Pourquoi Abdelilah Benkirane craint-il tant Ilyas el Omari ?, par Aziz Boucetta

Pourquoi Abdelilah Benkirane craint-il tant Ilyas el Omari ?, par Aziz Boucetta

Depuis plusieurs années, et surtout depuis plusieurs, mois, et principalement depuis son accession à la tête du PAM, Ilyas el Omari meuble les pires cauchemars d’Abdelilah Benkirane. Le chef du gouvernement a pris goût au « pouvoir » et ne compte absolument pas quitter l’attelage en si bon chemin. Surfant sur sa grande popularité et sur les gains engrangés auprès du palais en termes de confiance, il ne voit plus qu’un seul obstacle pour lui barrer le chemin d’une reconduction dans ses fonctions au lendemain des élections du 7 octobre. Et cet obstacle s’appelle Ilyas el Omari. Pourquoi ?

En conséquence, une stratégie semble avoir été mise au point au niveau du top management du PJD pour atteindre l’objectif de conservation du « pouvoir ». Cette stratégie se décline en plusieurs étapes. D’abord, la mise au point de la technique des éléments de langage, puis leur définition (comme tahakkoum, maâqoul, ledit parti…), puis la course aux alliances préélectorales (avec le PPS d’abord puis l’Istiqlal sur la voie), ensuite  la multiplication des sorties médiatiques et des meetings et, enfin, l’adoption d’une posture de victimisation.

Ce dispositif est tout à fait naturel dans une démocratie ancienne ou naissante comme celle du Maroc, mais là où les choses tranchent avec la norme et la pratique, c’est quand le duel politique devient animosité puis bascule dans l’hostilité, et enfin dans l’exécration teintée de mépris. C’est le sentiment que semble vouer le chef du gouvernement et du PJD à son compétiteur et adversaire Ilyas el Omari.

Essayons d’en comprendre les raisons.

L’origine sociale.                                 

L’un des arguments massue de Benkirane est qu’il est « un enfant du peuple ». Cette notion est difficile à définir dans un pays et une société qui n’ont pas de structuration sociale hiérarchisée. En exciper revient à verser dans le populisme. Soit. Mais Ilyas el Omari peut autant que Benkirane se targuer d’être « fils du peuple », surtout qu’il n’a pas fait d’études supérieures connues et qu’il a passé son enfance dans un douar perdu dans le Rif, contrairement à Benkirane, issue d’une famille de la bourgeoisie moyenne entre Fès et Salé.

Dans leur rapport à leurs mères respectives, Benkirane évoque rarement la sienne, considérée comme une icône soigneusement camouflée aux regards des populations, mais il parle souvent de sa famille et de son épouse. El Omari parle volontiers de sa famille, mais avec pudeur et retenue de son père fqih et de sa mère amazighophone, qui est récemment apparue dans une longue vidéo émouvante.

Le parcours politique

La carrière politique du chef du gouvernement est plutôt opportuniste, bien qu’il essaie de s’en cacher… Ancien de la jeunesse islamique, après un passage furtif par la jeunesse socialiste (chabiba ittihadiya), fondateur de la Jamaa islamique, il comprend assez tôt que cette voie ne le conduira pas au paradis (terrestre).  Alors il tente une ouverture vers le parti de l’Istiqlal, le bastion de l’islamisme politiquement correct, mais il sent qu’il n’y est pas vraiment bienvenu. Alors il cherche un mentor, et le trouve en la personne du Dr Abdelkrim Khatib, un homme (très) proche du palais et qui a toujours su garder l’écoute du roi.

El Omari, à l’inverse, commence sa carrière politique dans l’extrême gauche, la gauche radicale. Il est recherché par la police, en vain. Il est condamné par contumace et vit en fugitif avant la grâce du début des années 90. Il s’approche alors des milieux du palais et s’y accroche et, à l’aube du règne de Mohammed VI, il intègre les organismes de « restructuration sociale », tels l’Institut de la culture amazigh (il est du Rif), ou encore l’Instance Equité et Réconciliation (IER) ou enfin la HACA. Ami de Fouad Ali el Himma, il l’aide en 2008 à mettre en place le Mouvement pour tous les Démocrates qui virera ensuite en PAM en 2009.

