Autocritique rétrospective, par Noureddine Miftah

Autocritique rétrospective, par Noureddine Miftah

Depuis l’été dernier, la diplomatie marocaine occupe le devant de la scène, avec des hauts et aussi des bas, en posture d’attaque mais également repliée en défense, dans des situations quelque fois alarmantes, surtout quand on sait que la priorité de cette diplomatie est le Sahara.

Cette année écoulée, la tonalité des discours royaux s’est durcie, allant même jusqu’à s’en prendre aux Etats-Unis d’Amérique en les accusant de comploter contre le monde arabe. L’affrontement le plus virulent a été toutefois celui qui a opposé Rabat au Secrétaire général des Nations Unies, lequel a fait l’objet d’une manifestation populaire contre lui ; les choses ont été jusqu’à l’expulsion de la composante civile de la Minurso au Sahara, et tout cela en raison de ce mot d’ « occupation » employé par Ban Ki-moon pour qualifier la présence du Maroc dans ses provinces Sud, quand il se trouvait dans les murs (ou les tentes) de la RASD.

En cette période déjà, l’auteur de ces lignes avait manifesté son inquiétude quant à la politique d’escalade, sans doute insuffisamment calculée, qu’avait suivie le Maroc. Mais aujourd’hui, il se trouve que le temps a montré que ces inquiétudes n’étaient pas fondées, pour diverses raisons dont la principale est la récente offensive du Maroc en direction de l’Union africaine.

Ainsi, analyser sans disposer de toutes les données est comme marcher dans les ténèbres. Et de fait, l’opinion publique marocaine aura remarqué que bien des affaires importantes la concernant restent empreintes de confidentialité avant de sortir brusquement à la lumière du jour et de devenir publiques. Le meilleur exemple en est encore ce « grand coup » porté en Afrique. Mais il existe des gens qui expliqueront, à juste titre, que certaines opérations stratégiques ne peuvent vraiment avoir des chances de succès qu’en restant secrètes le temps qu’il faut.

Et globalement, on dira que c’est finalement le résultat qui compte.

Cependant, il semblerait que ces prises de risque du Maroc auront donné le sentiment que le pays joue désormais dans la cour des grands, ce qui lui a conféré une meilleure stature au niveau africain. Ainsi donc, ce Maroc aux moyens si modestes a pu défier la France, les Etats-Unis, l’Union européenne, le secrétaire général des Nations Unies, l’Egypte, la Suède et bien d’autres encore. Et donc, malgré son importance, la question du Sahara est aujourd’hui dépassée pour le Maroc… dépassée pour ouvrir sur d’autres ambitions qui seront à la mesure des moyens qu’il s’est donnés. Parmi ces ambitions, tenir un rôle de leader en Afrique et parler en son nom pour contribuer à lui assurer le rôle qui est le sien et qui se fonde sur plusieurs légitimités que sont l’histoire, l’économie, la spiritualité, l’identité et la politique…Tout cela se trouvait dans le contenu de la lettre royale adressée aux dirigeants du continent, réunis en ce 27ème Sommet de juillet à Kigali.

Par ailleurs, les appréhensions nées de la résolution 2285 adoptée par le conseil de sécurité de l’ONU le 29 avril dernier et donnant au Maroc un délai de trois mois pour restaurer dans leurs fonctions les éléments expulsés de la Minurso se sont finalement transformés en non-événement. Il y a eu des négociations, certains fonctionnaires internationaux sont revenus à leurs postes et les choses en sont restées là alors même qu’on s’attendait à des moments pénibles pour le royaume.

Ce bras de fer a donc finalement porté ses fruits, en dépit des récriminations de nombre de diplomates à New York accusant le Maroc de ne pas s’être conformé aux résolutions de l’ONU. Et si l’attitude du Maroc a porté ses fruits, disions-nous, c’est parce que l’affaire du Sahara est passée du stade où le Conseil de sécurité pesait de toutes ses forces pour élargir les attributions de la Minurso aux droits de l’homme à celui où il en a été réduit à débattre du bien-fondé de son existence ou de son retrait, du volume de ses forces et de leur nature… et le Maroc, entretemps, a vogué vers d’autres cieux et s’est mis à réfléchir à aller vers ses pairs en Afrique.

