Mohammed VI : les dits, non-dits et sous-entendus du discours du Trône
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- 30 juillet 2016 --
- Opinions
Le discours du Trône, le 30 juillet, est traditionnellement l’occasion de faire le point sur les événements de l’année écoulée. Et cette année a été riche de ces événements, tant sur les plans économique, politique que diplomatique. L’année 2016, consacrée « année de la fermeté », a dit Mohammed VI dans son discours de cette année. « Cessez d’instrumentaliser le roi », découvrons-nous mieux en interne et ouvrons-nous plus sur le monde !, tels sont les grandes idées de ce discours.
Le chef de l’Etat a donc parcouru plusieurs thèmes, la politique, le développement, l’Afrique, l’ancrage économique du pays, les Marocains du monde… Sur un ton désormais habituel de fermeté et de clarté, simple, il a fait sa lecture de ce qui s’est passé depuis le 30 juillet 2015.
La politique, ses abus, ses dérapages et la nécessité du recadrage
Dans son discours, Mohammed VI a rappelé, à toute fin utile, qu’il est au-dessus de la mêlée politique, et qu’il est « le roi de tous les Marocains, candidats, électeurs et aussi ceux qui ne votent pas ». Alors, nul besoin de l’impliquer dans les luttes intestines et partisanes et « tous les acteurs, candidats et partis confondus, doivent, donc, se garder de l’instrumentaliser dans quelque lutte électorale ou partisane que ce soit ».
Une réponse directe et frontale à la controverse que se livrent Ilyas el Omari et Abdelilah Benkirane sur « la colère du roi contre le chef du gouvernement ». Mais aussi un rappel à l’ordre, il faut le dire, au chef du gouvernement qui ne cesse de citer le roi dans tous ses discours : « Il m’a dit… », « il m’a réveillé »…, « c’est mon chef »…, « il m’a fait un présent »… « Qu’il me jette en prison… », un rappel à l’ordre, également mais dans une moindre mesure, à el Omari, qui tacle continuellement Benkirane sur sa relation avec le roi, sauf qu’el Omari n’est pas chef du gouvernement…
Mohammed VI l’a dit sur tous les tons, il est le roi de tous les Marocains, il est le roi de tous les partis, et que chacun fasse son œuvre, comme il se doit, en choisissant des candidats compétents et intègres. Or, c’est là que le bât blesse car si la compétence peut se mesurer à l’action et aux résultats, l’intégrité est à géométrie variable, et l’intégrité morale est la plus difficile à définir…
Et puis, un recadrage frontal du chef du gouvernement Abdelilah Benkirane qui, à trop parler, dérape souvent, comme sa récente saillie sur l’existence de deux Etats au Maroc, dont l’un échapperait au contrôle du roi, disait-il lors d’un meeting devant ses partisans. Mohammed VI ne pouvait s’adresser qu’à lui en disant que « ce qui est étonnant, c’est de voir certains se livrer, dans leur quête des voix et de la sympathie des électeurs, à des pratiques qui sont contraires aux principes et à l’éthique de l’action politique, proférer des déclarations et utiliser des termes préjudiciables à la réputation du pays et attentatoires à l’inviolabilité et à la crédibilité des institutions. Je saisis cette occasion pour attirer l’attention sur des agissements et des dépassements graves commis en période électorale. Il faut les combattre, et en sanctionner les auteurs ».
En effet, parler de deux Etats est une « déclaration » faite en « termes préjudiciables à la réputation du pays », qui portent atteinte et décrédibilise les institutions ». Comment alors sanctionner leur(s) auteur(s) ? Probablement, si ça continue, en leur retirant sa confiance ! Et nommer quelqu’un chef du gouvernement est une marque de confiance s’il en est… Benkirane, tout à sa campagne électorale et à son vœu de rempiler pour 5 ans, devrait mieux calibrer ses diatribes s’il souhaite conserver quelque chance de rester en lumière.