Pendant cette décennie, Benkirane doit faire face à deux événements majeurs qui donneront naissance en lui à du ressentiment, puis àun irrésistible sentiment de revanche et de vengeance. Le parti qu’il avait contribué à créer, le PJD,  avait été au bord de la dissolution en 2003, au lendemain des attentats, en raison de son marquage fortement islamique à une période où les Marocains ne savaient pas encore trop y faire avec cette mouvance. Ensuite, la cruelle déception de l’élection de Saadeddine El Otmani au Secrétariat général du parti en 2004, alors qu’il s’y voyait lui-même. Il ne pardonnera jamais ni à el Omari, qu’il accuse d’avoir été l’instigateur de l’idée de la dissolution, ni à el Otmani à qui il voue toujours une tenace animosité.

 La maîtrise des rouages administratifs

Alors que Benkirane, une fois en situation à la tête du gouvernement, doit déployer d’énormes efforts et se résoudre à d’énormes concessions pour « amadouer »une administration puissante, solidaire et rétive, Ilyas el Omari sait se frayer son chemin dans les arcanes de cette même administration. Il a su y nouer des amitiés du temps où il œuvrait au sein de l’IER et où il entretenait des contacts très étroits avec les sécuritaires de tous bords et les dignitaires de l’Intérieur. Il a également pu contracter des amitiés avec l’ensemble de la classe politique quand il était à la HACA.

Cette maîtrise de l’administration et des circuits internes des ministères et organismes publics, el Omari  la mettra en œuvre dans ses alliances électorales en 2009 mais surtout depuis qu’il a été désigné secrétaire adjoint, puis secrétaire général tout court du PAM. Un éclatant exemple du savoir-faire politique et administratif d’el Omari a été


montré dans la crise des enseignants stagiaires, lorsque lui cherchait la solution, que Benkirane refusait toute solution, qu’il avait créé une crise gouvernementale, tombant dans le piège tissé par el Omari… avant qu’il n’adopte la solution de ce dernier.

La proximité populaire

Abdelilah Benkirane est élu de Salé. Il en a fait son fief électoral, mais c’est aussi celui du PJD, voire de la mouvance islamiste dans son ensemble. Son aura y est donc diluée. La notoriété de Benkirane est donc nationale, alors qu’el Omari, en plus d’être connu sur le plan national, possède un fief sans partage, le Rif en l’occurrence. Son programme pour trouver une solution à la problématique du kif vient directement de ses promesses électorales faites aux populations locales, du fait de sa parfaite connaissance de la région, dont il deviendra président. On l’accuse d’électoralisme, mais il se défend en rétorquant qu’il s’agit de la mise en œuvre d’un programme électoral.

Par ailleurs, Benkirane n’est pas élu local, contrairement à el Omari, élu dans son douar d’origine, connu et apprécié dans sa ville d’al Hoceima, et son frère a dirigé durant de longues années la municipalité de Tanger. Or, un homme politique digne de ce nom ne doit pas seulement être élu national, mais doit être passé par les différents échelons électoraux. Le résultat est qu’el Omari parle au peuple, alors que Benkirane se contente de l’amadouer

El Omari connaît Benkirane mieux et plus que Benkirane connaît el Omari

En sa qualité de clandestin de la mouvance de la gauche radicale, traditionnellement opposée aux islamistes, Ilyas el Omari connaît bien le passé politique du chef du gouvernement, fait de compromis et de compromissions. Il sait les tractations passées de la jamaa islamiya avec l’Istiqlal, et les concessions faites plus tard ; il sait les termes de l’accord de Benkirane avec le Dr Khatib pour recevoir l’onction du palais royal dans les années 90.

