une majorité qui ose, une majorité qui cause, qui s’impose et qui dispose, au nom du droit à la différence et du droit de choisir et de s’exprimer, une majorité enthousiaste et non avachie, une majorité insistante et rebelle à l’égard de celles et ceux qui la représenteront. Nous voulons un peuple qui ne soit pas conduit et contraint, mais un peuple qui exige et qui ne transige guère, qui aspire à prendre son destin en mains.

Et pour cela, pour tout cela, seules les urnes restent.

De ces urnes sortiront les sorts des équilibres macroéconomiques, des salaires, de la fonction publique, de l’emploi, des impôts, des libertés, des médias et de la situation des hôpitaux, de la configuration du monde rural, de la lutte contre la corruption, avec quelque chance de succès… Des mots que ceux-là certes, des mots ternis à force d’avoir été ressassés, mais le tort ne leur incombe pas car ce ne sont que des mots ; le tort revient à l’indifférence qui permet aux voleurs de slogans et aux artistes de la démagogie de gouverner, aux brigands, aux concussionnaires et aux corrompus de siéger dans les instances et les institutions et de promulguer les lois qui nous régiront..

Participer aux élections n’est pas un blanc-seing donné à une réalité que je sais ne pas être à la hauteur des aspirations des Marocains qui ont payé cher pour une démocratie qui tarde à venir… non, la participation est une arme placée entre les mains des électeurs pour terroriser ceux qui ont fait un métier de la représentation populaire pour détourner les affaires publiques de leur noble dessein. Notre voix donnée aux socialistes ou aux islamistes, aux modérés ou aux modernistes, à cette couleur ou à ce symbole… notre voix, si elle est accordée après réflexion et conviction, peut réaliser des miracles et nous sauver de cette misère morale qui est la réponse et la réaction de ce désespoir de voir encore et toujours les mêmes, ceux qui ont jeté les Marocains dans les affres de la précarité, face à une poignée de riches… dans un pays qui s’est fait connaître par sa propension à afficher les plus grands écarts sociaux dans le monde.

Quant au bilan du gouvernement ou d’ailleurs, il n’intéresse pas grand-monde car les gouvernants gèrent de grands équilibres qui n’enthousiasment guère le commun des mortels, lesquels en sont encore au vote de confiance, à la virginité politique et au changement des visages et des noms habituels. Bien qu’en ville, le vote soit plus politique, cela reste marginal au regard de l’abstention qui l’accompagne… On peut dire qu’un démon sorti d’urnes à forte participation est meilleur qu’un ange porté par une poignée de votes, car il n’aurait pas vraiment de légitimité… et sachant qu’en politique, il n’existe ni ange ni démon mais des gestionnaires qui ont la solution et le courage de l’appliquer, pour chaque problème, en plus d’avoir la capacité et la science pour se gérer eux-mêmes, comme on dit et comme on sait, du fait qu’ils prennent appui sur la fonction publique pour servir leurs intérêts privés.

En sport, on a coutume de dire aux perdants que l’essentiel est de participer… pour le scrutin du 7 octobre, si la participation est forte, l’identité et la nature du gagnant n’auront pas trop d’importance, voire resteront un détail car alors, la réforme, et quelle que soit la majorité qui la conduira, sera portée par une réelle légitimité.

Dans l’attente, bonne fête d’al-Adha.

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Remarque : le titre de cet éditorial est volontairement trompeur, mais une tromperie salutaire pour conduire ce plaidoyer, en réalité, en faveur de la participation !

Al Ayyam (traduction de PanoraPost)