Et, plus généralement, et là, tout le monde est concerné, tant el Omari du PAM que Chabat de l’Istiqlal, en plus de Benkirane, et les autres… « Dès que la date des élections approche, on assiste à une frénésie quasi-résurrectionnelle où règne le chacun pour soi, et où personne ne connaît plus personne. Tous, gouvernement et partis, électeurs et candidats, perdent la tête (…). Là, Je dis à tout le monde, majorité et opposition : Assez de surenchère patriotique dans des règlements de compte personnels ou la quête d’intérêts partisans étriqués ! ». En effet, la politique y gagnerait en crédibilité et en intégrité, et même en intelligence.
On peut également voir dans ce passage du discours un rappel à l’ordre des internautes car le roi évoque les électeurs, et les électeurs sont sur les réseaux, avec les insultes, les accusations et les attaques plus virulentes et personnelles les unes que les autres. On se calme, on respire bien et on reprend depuis le début, ou du moins on essaie. Le rappel à l’ordre est pertinent et salutaire, s’il est suivi d’effet, mais comme chacun « perd la tête », on peut être pessimiste quant au résultat de ce rude rappel à l’ordre...
La corruption
Mohammed VI note la généralisation de la corruption dans le pays, et admet sa « normalisation ». Mais il indique que la lutte contre ce fléau est l’affaire de tous, Etat et société, et qu’elle « ne doit pas faire l’objet de surenchères ». Or, c’est le cas, avec un chef du gouvernement qui dit avoir été « battu » par les corrupteurs, dans une tentative de s’attirer la sympathie des électeurs, et aussi avec des partis d’opposition qui en font un cheval de bataille électorale plus, bien plus qu’un objectif sérieux de leur politique.
Cela étant, le roi introduit une nouvelle définition de la corruption, qui est celle du « manquement à son devoir ». Intéressant car alors la corruption est plus répandue que l’on ne pourrait penser. En effet, faire de la politique politicienne est un manquement au devoir, de même que la surenchère politique qui détourne ses auteurs de l’accomplissement de leurs tâches. Personnels politiques qui attaquez vos adversaires bille en tête et qui, par conséquent, ne faites pas votre devoir envers votre pays et vos citoyens, attention, vous êtes au bord de l’accusation de corruption ! On le savait certes, mais cela a aujourd’hui le mérite d’être clairement dit par la plus haute autorité de l’Etat.
Cependant, quand Mohammed VI dit que « la société dans toutes ses composantes, (doit réprouver) cette pratique, en dénonçant ses auteurs et en inculquant le devoir de s’en démarquer », il fait une sorte de vœu pieux car si « les valeurs marocaines authentiques sont la vertu, la probité et la dignité », cela remonte au passé et ne s’applique que difficilement à la société actuelle faite d’apparences, d’incivisme, de course à la fortune, licite ou non, et au pouvoir, explicite ou non…
L’économie et l’investissement, la priorité
Mohammed VI revient sur les installations des grands groupes internationaux, qui n’investissent chez nous que parce qu’ils sont convaincus de la prospérité de leurs investissements. Et il évoque Peugeot, les Chinois (dont l’arrivée dans la Région de Tanger a fait l’objet de tant de polémiques politiciennes entre PAM et PJD), et les Russes.
Cela étant, il ne faut pas pour autant s’endormir sur ses lauriers, car il faut, dit le roi, « un travail sérieux pour relever la compétitivité de l’économie nationale, et assurer l’évaluation objective des politiques publiques et la mise à jour continue des stratégies sectorielles et sociales ». En disant cela, Mohammed VI reprend l’esprit du rapport annuel du wali de la Banque centrale qui avait insisté sur ce point. Il ne s’agit donc plus de verser dans les effets d’annonces, en égrenant les plans sectoriels, en déroulant des chiffres que personne ne peut vérifier et en insistant sur une accélération industrielle que peu de gens voient et qui reste à prouver, au-delà du discours enthousiaste et auto-satisfait. Il faut donc « un travail sérieux » pour évaluer ces politiques publiques et actualiser les stratégies sectorielles, ce qui indiquerait que le travail jusque-là n’est pas bien sérieux puisqu’il est plus dans la com que dans le fait. Les ministres visés se reconnaîtront…
La sécurité, ou la nécessité de moyens,
le besoin de moralisation et l’impératif de synchronisation
Le Maroc est un havre de sécurité, et doit le rester. Pour cela, il faut conférer encore plus de moyens aux services qui en sont en charge, et le roi admet l’insuffisance de leurs moyens, invitant « le gouvernement à assurer à l’Administration sécuritaire les ressources humaines et financières qui lui sont nécessaires pour remplir ses missions comme il se doit », car les personnels chargés de la sécurité du pays « sont à pied d’œuvre de jour comme de nuit, vivent sous pression et s’exposent au danger dans l’exercice de leurs fonctions ».
