Affaire Chaimae : les « camarades » criminels… torturent, par Sanaa Elaji

Affaire Chaimae : les « camarades » criminels… torturent, par Sanaa Elaji

Je regarde la vidéo de Chaimae racontant la violence qui s’est abattue sur elle des mains des « camarades » à la faculté de Meknès. J’en suis affligée, mortifiée : « Les camarades criminels… rasent, tondent, pris de folie ».

Les « camarades » à la faculté de Meknès se sont concertés, ont délibéré, et cela a abouti à l’alternative suivante : devraient-ils amputer la « traîtresse » d’une main ou alors lui raser les cheveux et les sourcils ? Alors ils ont jugé… Ils ont jugé, en toute « démocratie », qu’ils allaient s’attaquer à la chevelure et aux sourcils, et pas dans la douceur… Les procès des camarades sont exemplaires  et les sentences qui en résultent implacables : elles sont immédiatement exécutées et nul ne peut en échapper.

Chaimae, serveuse dans la cafétéria de la faculté, raconte tout cela dans une immense, effarante et effrayante naïveté, parlant de « jugement », de « camarades »… Mais de quel jugement parles-tu, Chaimae, et de quels camarades ? Quelle est cette époque dans laquelle nous vivons, où l’attrait du sang se drape des oripeaux de la religion, de la gauche, des droits de l’Homme ou encore de l’amour ? Quelle est donc cette époque où ceux qui sont supposés défendre le droit, la justice et le respect des lois sont ceux-là mêmes qui violent le plus allégrement les mêmes lois, avec toute l’abjection, l’injustice et l’oppression des pauvres ? Quelle est cette époque dans laquelle l’étudiant universitaire bascule en criminel jouant un rôle navrant dans une mauvaise pièce de théâtre évoquant « l’action et le militantisme étudiants » ?

Quand donc prendrons-nous conscience que nous ne sommes plus ici face à des faits isolés et des actes passagers qui se produisent de-ci delà ? Quand donc comprendrons-nous que les choses deviennent sérieuses, deviennent graves et requièrent la plus ferme autorité et la plus sévère des sanctions ? Cela fait des mois que des événements similaires se produisent et se répètent et, à chaque fois « les voix de la raison et de la sagesse » viennent nous dire que ce ne sont là que des comportements individuels, sans importance ni logique particulière, isolés.

Et nous voilà face à un nouveau cas de violence sordide, exercée par des jeunes que nous supposions être des étudiants de gauche défendant la justice, l’équité, la loi et les droits…Mais à un moment donné, soudain, ils ont décidé de mettre toutes ces belles valeurs de côté (si tant qu’ils les aient défendues en vrai, un jour) pour faire passer de terribles moments à une personne qu’ils ont jugée avoir fauté à leur égard.

Finalement, ces jeunes représentent une partie de nos contradictions : Nous violons, chaque jour la loi et, chaque jour, nous demandons son application… nous appartenons à des courants qui défendent des valeurs qu’ils ne respectent pourtant pas dans leurs instances élues… nous appartenons à un corps de gauche dont nous supposons que, à travers lui, nous défendrons un système de valeurs, mais des valeurs que nous transgressons en violentant une jeune fille en position de faiblesse… nous nous réclamons d’idées religieuses que nous ne retrouvons pas dans nos pratiques usuelles, loin de celles qui devraient prolonger ces idées…


etc.

Comment donc un individu, sensé être d’abord un étudiant universitaire et ensuite un étudiant de gauche, peut-il se montrer inhumain, injuste et inique à ce point et de cette façon ? Comment ose-t-on nous conférer à nous-mêmes le droit d’organiser un « procès » dont nous n’avons pas la moindre légitimité ? La victime elle-même à utilisé le terme de « procès », légitimant à son niveau et en toute spontanéité cette violation flagrante de la loi… Comment donc des « camarades » peuvent-ils plonger aussi bas dans l’échelle des valeurs de l’humanité ?

Mais ce n’est pas tout… car, en effet, les camarades ont des camarades et un public nombreux. Dans l’affaire de Chaimae, certains ont conduit le procès, condamné et exécuté la sentence…d’autres ont entériné cette « idéologie » criminelle, extrémiste et ultraviolente, au nom de la défense des valeurs, de la gauche, de la loi, de ce qu’on veut… Et puis il y a eu une troisième catégorie de jeunes, qui étaient là, « posés  » en spectateurs de cet épisode, forcément passager… une comédie, une sitcom de celles, à pleurer, que l’on passe durant le ramadan, un instant de divertissement… et c’est cela qui fait mal, c’est dans cela que réside le danger.

La police a arrêté certains de ceux qui ont exécuté la sentence, mais n’aurait-il pas été plus juste et judicieux d’arrêter aussi ceux qui ont conçu l’idée du « procès », ceux qui l’ont planifié, ceux qui ont délibéré, ceux qui ont « jugé » ? La justice n’est-elle pas supposée arrêter également tous les étudiant(e)s témoins de cela, pour « non-assistance à personne en danger », ces jeunes qui regardaient passifs, comme s’ils assistaient à une mise en scène ? Oui, il aurait fallu. Tous ont participé au crime. Tous ceux qui ont regardé cela comme un divertissement ont contribué au crime. Tous ceux qui ont cru que c’était un événement passager sont complices du crime.

Et il reste encore quelque chose d’autre… Nous composons et cohabitons, désormais, avec la violence, et nous considérons ces manifestations comme des faits anodins, passagers. L’Etat serait grandement inspiré de prendre cela au sérieux, car il existe de plus en plus de personnes qui ont « confisqué » à l’Etat ses fonctions régaliennes de police, justice, institutions religieuses, afin de mettre en place les germes d’un terrorisme sociétal aussi véritable que hideux. On ne peut composer ni faire montre de complaisance à l’égard de groupes d’individus qui violentent les citoyens dans la rue et chez eux, et aujourd’hui au cœur d’un campus d’université, des individus que l’on croit pourtant  pétris de droit et de droits. On ne peut être magnanimes avec des gens qui punissent autrui pour des tendances sexuelles qui ne leur siéent pas, pour des pratiques qu’ils jugent contraires à la religion, pour une trahison supposée des « camarades », et toutes autres formes de violences.

Cela fait des mois que de tels faits se suivent et se poursuivent… Depuis des mois, nous atténuons l’impact de ces comportements, les considérant comme isolés… Quand donc tirerons-nous la sonnette d’alarme ? Quand donc prendrons-nous les choses au sérieux ? Avant qu’il ne soit trop tard…

Il n’est qu’à observer ce qui se passe dans les pays qui ont laissé péricliter leurs institutions…

Al Ahdath al Maghribiya