Benkirane a commencé son parcours politique bien avant el Omari et était donc visible avant ce dernier. Le patron du PAM a donc eu tout loisir d’épier les agissements de l’actuel chef du gouvernement alors que ce dernier n’a vu apparaître el Omari que sur le tard, à la fin des années 2000. Il n’en connaît pas grand-chose.

El Omari explique, il n’enseigne ni n’assène

A chacune de leurs sorties médiatiques ou populaires, la différence de ton entre les deux hommes apparaît clairement : l’enseignant Benkirane assène ses vérités, le verbe haut, domine son auditoire, le torse bombé, adoptant souvent une posture transcendante. L’ex-clandestin rural el Omari parle lentement, à voix basse, pose des questions, interroge son auditoire et ses interlocuteurs, se mettant au même niveau qu’eux.

Benkirane a tout de même cet avantage de la gouaille et de l’art de l’humour oratoire, une qualité totalement absente chez el Omari.

Cela étant, et en matière de culture musulmane, Benkirane maîtrise la théorie islamique alors qu’el Omari, qui a beaucoup lu à défaut d’avoir longtemps étudié, connaît tout aussi bien les classiques islamiques que les grands auteurs musulmans, une lecture qui fait défaut à Benkirane.

Enfin, dans le  discours, Benkirane n’hésite pas à verser dans l’invective, voire l’insulte directe contre son adversaire qu’il accuse d’accumulation illicite de fortune. De son côté, el Omari ne parle de son adversaire qu’en le désignant par son titre, lui montrant une certaine forme de respect. Et pourtant, la richesse du PJD peut susciter des interrogations, autant que celle du PAM, sauf que Benkirane accuse et el Omari s’en retient.

Le rapport au roi

Alors qu’el Omari ne cache pas son passé antiroyaliste, qu’il n’hésite pas à proclamer que la radio Mohammed VI pour le Coran crée du radicalisme, Benkirane ne parle qu’avec déférence de Mohammed VI, s’attachant à chaque fois à démontrer les liens plus que cordiaux qui les unissent, ce qui est faux selon une information rapportée récemment par notre confrère medias24.com. « Abdelilah Benkirane est le chef du gouvernement qui a le moins de contacts avec le roi Mohammed VI. Il est rarement reçu en tête-à-tête », explique le site.

En tant qu’ancien gauchiste radical repenti, el Omari n’a aucune retenue quand il parle du roi, contrairement à Benkirane qui semble toujours vouloir prouver son loyalisme. Quand el Omari parle du chef de l’Etat, il n’hésite pas à le critiquer, alors que Benkirane, en parlant invariablement de tahakkoum, cible indirectement le roi, d’où sa volonté de vouloir prouver sa bonne foi.

Conclusion

Si les deux hommes politiques sont des animaux politiques et des bêtes de scène, force est de constater que le discours de Benkirane passe mieux dans les réseaux sociaux et résonne infiniment plus fort dans les micros. Les insultes, les attaques, les grandes envolées oratoires et les mouvements de manche font leur effet. Dans ce chapitre, Ilyas el Omari part perdant dans le grand duel à distance qui l’attend avec le chef du gouvernement.

Mais le patron du PAM, conscient de son handicap oratoire mais confiant dans sa maîtrise de la politique au Maroc, laisse le champ tribunicien à son adversaire et travaille dans les coulisses, tissant sa toile patiemment, et souvent dans l’ignorance de Benkirane.

Il serait tout à fait indiqué que les deux hommes se rencontrent un jour, directement, sur un plateau. Si el Omari est partant, ainsi qu’il l’a annoncé lors d’une conférence du réseau TIZI, Benkirane est bien plus réticent. La raison, selon lui ? « Ne pas donner de légitimité à son adversaire ». N’est-ce pas, tout simplement, une dérobade ? Aux électeurs, surtout urbains, de répondre à cette question.