Des louanges ont été adressées en creux à Abdellatif Hammouchi, patron de la police "secrète" et de la police tout court. A deux reprises :
1/ En disant qu’il faut « poursuivre la moralisation de l’Administration sécuritaire, (pour) l’assainir de tout ce qui est de nature à écorner sa réputation et à ternir les efforts considérables que ses éléments déploient au service des citoyens ». Utiliser le terme poursuivre est une reconnaissance de l’effort accompli. On entend de plus en plus souvent les cas de ces fonctionnaires de police ripoux, violents ou douteux, suspendus ou sanctionnés par leur administration. La dynamique est enclenchée, et « il faut la poursuivre », donc ;
2/ En reconnaissant son efficacité à l’extérieur du pays : « La coopération et la coordination des Services sécuritaires de notre pays avec leurs homologues dans un certain nombre d’Etats frères et amis, ont contribué à déjouer de nombreux attentats terroristes et à épargner de grands drames humains à ces pays ». Ce qui est vrai, comme l’attestent Français, Espagnols, Américains, Belges, Ivoiriens, Burkinabès…
Mais attention, il faut extraire la sécurité des luttes byzantines. Le roi parle-t-il de la guerre des services, commune certes à tous les pays, mais préjudiciable aussi à tous ces services ?. Comme on n’a pas entendu parler de « luttes byzantines » politiques quant à la sécurité, qui bénéficie d’unanimité pour son action et ses succès, Mohammed VI doit faire allusion à ces inévitables guerres de services, conflits de compétences, chevauchement d’actions etc…qui pourraient, un jour, nuire, « à l’efficacité qui caractérise l’action qu’ils mènent pour anticiper et mettre en échec les menées terroristes ».
Les MRE, ou la diaspora à ne pas oublier
Ils sont environ 5 millions à l’étranger, et Mohammed VI a encore insisté sur leur importance et la gouvernance qui doit imprimer les politiques qui leur sont dédiées… Il a rappelé son intérêt pour cette diaspora et la nécessité d’améliorer les services et les politiques déployés envers elle.
Mais, rappelle le roi, « en dépit des réformes et des dispositions qui ont déjà été prises, celles-ci demeurent insuffisantes. D’où la nécessité de faire preuve d’un plus grand sérieux et d’un engagement plus fort de la part des consuls et des fonctionnaires pour être au service de la communauté et de ses affaires ».
Encore une fois le terme « sérieux », qui sonne comme un avertissement aux consuls et autres qui sont en charge des affaires des Marocains du monde, suivis de près par le palais. Dans l’attente de la nomination des ambassadeurs, enclenchée en février et en suspens depuis.
La diplomatie
Ce passage était très attendu, et c’est également le plus fourni du discours. Il est vrai que cette année a été marquée par les aussi longs que nombreux voyages du roi à l’étranger, tant privés qu’officiels. France, Pays-Bas, Europe centrale, Golfe persique, Russie, Chine, plus l’activité débordante en Afrique, remarquée de et par tous.
Mohammed VI explique le nouveau positionnement du Maroc, détaillé dans son discours du 20 avril à Riyad, quand il a délivré sa vision, fort critique, voire acerbe, contre la politique occidentale.
