La sale affaire des « déchets italiens », par Aziz Boucetta

La sale affaire des « déchets italiens », par Aziz Boucetta

Hakima el Haité n’est pas convaincante. Lors de sa conférence de presse, elle en a appelé à la conscience nationale à l’approche de la COP22, elle a fait des trémolos sur la patrie et l’amour qui lui est dû, elle a fait un peu sa promo personnelle, et elle a aussi appelé le représentant des cimentiers à défendre sa cause d’utilisation des combustibles de substitution. Mais son absence de charisme et sa communication maladroite ne doivent pas occulter l’essentiel. L’importation et l’usage de combustibles en provenance de déchets font-ils du Maroc « la poubelle de l’Europe » ? Une enquête indépendante  et exhaustive doit être lancée pour répondre à cette question. Rapidement et sérieusement.

L’activité de recyclage des déchets est très étroitement encadrée par de nombreux textes internationaux et nationaux. Que cela soit la Convention de Bâle de 1995 ou la loi marocaine 28-00, l’importation au Maroc de déchets étrangers est soumise à un contrôle strict. La ministre de l’Environnement dit dans son très compliqué communiqué que tout se fait dans le respect de la loi. Encore heureux, pourrait-on dire, mais il serait utile de le vérifier.

Les cimentiers, leur quête du profit et le nécessaire contrôle de leur activité

Dans cette affaire dite des « déchets italiens », le ministère de l’Environnement est critiqué, en fait, dans et pour le principe de l’importation de ces déchets. L’opinion publique, du moins sa frange signataire de la pétition qui a dépassé les 20.000 personnes, les médias dans leur écrasante majorité et les adversaires politiques du gouvernement sont tous montés au créneau. Mais un peu trop rapidement, semblerait-il, et surtout sans informations exhaustives sur une affaire très technique.

Que les cimentiers, industriels énergétivores, usent de ce CSR (combustible solide de substitution), c’est leur affaire. Et s’ils sont tenus de respecter l’environnement, c’est au ministère de veiller à ce respect. L’a-t-il fait ? La question ne s’est pas vraiment posée, les critiques ne portant que sur les 2.500 tonnes de « déchets italiens ».

La valorisation énergétique des combustibles solides de récupération (CSR)  en substitution des combustibles fossiles représente environ 35 % des combustibles utilisés dans les  cimenteries françaises. Par comparaison, cette valorisation est estimée à plus de 1,5 million de tonnes par an en Allemagne, soit 35 % des combustibles utilisés dans les cimenteries allemandes. Le potentiel d’utilisation de CSR par l’industrie cimentière française est estimé à environ un million de tonnes par an. Mais ces CSR n’incluent pas les pneus usagés, ce qui ne semble pas être le cas pour les cimenteries marocaines.

Au Maroc, selon la ministre, ce sont 450.000 tonnes qui sont importées chaque année, et tout porte à croire que ces importations sont le fait essentiellement des cimenteries nationales, à la recherche de plus grands profits. Le Maroc se construit à grande vitesse et à coups de grands chantiers, ici et là, partout. Les cimenteries sont de plus en plus sollicitées. Il est donc naturel que leurs dirigeants cherchent à optimiser leurs coûts et à augmenter leurs marges. Mais si le capital est, dit-on, lâche, il est aussi enclin à détourner souvent les réglementations. Il appartient à l’autorité de contrôle de veiller au respect de ces règlementations, si elle n’est pas à son tour lâche…

Dans cette affaire de « déchets italiens », Hakima el Haité explique (aussi mal qu’agressivement) que les contrôles des importations se font en amont et en aval de toute arrivée. L’activité étant très technique et les déchets italiens étant sévèrement encadrés par les mafias locales, c’est sur le contrôle que devraient se concentrer les critiques et non sur l’activité du ministère… lequel serait mis évidemment à l’index en cas de laxisme ou de négligence dans les contrôles.

Pourquoi des déchets étrangers

Le secteur étant particulièrement technique, rares sont les personnes qui se sont interrogées, utilement et avec des arguments et des données précises, sur la raison du non-usage de nos propres déchets.

