M. Benkirane, pourquoi ce MUR du silence sur l’affaire Benhammad et Nejjar ?, par Aziz Boucetta
- --
- 24 août 2016 --
- Opinions
M. Benkirane, vous êtes le chef désigné du gouvernement, le chef incontesté du PJD et le chef moral du MUR, le Mouvement Unicité et Réforme qui est aujourd’hui sur toutes les lèvres. Vous qui êtes si prompt à parler de tout et de n’importe quoi, qui déclenchez votre puissance verbale contre les autres au premier impair, pourquoi vous murez-vous aujourd’hui dans un silence qui ne peut être que coupable, voire complice ?
Coupables, Fatema Nejjar et Omar Benhammad le sont assurément aussi. Sur les plans juridique et judiciaire, il revient aux juges de se prononcer. Mais moralement, Mme Nejjar et M. Benhammad sont coupables. Ne le sentez-vous pas ? Ne le ressentez-vous pas ? Pourquoi ne l’admettez-vous pas ? Craignez-vous d’en parler et de trébucher sur le seuil électoral ?
Le MUR est la matrice spirituelle et religieuse du PJD et son prolongement dans la prédication et l’éducation des masses. Omar Benhammad et Fatema Nejjar sont deux personnalités éminentes du MUR, et Benhammad avait affirmé que « le partenariat du MUR avec le PJD est pérenne, clair et revendiqué ». Ne pensez-vous pas que le PJD devrait réagir, qu’il aurait même dû, déjà, réagir ?
Les deux personnes ont été d’abord suspendues du Bureau exécutif du MUR puis, quelques heures après, Mme Nejjar a démissionné de ce même Bureau et son « compagnon » en a été limogé. Mais ils n’ont pas été exclus du MUR, pas plus qu’ils n’ont été exclus du PJD, dont ils sont membres. Et dans son communiqué annonçant leur suspension pour entorse « aux principes et aux valeurs du MUR », le Mouvement a jugé utile de louer « leurs efforts et leurs apports » en matière d’éducation et de prédication.
Cette affaire, M. le chef du gouvernement, aurait pu relever de la vie privée des deux (ex) vice-présidents du MUR. Mais non, cela n’est pas possible et vous le savez très certainement. Vous connaissez parfaitement leurs prises de position dans leur mission éducative et dans leur fonction prédicatrice. Ils sont responsables d’un organisme public et se sont largement immiscés dans la vie privée des gens, des jeunes surtout. Leurs agissements dans le privé doit refléter leur enseignement public et s’ils ne se privent pas de se retrouver dans l’espace public, c’est à vous de leur rappeler publiquement les privations qu’ils imposent à leur public.
M. Benkirane, voici très exactement trois semaines, vous avez signé de votre main un communiqué du PJD, affirmant littéralement que « l’atteinte à la vie privée des personnalités publiques et de l’ensemble des citoyens est une infraction religieuse, légale et morale», et que « le Secrétariat général affirme que les positions et conceptions du parti sont exprimées par ses communiqués et par son Secrétaire général». Le fait
que le PJD ne se soit pas prononcé indiquerait donc, au choix, que 1/ cette affaire est résolument publique, ce qui impliquerait une réaction de votre part puisque les deux personnages appartiennent à votre mouvement, ou que 2/ elle est privée et alors vous devriez prendre leur défense puisque « l’atteinte à la vie privée des personnalités publiques et de l’ensemble des citoyens est une infraction religieuse, légale et morale ».
Qui ne dit mot consent, dit-on… votre silence implique que vous consentez, mais à quoi ? A leur mariage coutumier ? A leur sanction en demi-teinte ?
M. Benkirane, les deux personnages en question et en accusation aujourd’hui sont des prédicateurs purs et durs, le foulard sûr et la barbe drue, avec ce que cela comporte comme rigorisme. Ils ont parlé, interdit, sermonné, menacé, au nom du MUR, et donc du PJD. Votre silence est encore plus coupable que leur acte, car ces gens-là ont menti à vos ouailles en adoptant un comportement contraire à leurs « enseignements ». Est-ce là le « maâqoul » dont vous nous abreuvez à chacune de vos prises de parole ?
M. Benkirane, durant cinq ans, vous avez montré, malgré vos dénégations, que le PJD et le MUR comptent bien plus à vos yeux que le pays et sa société. Vous avez couvert le couple de ministres qui escomptait convoler en juste (et seconde) noce, bien que la bigamie ne soit (encore) moralement permise que dans certains cas. Vous avez couvert votre ministre de la Justice, et même abondé dans son sens, quand il plaidait pour le crime d’honneur face aux gens du Conseil national des droits de l’Homme. Et aujourd’hui, vous couvrez par votre mutisme les actes douteux, ou l’acte coutumier, de Fatema Nejjar et Omar Benhammad.
M. le chef du gouvernement, vous parlez, vous et les vôtres, invariablement, systématiquement de « tahakkoum » (hégémonie et mainmise), avec « ﺡ ». Votre attitude aujourd’hui est aussi du « tahakkoum », mais avec « ﻫـ », ce qui signifie sarcasme voire cynisme. Quoi que fassent les autres, ceux qui ne vous soutiennent pas, est mal, et quoi que fassent vos frères et vos alliés, ceux qui vous suivent, est bien. Est-ce ainsi que vous voyez l’avenir de ce pays, dans une logique de secte ?
Sachez, pour finir, M. le chef du gouvernement, vous qui œuvrez à rester en fonction encore quelques années, que le pays a besoin certes de réaliser les équilibres macroéconomiques et de multiplier les investissements, ce que vous avez très certainement réussi, et même bien réussi, mais qu’il a aussi et surtout besoin de bâtir une société apaisée et réconciliée, cette société qui n’a jamais été autant divisée que sous votre mandat, par la faute des tartuffes et des faux-dévots que vous semblez couvrir, et donc défendre, par votre MUR du silence.