Exclusif - Entretien avec Françoise Schepmans, députée-maire de Molenbeek

Exclusif - Entretien avec Françoise Schepmans, députée-maire de Molenbeek

Mme Françoise Schepmans est la députée-bourgmestre (maire) de la commune Bruxelloise de Molenbeek. Elle est également vice-présidente de la Chambre des Représentants. Juriste de formation, diplômée de l’Université Libre de Bruxelles, elle est résidente de la commune de Molenbeek depuis toujours. Elle a accédé à sa tête en 2012, après avoir réussi à renverser l’indéboulonnable Philippe Moureaux. Membre du Mouvement réformateur et libérale de conviction, Françoise Schepmans a accepté de répondre à nos questions à l’issue de sa visite au Maroc.

A l’hôtel où nous la rencontrons, nous découvrons une dame d’une exquise courtoisie, bien au fait des problèmes de son pays certes mais aussi et surtout du Maroc, qu’elle a visité en 2011, faisant le trajet routier de Laâyoune à Dakhla : « Je suis très agréablement surprise par les efforts et investissements réalisés au Sahara. Je ne vois pas d’avenir pour cette population du sud en dehors du Maroc ».

Concernant Molenbeek, et bien consciente que la commune est au centre de tous les défis urbains actuels et confrontée au problème du radicalisme, Mme Schepmans est bien déterminée à prendre les décisions adéquates pour favoriser l’épanouissement de la population molenbeekoise d’origine marocaine dans la société belge.

Q - Que représente la commune de Molenbeek à Bruxelles ? Quelle est la typologie de sa population ?

R – La commune est peuplée de plus de 95.000 habitants. Avec les résidents non déclarés, on peut estimer la population totale à 100.000 âmes. Molenbeek a été dirigée par le parti socialiste pendant 39 ans, et de 1992 à 2012, c’était le bourgmestre Philippe Moureaux qui a conduit les destinées de la Commune.

Molenbeek est une terre d’immigration depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Au départ, ce sont les Italiens qui étaient arrivés pour travailler dans les nombreuses usines et manufactures installées sur notre territoire. Mais dès les années 60, les effectifs de ces migrants ont commencé à diminuer en raison de la fermeture d’un nombre croissant d’usines.

A cette même période, les Marocains avaient commencé à arriver pour travailler dans les chantiers d’infrastructures, comme le métro, les tunnels et les nombreux bâtiments en construction. Mais bien que ces travaux aient ralenti depuis 1974, la population marocaine a continué de croître en raison, notamment, de la politique de regroupement familial.

Aujourd’hui, sur les 95.000 résidents à Molenbeek, on peut estimer la population d’origine marocaine à 30%, concentrée dans un seul quartier, celui du Canal. Cette population se caractérise par des familles relativement nombreuses. Le problème : elles vivent souvent malheureusement dans de petits logements qui ne sont pas adaptés à leurs besoins dans le Centre historique de Molenbeek.

Q – Comment expliquer le phénomène de la radicalisation, et en quoi les autorités belges ont-elles failli ?

R – La grande erreur de l’administration communale est de ne pas avoir pensé, pendant que la communauté d’origine marocaine augmentait, à établir des « contrats » d’accueil/insertion des primo-arrivants. Il aurait fallu mettre en place des programmes de connaissance des langues, français et néerlandais, comme cela se fait en Flandre, où il existe moins de radicalisation. On fait cela aujourd’hui à Molenbeek mais, sans dire que c’est trop tard, il est difficile de corriger les erreurs de départ.

La radicalisation a commencé à prendre forme avec l’arrivée de l’argent saoudien. Les structures wahhabites se sont mises à financer des associations religieuses proches du royaume saoudien. Leurs relais rencontraient les jeunes qui se trouvent hors de chez eux, en raison notamment de l’exigüité de leurs logements, comme expliqué précédemment.

On a alors vu l’apparition d’une forme de radicalisation au niveau des tenues vestimentaires et l’apparition de centres religieux extrémistes.

Ce qui est regrettable, c’est que l’Islam tolérant du Maroc a été supplanté, parmi certaines personnes de cette communauté d’origine marocaine, par un Islam, plus rigoriste, inspiré du Proche-Orient.

Par ailleurs, dans les années 90, les jeunes issus de l’immigration se sont mobilisés pour agir contre la discrimination de plus en plus marquée. Ils voulaient et cherchaient autre chose que leurs parents venus en Belgique trouver du travail et une vie meilleure. Il aurait fallu agir au niveau de l’éducation mais, là encore, on


a raté le rendez-vous.