Il doit y avoir une raison puisque les Suédois, les Allemands et les Français importent également une grande quantité de CSR de pays tiers. Le Maroc n’a-t-il donc pas la maîtrise des processus ? Par négligence ou par ignorance ? Les Marocains ne savent-ils donc pas procéder au tri des déchets pour en exploiter les matières non dangereuses ? Cela ne s’apprend-il donc pas ? Est-ce cher ?


height="170" />Pourquoi le représentant de l’industrie cimentière Mohamed Chaïbi n’explique-t-il pas les raisons qui font que son secteur préfère importer des déchets d’ailleurs plutôt que de traiter les déchets d’ici pour exploitation dans les fours ? Pourquoi la ministre ne répond-elle pas à son tour à la même question ?

Mme El Haité n’a pas répondu à ces interrogations de manière convaincante. Elle aurait dû et c’est sur cela qu’elle aurait dû être interrogée, voire attaquée s’il le fallait vraiment.

Que peut (et  doit) faire le « front du refus » des déchets ?

Les communiqués et communications de Mme el Haité disent les choses et leur contraire… Les déchets, tantôt, sont sur le sol national, mais tantôt ils sont encore en cours de vérification. Selon des confrères, le contrôle aurait été effectué, sur échantillon prélevé directement dans l’usine concerné, importatrice, ce qui serait très grave car des produits potentiellement dangereux seraient alors entrés sur le territoire national sans vérification publique… L’affaire consiste en «un  test industriel préliminaire de co-incinération, en vue de développer une filière de production des RDF », mais rien n’indique ce qui sera fait si le test n’est pas concluant, pour quelque raison que cela soit, ni que sera cette filière de production des RDF (ou CSR).

Mme el Haïté renvoie la responsabilité des tests au Laboratoire public d’études et d’essais, LPEE, qui, comme son nom l’indique, est un organisme public. Les organismes de défense de l’environnement devraient alors s’approprier la question et soumettre eux-mêmes, à des laboratoires privés, indépendants, marocains et étrangers, l’analyse des produits importés.

Selon un expert qui a accepté de nous parler mais sous couvert d’anonymat, les cimenteries gardent toujours une trace des produits incinérés. Un contrôle sur place devrait être effectué par ces mêmes organismes indépendants, sur sites, avec au besoin une citation judiciaire en cas de refus des cimenteries.

Quand Ilyas el Omari dit que « notre pays n’est pas une poubelle »…  quand l’avocat chef de parti Mohamed Ziane attaque le ministère en justice…  quand Abdelilah Benkirane et les autres ministres (hormis celui de l’Intérieur) se sont précipités aux abris, et que Benkirane a fait donner son porte-flingue Mohamed Yatim pour poser une question au parlement, dans le cas où cette importation ne respecterait pas les règles… quand tout cela se produit, cela signifie qu’il pourrait y avoir quelque chose de pourri au royaume du Maroc. Et toutes ces personnalités, qui ont les moyens d’être informées, doivent aller en profondeur, apprendre la vérité, et la révéler au public.

La COP22 approche                             

Bien évidemment, la ministre n’a pas manqué de le rappeler sur un ton solennel, à la limite du psychodrame. La COP22 approche et nous devons nous mobiliser pour son succès. Certes Madame, mais nous devons aussi nous mobiliser pour vérifier vos affirmations, défendre le sol que nous foulons et l’air que nous respirons, en plus de notre réputation.  Où serait le mal au demeurant, puisque la ministre respire, elle, la sincérité quand elle parle ?

Mais, dans le cas contraire, les conséquences seront, ou devraient être, très graves pour elle qui aura pris la mauvaise décision ou laissé faire la mauvaise procédure, pour ses collaborateurs informés qui seraient ainsi complices, pour les industriels (cimentiers ou autres) qui auraient contourné la loi et mis en danger la santé des gens et la qualité des sols pour gagner plus en achetant moins.

 

Le problème, donc, n’est pas de procéder à une opération qui pourrait être légale et commune, mais d’en convaincre une opinion publique dubitative. Le problème n’est pas de se survendre sur les réseaux sociaux, mais de répondre aux interrogations qui y fusent. Le problème n’est pas de prendre des décisions et de demander aux foules d’y adhérer, mais d’exposer les fondements de la décision, les cadres procéduraux, les mesures de précaution, et les raisons d’y croire.

Au final, nous sommes face à une affaire d’opinion publique mais l’opinion publique peut également se tromper, ou se laisser entraîner par des influenceurs qui seraient, au mieux, de bonne foi mais mal informés. Dans le cas contraire, seule une action en justice, diligentée au plus haut niveau de responsabilité, à savoir le palais, remettrait les choses à leur endroit. Mais cette action doit se faire, au nom du respect de l’environnement et surtout des Marocains.