Le changement climatique et la COP22 : Enjeux économiques et sociaux, par Abdelmajid Iraqui

Le changement climatique et la COP22 : Enjeux économiques et sociaux, par Abdelmajid Iraqui

La forte croissance de l’économie mondiale qui a précédé la crise financière de 2008 s’est accompagnée d’une hausse considérable de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre (GES). Le monde peut désormais s’attendre – si rien n’est entrepris rapidement pour inverser la tendance – à une augmentation du nombre de catastrophes naturelles induisant des coûts économiques et humains de plus en plus importants. Le changement climatique ne doit désormais plus être considéré comme une externalité au processus de production. La production mondiale a plus que doublé depuis les années 1990 

Malgré la vive croissance enregistrée avant la crise, le monde n’est pas en voie d’éradiquer l’extrême pauvreté d’ici à 2030 

De plus, le risque  climatique devient de plus en plus préoccupant avec la survenue de grandes catastrophes naturelles : typhon Haiyan aux Philippines, ouragan Sandy aux États-Unis, Sécheresses en Chine, au Brésil et dans la corne de l’Afrique, inondations en  Europe. La hausse des catastrophes météorologiques et/ou climatiques est donc indéniable, tout comme leur bilan humain avec plus de 600 000 morts en 20 ans, selon l’ONU.

C’est dans ce cadre que le Bureau des Nations Unies pour la Réduction des Risques de Catastrophes (UNISDR) vient de présenter un rapport soulignant qu’au cours des 20 dernières années, 90 % des catastrophes majeures ont été causées par des événements liés aux conditions météorologiques…

Des enjeux économiques et sociaux forts

Les enjeux liés au changement climatique sont devenus une problématique incontournable pour les entreprises. Ils impliqueront à la fois des effets directs sur les conditions de la production, ainsi que l’émergence d’un certain nombre de services spécialisés, mais aussi une réglementation sévère des activités génératrices d’émissions de gaz à effet de serre et de celles susceptibles de capturer et stocker le CO2. Le secteur productif  étant la source majeure d’émissions de gaz à effet de serre, les entreprises sont appelées à contribuer à ces efforts de réduction. Le changement climatique constitue donc un défi majeur pour l’entreprise.

Le principal enjeu consiste aujourd’hui à trouver les moyens d’abaisser substantiellement les émissions de GES tout en maintenant un niveau de croissance économique suffisant pour permettre une réduction des inégalités. Il est nécessaire de procéder à de nouveaux investissements, notamment dans les nouvelles technologies, et de recourir à une utilisation plus efficiente des ressources pour relever le défi d’une croissance durable.

Les enjeux sont de plusieurs types : enjeux de gouvernance, enjeux du financement, enjeux de l’emploi, enjeux de compétitivité,  enjeu de la croissance, enjeu du Développement Humain.

L’enjeu de la gouvernance et des politiques publiques

Les gouvernements n’engagent pas facilement de réforme pour corriger une défaillance du marché ou de l’action publique (conflits d’intérêts, recherche de rente,  objectifs politiques à court terme,  mauvaise gouvernance, cadre institutionnel inadéquat).

Il est recommandé d’encourager la réforme et à la modernisation du système de la gouvernance environnementale en vue d’améliorer son efficience à tous les niveaux de l’espace (central, régional, provincial, préfectoral et communal), dans tous les domaines du secteur de l’environnement (eau, biodiversité, sol, air, déchets solides et liquides) et pour tous les acteurs concernés (pouvoirs publics, institutions élues, Société civile/ONG et secteur privé).

Selon le PNUD, il existe   de nombreuses perspectives prometteuses  et certains États-tel  le Costa Rica – sont parvenus à la fois à augmenter leur IDH, à réduire les inégalités sociales et à diminuer la pollution de l’air tout en favorisant l’accès à l’eau salubre. Il faut donc inventer de nouvelles pratiques permettant d’associer équité et durabilité : élargir l’accès aux énergies renouvelables, renforcer l’autonomisation politique des populations, soutenir la  gestion communautaire des ressources naturelles, instaurer une taxe sur les opérations de change à l’échelle mondiale pour financer les mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques, ou encore étendre le contrôle des naissances. 

L’enjeu du financement

Les instruments financiers en place par les États se traduisent par des coûts pour les entreprises si elles reposent sur les taxes, les quotas d’émissions avec marché de permis à polluer, ou les normes. Les deux premiers (taxes, quotas) associent un prix à la tonne d’émissions évitée et sont recommandés par les économistes car ils laissent aux entreprises la possibilité d’exploiter les opportunités de réduction les plus économiques. En effet, l’objectif environnemental est atteint au moindre coût pour l’ensemble de l’économie seulement lorsque les instruments financiers impliquent que chaque pollueur est confronté au même prix d’une unité d’émission.

L’enjeu de l’emploi

L’adaptation aux politiques publiques d’atténuation du changement climatique peut par ailleurs entraîner des réorganisations des relations internes et externes à l’entreprise, permettant d’en accroître l’efficacité. L’impact positif sur le développement des entreprises est vérifié que dans quelque cas d’étude, et sa généralisation doit se confirmer sachant que l’enjeu est de  développer l’innovation, tout en  générant des gains pour


en compenser les coûts.