Le Sahara. Une phrase étrange doit être relevée : « Si certains ont tenté de faire de 2016 « une année décisive », le Maroc a, pour sa part, réussi à en faire « l’année de fermeté » concernant la préservation de son intégrité territoriale ». Quels sont ces « certains » dont parle le roi ? Il ne l’a pas précisé, mais il y a eu la Cour de Justice européenne, et son arrêt qui a déclenché une réaction virile du Maroc en suspendant les relations avec l’UE… il y a eu les sorties du SG de l’ONU Ban Ki-moon, qui ont également activé la réaction rude de Rabat… ONU et UE s’inscrivent-elles dans une politique concertée et planifiée pour imprimer un tournant « décisif » à la question du Sahara ? Y a-t-il une politique réfléchie d’infléchir la politique nationale pour le Sahara ? Sans doute, vu les faits, mais cela a suscité une réaction ferme de Rabat. On le sait, on l’a vu. La « fermeté » passe par des risques. Le roi en a pris et les résultats ont été probants, malgré plusieurs inquiétudes de voir le Maroc multiplier les actes rugueux et les inimitiés, les froideurs et les rancœurs qui en résultent. Mais quand l’hostilité vient de partout, il faut lutter partout.
« Les adversaires du Maroc (sont devenus) enragés et fous furieux par le développement et l’essor que connaît le Sahara marocain », ils ont agi, et le Maroc a réagi. Dans ce monde, on n’avance pas impunément, et il faut savoir se montrer intraitable pour traiter avec les uns et les autres…
Les partenariats. Le roi l’a souvent dit et aujourd’hui, il l’a encore répété… Elargir ses partenariats ne se fera pas au détriment des alliés traditionnels et historiques. Et donc, réitérant sa phrase du « Maroc qui n’est la chasse gardée de personne », Mohammed VI rassure : « L’ouverture (sur d’autres partenaires) ne signifie nullement un changement de cap. Elle ne se fera jamais au détriment de ses partenaires. En effet, le Maroc reste fidèle à ses engagements, attaché à ses alliés historiques ». Et donc, bien que des partenariats stratégiques aient été signés avec Moscou et Pékin, le roi indique qu’Inde, Russie et Chine sont des « espaces économiques et politiques majeurs », mais que l’Espagne et la France restent des « partenaires stratégiques » et des « alliés ».
L’Afrique. Le mot Afrique a été cité 5 fois dans le discours, et le mot africain(s), 9 fois. Cela montre l’intérêt du Maroc pour son continent. Le roi remercie donc « les 28 pays auteurs de la fameuse motion » en faveur du Maroc, mais « aussi les pays amis qui ont apporté leur concours à cette initiative », ce qui indique, en langage diplomatique, que les soutiens du Maroc, en réalité, sont bien plus que 28. Et on notera cette adresse très cordiale et significative à Paul Kagamé, le nouvel ami du Maroc. Influent sur le continent, et dans sa région, le président rwandais devrait faciliter cet objectif du Maroc, décrit par le roi, en l’occurrence, la volonté du Maroc « de s’ouvrir sur de nouveaux espaces, surtout en Afrique orientale et équatoriale, et de conforter sa position en tant qu’élément de sécurité et de stabilité, et en tant qu’acteur œuvrant en faveur du développement humain et de la solidarité africaine ».
Que retenir donc de ce discours ? En un mot, l’accélération des choses. En politique, en économie, socialement et diplomatiquement, l’année 2016 a été une année riche en événements qui ont ancré davantage le Maroc dans ce monde en mutation. Or, pour s’implanter quelque part, il faut faire une place, et donc réduire celle des autres. Cela se fait avec des résistances, des hostilités, des bras de fer… mais tel est le prix à payer.
La prise de risque a été remarquée cette année sur le plan international et un coup d’accélérateur a été donné à plusieurs secteurs. Mais on remarquera que, malgré des inquiétudes sur ces prises de risques (ONU, UE, défi de la COP22), les grandes avancées ont été essentiellement le fait du roi. La classe politique est encore et toujours en retrait, montrant un manque d’intelligence par rapport aux besoins du moment.
Il reste à croiser les doigts pour les élections à venir, et le souhait de voir émerger une classe politique moins teigneuse pour les uns, moins idéologiques pour les autres, plus intelligente pour tous.
Aziz Boucetta