Mieux comprendre les technologies de réduction des gaz à effet de serre et leurs défis, par Jamal Chaouki

Mieux comprendre les technologies de réduction des gaz à effet de serre et leurs défis, par Jamal Chaouki

La principale cause anthropique des émissions de gaz à effet de serre (GES) est la production d’énergie à partir de combustibles fossiles. En effet, d’après un rapport du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC)2: 78% des émissions humaines des GES proviennent de la combustion des carburants fossiles tels que le charbon, les gaz naturels et le pétrole. Les autres sources incluent la production de ciment (7%), les raffineries (6%), les industries sidérurgiques (5%) et les industries pétrochimiques (3%). 

Il existe quatre principaux types de gaz à effet de serre : le dioxyde de carbone CO2, le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O) et les gaz fluorés. Mais le problème principal réside dans le CO2 même si, par exemple, le CH4 a un impact sur l'effet de serre 25 fois plus fort que le CO2 sur une période de 100 ans. 

Il est donc primordial de récupérer le CO2 produit par nos usines, cimenteries, incinérateurs et autres centrales thermiques dans l’atmosphère. Une des solutions les plus importantes est le piégeage et le stockage du CO2 (PSC). Tel qu’expliqué dans le même rapport*, ce PSC consiste à séparer le CO2 de ses sources énergétiques et industrielles, à le comprimer, à le transporter dans un lieu de stockage isolé de l’atmosphère sur le long terme. 

Quel est le défi principal de cette séparation, quelles sont les technologies matures ou en développement qui existent actuellement à travers le monde et quels sont les coûts impliqués ? 

Le principal défi pour capter le CO2 recraché par les usines réside dans la séparation de celui-ci et de l’azote car la combustion, effectuée en présence d’air (contenant 79 % d’azote), produit non seulement du CO2, mais aussi de l’azote et de la vapeur d’eau. Autant d’éléments qui doivent être séparés à divers moments du processus. En effet, les caractéristiques physico-chimiques du CO2 et l’azote ne permettent pas une séparation facile, mais plutôt complexe. Toutes les technologies pour séparer adéquatement donc l’azote du CO2, le font selon 3 modes : avant la combustion, pendant la combustion ou après la combustion.

Avant la combustion. 2 modes sont envisagés :

  • Brûler les hydrocarbures à l’oxygène pur (Oxycombustion, pas d’azote) permet d’éliminer la production d’azote. Dans ce procédé, le CO2 est isolé de l’eau en abaissant la température pour condenser la vapeur d’eau. Cette solution coûte toutefois excessivement cher car l’oxygène pur est très
  • Produire de l’hydrogène à partir principalement d’une gazéification d’hydrocarbures ou même de déchets est très attrayant. La gazéification est une réaction de craquage qui a lieu à hautes températures et avec un déficit d’oxygène. Elle produit principalement un gaz de synthèse (H2+CO). Le CO est ensuite converti en H2 en le faisant réagie avec de l’eau. L’H2 ainsi obtenu peut- être facilement soit bruler pour produire de l’énergie soit faire d’autres réactions chimiques (comme l’obtention de l’ammoniac). La seule réaction réalisée actuellement industriellement est celle avec le méthane. La décomposition des déchets par cette méthode est très attrayante, mais elle n’est pas industriellement établie. 

Pendant la combustion. Appelée « la boucle chimique de combustion), cette méthode consiste à introduire l’hydrocarbure dans un premier réacteur, et l’air dans un second compartiment. Un solide sous forme réduite est oxydé dans ce second réacteur (capte l’oxygène) et est transporté vers le premier réacteur pour donner l’oxygène adsorbé à l’hydrocarbure. Avec un défaut d’oxygène, il recircule dans le 2ème réacteur et ainsi de suite. Le solide permet donc de


fixer (adsorber) l’oxygène dans un compartiment et le donner (désorber) dans l’autre (figue 1). Ce solide, qui circule d’un compartiment à l’autre, joue le rôle d’un vecteur d’oxygène. Ainsi conçu, l’azote de l’air sort du 2ème compartiment et se retrouve séparé du CO2 produit dans le 1er compartiment. Ce processus, testé sur plus que 1000 solides différents, ne s’est pas encore avéré vraiment efficace. 

 

Après la combustion. 2 modes sont envisagés :

  • Absorption/désorption : Utilisée par de nombreuses industries, c’est la technique la plus au point. Les gaz de combustion sont plongés dans une solution amines pour dissoudre le CO2 et éliminer l’azote sous forme La solution chauffée permet de libérer le CO2 sous forme de gaz (désorption) et de recycler la solution d’amine. Le chauffage d’une telle solution exige d’énormes quantités d’énergie. Une centrale thermique au charbon ainsi équipée consomme jusqu’à 20 à 25 % de son énergie pour séparer le CO2, le comprimer puis le stocker. Or, le charbon extrait en surplus (produisant l’énergie de séparation et de stockage) pourrait causer plus de torts que de laisser échapper le CO2 dans l’atmosphère. Cependant, pour quantifier ces effets, il faudrait faire une véritable analyse de cycle de vie de ces deux procédés (avec et sans séparation et stockage). De plus, même si la technologie est plutôt mature, il reste plusieurs problèmes : des problèmes technologiques (à SaskPower en oct. 2015, après 1 an d’opération seulement 40% de la séparation qui fonctionne), des coûts d’investissement (550M$CAD pour 1Mt de CO2 pour SaskPower), et des coûts d’opération (surtout relativement à la perte de solvant). D’autres idées sont alors envisagées par les chercheurs à travers le monde : au lieu de faire de d’absorption (dans un solvant) le faire sur un solide (adsorption) moins coûteuse en énergie ou encore laisser le CO2 en solution et le faire réagir chimiquement sans le désorber, comme par exemple, avec les microorganismes pour en faire du biodiesel.
  • Le faire réagir chimiquement directement en phase gazeuse. Actuellement, seulement 110Mt/an de CO2 est utilisé pour produire des composés chimiques, principalement de l’urée, ce qui correspond a peine à 1% du CO2 émis par l’industrie.

 

Bref, actuellement, il n’y a pas de véritables technologies capables de réduire efficacement et d’une manière rentable la séparation du CO2. C’est une opportunité formidable pour les chercheurs. La meilleure façon de réduire nos émissions reste encore de consommer moins pour économiser l’énergie.

Les émissions ANNUELLES de CO2 au Maroc correspondent à seulement 3 min par rapport à celles produites aux États Unis. Malgré cela, c’est une excellente opportunité pour le Maroc de profiter, entre autres, de deux accès, un à la mer et l’autre à un océan, de découvrir ou développer de nouvelles algues capables de transformer efficacement ce CO2 en biofuel.

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M. Chaouki est professeur titulaire à l’École Polytechnique de Montréal depuis 1987. Il a formé une centaine de chercheurs. Il a publié plus que 450 articles scientifiques dans des revues avec comités de lecture, plus de 400 autres articles scientifiques et édité 9 livres. De plus, il possède 22 brevets. Il est membre de l’Académie du Génie du Canada et membre du conseil d’administration de l’École Polytechnique. Durant toute sa carrière professorale, il a agi comme consultant auprès de plusieurs compagnies nationales et internationales. Il est actuellement directeur du Centre Bioraffinage et il est détenteur principal de chaire CRSNG-groupe Total.

* Rapport spécial du GIEC, « piégeage et stockage du dioxyde de carbone », 2005 ISBN 92-9169-219-0