Des « dizaines » de Marocains au fond de la Méditerranée, mais qui s'en préoccupe ?
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- 08 juin 2016 --
- Opinions
Médias et réseaux en ont parlé tout au long de la dernière semaine de mai… des centaines de réfugiés ont été sauvés par les garde-côtes italiens, mais des « dizaines » ont péri, noyés. Des « dizaines » de Marocains… Les corps gisent à quelques centaines de mètres au fond de la Méditerranée. C’est aussi triste que grave, mais l’information est en passe d’être oubliée. On ne sait s’il s’agit d’une « centaine » ou de « dizaines », mais dans les deux cas, le chiffre est effarant, autant que son approximation…
Alors, rappelons-le, puisque besoin est. Des « dizaines » de Marocains sont morts, engloutis par la mer. Et pour mieux comprendre les choses, ils sont morts noyés en quittant, en fuyant leur pays dans lequel ils n’ont su trouver ni occasion de vivre dignement ni compassion qui les aurait aidés à supporter leur existence malheureuse car miséreuse. Ils sont donc partis, et ils sont morts. Ils étaient sur un bateau qui a, lentement, chaviré, sous les objectifs d’une caméra, projetant tous les passagers à la mer, sauf ceux qui, bloqués à l’intérieur de la coque, n’ont pas pu sortir à temps, mais ont eu le temps de se voir et sentir mourir.
Mais sont-ils vraiment morts ? Combien sont morts ? Où sont-ils morts, pourquoi et où leurs corps se trouvent-ils en ce moment ? Ne méritent-ils pas, ceux qui sont morts, qu’on connaisse au moins leur nombre exact pour cesser de mettre « centaine » ou « dizaines » entre des guillemets ? Plus grave que la mort, si possible, l’indifférence envers ceux qui sont morts.
Cela ressemble à du lyrisme, mais ça n’en est pas. Le gouvernement ne s’est pas préoccupé de la question, de ces questions, après que la presse s’en soit assez brièvement occupée. Des sites rapportent le climat endeuillé au sein des familles des migrants, à Beni Mellal. Mais personne, encore une fois, ne va voir ces gens, ni ne leur demande des informations sur ceux qui sont partis, et dont une partie ne reviendra jamais.
Le ministre des MRE Anis Birou a dit au parlement qu’il n’y aucune « négligence » ni « laxisme » dans le traitement de cette affaire, et que les contacts se poursuivent avec
les autorités italiennes.Où est M. Benkirane et que fait-il pour ces familles qui ne demandent même pas à être rassurées, mais seulement s’assurer que les leurs sont morts, ou non ? Où donc est passé ce « maâqoul » dont il parle tant ? Serait-ce là aussi le « tahakkoum » (domination, hégémonie) qui l'empêcherait de faire montre d’un minimum de compassion envers ces familles ? Ces gens émigrés ou morts ne sont-ils donc plus marocains, puisque pas, ou plus, électeurs ?
Une « centaine » de Marocains, un peu plus, un peu moins, des « dizaines », qui sait, sont morts dans les conditions qu’on peut imaginer... Nous n’avons entendu aucune association de défense des droits, aucune ONG publique de défense des mêmes droits, aucun ministre, de ceux qui pérorent habituellement sur tout et rien (sauf Anis Birou qui a dit ce que les gens qui n’ont rien à dire disent et encore, en réponse à une interpellation parlementaire), aucun député (sauf un), aucun chef de parti ni de groupe parlementaire, aucun procureur du roi… un silence de mort, un silence aussi absolu que les grands fonds méditerranéens.
Dans le confort douillet de nos chaumières et dans l’inconfort quotidien de nos soucis, ne leur devons-nous pas, au moins, au nom de notre appartenance commune, une pensée, peut-être un acte et, audace ultime, une action ?
Nos dirigeants, perdus dans leurs querelles intestines et dans le bouillonnement de leurs egos, pourraient au moins avoir la décence de s’en inquiéter, du sort de ces dizaines de compatriotes, punis de leur vivant de ne pas avoir eu une vie honorable, et punis après leur mort pour ne même pas avoir eu une mort digne.
L’information initiale du drame avait en effet été apportée aux sauveteurs par leurs compagnons d‘infortune qui, eux, ont pu être sauvés et qui ont expliqué que des « dizaines » de naufragés ont sombré avec le bateau.
Mais notre gouvernement, et son chef, sont-ils seulement sensibles à la mort de quelques « dizaines » des leurs ? A moins qu’ils n’attendent des instructions pour entreprendre ce qu’ils devraient déjà être en train de faire maintenant. Les familles l’ont compris, et s’en remettent aujourd’hui au roi, leur dernier et ultime espoir…
Aziz Boucetta