A elle


seule, la politique ne suffit pas à imposer un pays dans le concert des nations, et c’est pour cela que l’approche économique, fondée sur l’expérience, l’expertise et l’investissement a été cruciale pour le Maroc pour s’imposer face à ses adversaires et ses concurrents. En effet, il n’est pas facile pour un pays resté 32 ans en dehors d’un cénacle africain qui lui a été si hostile de réunir autour de sa demande d’adhésion  28 signatures sur un total de 54 Etats, 28 nations qui ont en outre demandé la suspension de cette chose appelée RASD. Cette seule performance fait oublier les débats juridiques et politiques de la présence du Maroc aux côtés du Polisario, et nous suivrons les péripéties à venir avec passion dans les mois qui viennent.

En dehors de ce dossier suivi personnellement par le roi Mohammed VI, nous avons vécu tout au long de cette année, depuis l’été dernier, la longue procédure d’éloignement des conséquences et répercussions des événements de 2011. Ainsi, et à la méthode marocaine, nous avons vu cette transition menée collectivement, par tous… entre ceux de la majorité qui voulaient poursuivre ce qu’ils considéraient comme de grandes avancées et ceux de l’opposition qui aspiraient à clore cette parenthèse d’un printemps devenu automne, bien que la ligne de démarcation entre les deux camps soit restée très floue…

En effet, l’Istiqlal, ci-devant ennemi féroce du PJD, en est devenu l’ami incontournable, tandis que le RNI, au gouvernement, s’est comporté comme un adversaire mordant. Et puis les choses se sont fort compliquées depuis l’élection d’Ilyas el Omari à la tête du PAM, quand Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement et du PJD, a décidé d’en faire sa cible principale et première, face au silence absolu de l’intéressé, contrairement à ce qu’avait fait Chabat du temps où il échangeait les noms d’oiseaux avec Benkirane.

Et ces conflits, le chef du gouvernement les a étendus au roi quand il a affirmé qu’il existe au Maroc deux Etats, dont l’un échappe au contrôle du chef de l’Etat, et aussi quand il a été question de ce fameux agacement royal contre Benkirane et que ce dernier a dit que même si c’était le cas, c’était une affaire entre lui et le souverain… alors même que c’est le chef du gouvernement qui a impliqué le roi en racontant des choses étranges comme ce cadeau fait par Mohammed VI à Mme Benkirane mère.

Mais plus globalement, on peut affirmer que le chef du gouvernement occupe seul la scène politique… et bien que ses discours soient forts et dénués de langue de bois, la stratégie du silence éloquent de ses adversaires et l’absence d’Abdallah Baha, l’homme qui chuchotait à l’oreille de Benkirane, ont conduit celui-ci, pourtant féroce animal politique, à accumuler les fautes, même quand il dit la vérité… comme quand il suggère de chercher un autre que lui pour titiller le roi, qu’il le titille verbalement sans mettre en œuvre la compétition des pouvoirs prévue dans une constitution dont l’interprétation tient une part importante dans sa mise en œuvre.

En septembre, à la rentrée, nous reprendrons au même rythme, et dans ces derniers mètres qui nous séparent des élections, personne ne pourra imprimer une autre orientation à ce débat dont le mot d’ordre est devenu « le tahakkoum » (emprise, hégémonie). Mais les compétiteurs doivent savoir que l’enjeu de ce scrutin n’est pas, n’est plus le pouvoir ou le gouvernement seulement, que les fables de la virginité politique et du « maâqoul » (sérieux) sont bel et bien épuisées, et que les gens attendent encore, et toujours, de relever la tête, d’avoir plus de dignité, de voir leurs vies et leurs droits protégés ; les Marocains ne veulent ni prédicateurs ni donneurs de leçons.

Ainsi, et quels que soient les résultats de ces élections, on pourra s’attendre aux alliances les plus improbables, mais on retiendra que le Maroc a su traverser la zone de turbulences, grâce aux efforts et à l’implication de tous. Nous espérerons encore l’achèvement de cette interminable transition politique et l’accélération de notre développement, nonobstant la personne du vainqueur, à l’amitié bien placée ou à la spiritualité surclassée…

Al Ayyam (traduction de PanoraPost)