Au basculement du siècle, il y a eu également basculement de la contestation sociale en contestation religieuse. Des centres religieux ont émergé ici et là, orientant les jeunes, contractant des mariages et prenant le dessus sur les populations désorientées. Le changement s’est alors accéléré, il était palpable au quotidien, avec tous ces gens qui basculaient d’un bord à l’autre.

Pendant ce temps-là, au niveau central de l’Etat belge, il n’y avait qu’incompréhension et donc indifférence au sein des partis, et de l’Etat. A Molenbeek, le maire d’alors Philippe Moureaux était dans le déni ; il pensait être en phase avec les populations. Il expliquait que la commune était un laboratoire socio-multiculturel et que c’est à partir de là qu’il fallait comprendre la politique communautaire en Belgique.

Q – Peut-on parler de laxisme belge face au communautarisme et au prosélytisme/prédication, à Molenbeek ?

R – On s’est aperçus que, depuis le démantèlement de la cellule de Verviers (commune également industrielle) où des Molenbeekois étaient impliqués, dont Abderrahim Abaaoud, les services de sécurité se sont trouvés complètement démunis. Comment des accointances avaient-elles pu se former entre radicaux des deux communes de Molenbeek et Verviers, pourtant situées à plus de 100 kilomètres l’une de l’autre ?

Pour la politique communautariste, et comme je l’ai expliqué, il n’y a pas eu de plans d’intégration. Aussi, il y a eu conjonction de plusieurs faits : les besoins des jeunes générations de Belges d’origine marocaine, l’arrivée du wahhabisme saoudien, le basculement de la contestation de sociale et politique, et l’absence de programmes d’intégration comme il en existe en Flandre. Le résultat de cette conjonction a été que l’on s’est retrouvé, presque du jour au lendemain (avec le conflit syrien comme déclencheur), confrontés à ce phénomène de radicalisation violente et de terrorisme.

Dans notre commune, il existe 41 lieux de réunions religieuses sous forme d’associations à caractère confessionnel. La commune compte également 24 mosquées, dont 4 sont reconnues et 5 en voie de l’être. Les imams des mosquées non reconnues ne sont pas payés par le service public, et n’en dépendent donc pas, surtout sur le plan pédagogique. D’où les dérives constatées.

J’ai, par ailleurs, récemment pris la décision de fermer 4 « mosquées » ou plutôt des lieux de rassemblement, dont 3 dispensaient des cours coraniques et 1 recevait des enfants de 3 à 8 ans, sachant que l’enseignement obligatoire en Belgique débute à 6 ans. Ces fermetures étaient nécessaires car ces lieux présentaient des infractions urbanistiques et de sécurité pouvant mettre en danger la vie de ses occupants.

Q – Et au niveau de la coopération entre services de sécurité belges et marocains ?

R – Nous savons que le démantèlement de la cellule de Verviers s’est fait grâce à des informations communiquées par les services marocains à leurs homologues belges. Dans cette affaire, le Maroc a été d’une aide précieuse.

Si la coopération n‘était pas optimale au début, on peut dire aujourd’hui qu’elle s’est renforcée. Nous savons qu’il y a échange de compétences et d’informations. Des personnels sécuritaires belges se trouvent au Maroc, et inversement. Mais cela concerne essentiellement Verviers et d’autres communes, et pas spécialement Molenbeek.

Q – Et que peut-on dire de la coopération en amont, c’est-à-dire au niveau de la formation des imams et des encadrants religieux ?

R – J’ai visité, ici au Maroc, l’institut de formation des imams, et j’y ai vu des apprenants marocains, subsahariens, européens. Je suis très intéressée par une coopération dans ce domaine, et nous entamerons bientôt les contacts utiles pour voir dans quelle mesure nous pouvons faire former nos encadrants à l’Institut.

L’objectif est que les Marocains gardent un enracinement dans leur pays, à travers des imams belgo-marocains qui instruiront un Islam de tolérance et de paix, que nous connaîtrons et que nous pourrons mieux intégrer dans notre politique communautariste.

Q – Le mot de la fin ?

R – Je suis la maire de tous les citoyens de Molenbeek, sans tomber dans le « paternalisme » de mon prédécesseur. Je pense que cette commune, qui est au centre de tous les défis urbains, vaut largement la peine qu’on l’ancre mieux dans le tissu national en décloisonnant les quartiers.

Propos recueillis par Aziz Boucetta