Il y a, en somme, augmentation simultanée du poids du capital investi, et des coûts de production, sans augmentation correspondante des ventes. Par conséquent, de deux choses l’une : ou bien le taux de profit baisse, ou bien le prix des produits augmente, entraînant une hausse des  prix de vente. Mais toutes les autres firmes (ciment, métallurgie, sidérurgie, etc.) chercheront, elles aussi, à faire payer leurs produits plus cher par le consommateur final. La prise en compte des exigences écologiques aura finalement la conséquence suivante : les prix tendront à augmenter plus vite que les salaires réels, le pouvoir d’achat sera donc comprimé. Parallèlement, les productions non polluantes deviendront des biens de luxe, ce qui risque de creuser les inégalités et de détruire des emplois.

Pour inverser cette mécanique,  il faudra faciliter la transition vers les emplois verts et réussir  les modifications intersectorielles  par des mesures d’adaptation équitables et des  actions sur la fiscalité du marché du travail…

L’enjeu de la compétitivité

Une partie de la littérature économique soutient l’hypothèse des paradis pour pollueurs, selon  laquelle les différences entre régions en ce qui concerne les coûts imposés par la réglementation environnementale locale influencent la localisation des activités polluantes. Cependant, une mise en œuvre globale (au niveau international) de la politique de réduction des émissions de GES, n’impliquerait pas de différenciation internationale du prix du carbone. Dans ce cas, les avantages comparatifs et les critères de compétitivité et d’attractivité de l’investissement ne seraient pas modifiés et les opportunités d’échapper à la réglementation en délocalisant l’activité n’existeraient pas.

Cette mise en œuvre doit reposer sur la solidarité. C’est-à-dire, prévoir des transferts de fonds et de technologies aux pays en développement. Les pays développés doivent tenir l’engagement qu’ils ont pris de dégager 100 milliards de dollars par an, d’ici à 2020, pour les mesures d’adaptation aux changements climatiques et de réduction des effets de ces changements.

L’enjeu de la croissance

En matière de croissance,  l’analyse se limite souvent aux coûts d’un secteur et ignore les effets plus larges sur le bien être des citoyens en général  (PIB et santé des habitants).

Ainsi, au Maroc, des températures élevées pourraient provoquer  l'augmentation de l'incidence voire la réapparition de certaines maladies telles que la dengue (une infection virale transmise par les moustiques) ou le paludisme. Selon le scénario d'émissions de gaz à effet de serre élevées, les décès diarrhéiques attribuables au changement climatique chez les moins de 15 ans pourraient atteindre environ 1.600 décès en 2030.

L’enjeu du développement humain

Si les actions nécessaires de protection de l'environnement ne sont pas déployées, l'OMS estime à plus de 187.000 le nombre de Marocains qui pourraient être touchés chaque année par les inondations en raison de l'élévation du niveau de la mer d'ici cinquante ans. La côte méditerranéenne du Maroc est particulièrement vulnérable à ces effets en raison de la plaine de basses terres où s'étend le delta du fleuve Moulouya. Les répercussions des changements climatiques à cet endroit pourraient être catastrophiques compte tenu de l'importance du fleuve sur les plans écologique et économique. Il faut s'attendre donc à ce que l'élévation du niveau de la mer accentue l'érosion des côtes et accroisse les risques d'inondation et de salinisation des eaux souterraines.

Le Vingtième Rapport annuel sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), paru en 2010, décrit un cercle vicieux : les inégalités amplifient les dommages environnementaux, qui eux-mêmes accroissent les inégalités. Les atteintes à la nature touchent plus durement les populations pauvres, en particulier les 1,3 milliard de personnes qui vivent de la pêche, de la sylviculture, de la chasse et de la cueillette. Ainsi, les pays à Indice de Développement Humain IDH faible sont ceux qui ont le moins participé au changement climatique planétaire, mais qui ont subi la plus forte baisse des précipitations. Et cela affecte négativement leur production agricole, leur accès à l’eau salubre, à l’assainissement, etc., contribuant à aggraver la baisse de  leur IDH. La mise en place de mesures de protection ciblées pourra éviter cet inconvénient.

Quelle feuille de route pour le Maroc ?

Le Maroc a proposé une feuille de route dans laquelle  une cinquantaine de mesures d’atténuation et d’adaptation aux effets climatiques sont présentées, la moitié concernant l’énergie.  Le Maroc a déjà annoncé qu'il mettait fin aux subventions pétrolières : il souhaite donc poursuivre dans cette voie et réduire de façon drastique ses soutiens aux combustibles fossiles.

Le Maroc est  en train de préparer un portefeuille de projets avec l’appui de la coopération allemande en se basant sur un  Plan d’Investissements Verts. Les thèmes concernent les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, la valorisation des déchets, le transport et l’aménagement des bassins versants. Ce  Plan Investissements Verts coûtera 15 milliards de dollars sur 15 ans dont 843 millions pour lutter contre le stress hydrique, première conséquence majeure du changement climatique sur le Royaume.