Le trône volant, par Noureddine Miftah

Le trône volant, par Noureddine Miftah

La longue visite privée du roi Mohammed VI à l’étranger au commencement de son règne avait attiré l’attention de tous, mais aujourd’hui les choses ont changé et, désormais, l’avion royal s’envole le plus souvent pour des voyages officiels… la pression conjuguée des évolutions politiques et géopolitiques, stratégiques  et géostratégiques l’exige. Et à l’écriture de ces lignes, le roi n’est toujours pas revenu d’un voyage important entamé le 20 avril dernier, qui l’a conduit vers des destinations importantes, de Riyad à Pékin, en passant par d’autres capitales du Golfe.

A la mi-mars, Mohammed VI se trouvait sur le sol russe, un demi-siècle après le premier voyage, en URSS alors, du  roi Hassan II. Et après Moscou, le roi a fait une tournée des capitales d’Europe de l’Est, dans le proche environnement de l’Ours russe.

Mi-octobre 2015, Mohammed VI avait surpris tout le monde en s’envolant pour l’Inde, pour participer au Congrès Inde-Afrique organisé à New Delhi. Il était là, donc, en compagnie d’une quarantaine de chefs d’Etat africains, une partie d’entre eux étant hostiles au Maroc… Et de là, le roi était reparti vers… Laâyoune, où il avait délivré son discours si lourd de sens et de signification. Mais les marques de fatigue qui étaient apparues sur les traits du souverain avaient suscité la sympathie et l’empathie de tous, jusqu’à ce que tombe ce communiqué du palais indiquant que Mohammed VI était atteint d’une forte grippe qui avait altéré ses fonctions vocales. Il était alors parti à Paris, en convalescence et, c’est dans cet état qu’il avait participé au Sommet de la COP21, laissant son frère Moulay Rachid lire son discours.

C’est donc à travers ce nouveau contexte d’établissement des relations internationales du Maroc qu’il faut comprendre la visite royale en Chine, et ailleurs.

Mais le changement radical apporté à la diplomatie royale, désormais extrêmement active, s’est accompagné par une autre transformation, tout aussi radicale. Celle du discours  royal, devenu un outil de lecture de ce qui se produit, même partiellement, mais toujours bien mieux que les discours renvoyant aux interprétations métaphysiques des choses quand viennent à manquer les informations.

C’est ainsi que, depuis deux ans, nous avons commencé à comprendre que des changements importants intervenaient dans l’affaire du Sahara, sur le plan des relations avec nos alliés traditionnels, et principalement les Etats-Unis, ou même la France avec laquelle nous avons eu l’année de (très) forte tension que chacun sait pour les raisons que tout le monde connaît.

Or, avant cela, le roi était parti en Amérique et y avait rencontré le président Barack Obama et, les deux avaient publié un (long) communiqué auquel on avait alors prêté le mérite d’avoir effacé les anciens différends, et en particulier celui où la représentante des Etats-Unis au Conseil de Sécurité avait voulu élargir le mandat de la Minurso aux questions des droits de l’Homme. Las… rien de cela n’avait changé l’orientation générale de la plus grande superpuissance du monde, où le processus de prise de décision se soumet à un parcours aussi complexe que pragmatique, ou même parfois sournois.

Et c’est pour cette raison que le souci premier du chef de l’Etat marocain est devenu la diversification des alliés, et il allait s’ouvrir d’autres portes dans ce sens, et plus précisément celles la Chine et de la Russie, ces deux autres grandes puissances, capables de se dresser devant l’Occident et pouvant brandir leur droit de veto à l’ONU.

Toutefois, et en dépit de tous les avantages économiques que pourrait engranger le Maroc avec cette nouvelle forme de diplomatie, il ne faut pas oublier que la priorité nationale est politique, car tout l’or du monde, comme on dit, ne pourrait remplacer le Sahara pour le Maroc… de même que pour son Sahara, le Maroc serait prêt à sacrifier tous les investissements du monde, si cela devait être


le prix à payer pour porter atteinte à l’intégrité territoriale.

Et c’est pour la même raison que le roi Mohammed VI a voulu frapper à d’autres portes encore, d’autres puissances régionales, comme l’Inde, pour elle-même certes mais aussi pour ses relations avec nombre de pays africains. Cela a demandé de gros efforts aux diplomates marocains pour écarter le Polisario du chemin en convainquant leurs homologues indiens d’adresser des invitations aux pays africains individuellement et non de passer par le biais de l’Union africaine où le Maroc est absent et où le Polisario est omniprésent. Une hérésie diplomatique d’ailleurs que cette présence… Le roi avait été l’un des premiers chefs d’Etat à atterrir à New Delhi, alors que l’Algérie avait décidé de se faire représenter à un niveau modeste, celui des ministres des Relations avec l’Afrique et le Maghreb  et du Commerce et de l’Industrie, une façon pour Alger de signifier son mécontentement aux Indiens.

La même chose d’était produite en Afrique du Sud, ce pays compté pour être l’ennemi numéro 2 du Maroc dans l’affaire du Sahara, après l’Algérie. Rabat avait réussi, là encore, à écarter la RASD du Sommet Chine-Afrique. On peut être certain que si ce Sommet ne s’était pas tenu à Johannesburg, le roi Mohammed VI y aurait été et, malgré cela, il y a dépêché le chef du gouvernement M. Abdelilah Benkirane.

Si, pour la France, on ne compte plus les visites royales, les relations ont en revanche changé de nature depuis la fameuse crise de 2014. Mais si le Maroc, pour des raisons aussi nombreuses que complexes, est indispensable à la France, on peut dire que, en retour, pour son affaire du Sahara, la France est aussi incontournable pour le Maroc.

Et donc, le message du roi, dont le trône est soit dans sa voiture en interne soit dans son avion à l’étranger, est que nos alliés doivent accepter que nous voulions diversifier nos ouvertures, non pas comme une tactique à courte vue mais bel et bien comme une stratégie à long terme. C’était cela, les sens du discours de Riyad, marqué par cet accent de vérité qui a tant inquiété ici et là les gens soucieux de ne pas lâcher la proie pour l’ombre.

Pourtant, ni la Russie, ni la Chine ni l’Inde ne nous ont présentés d’exceptionnelles faveurs pour notre affaire du Sahara, pas plus que n’avons réussi, nous autres, à convaincre davantage de nations en Afrique de la justesse de notre cause… mais nous aurons au moins essayé de nous aménager d’autres canaux d’ouverture, qui nous ont valu bien des efforts, mais des efforts nécessaires face à bien des menaces.

Nous n’avons pas le choix. Et puis, sans verser dans un optimisme béat ou sombrer dans un pessimisme ravageur, nous pouvons dire que le Maroc a besoin de parler à tous, à tout le monde, au monde. Et nous ne pouvons imaginer que nous puissions, comme cela, sur un coup de tête, rayer nos relations avec les Etats-Unis parce qu’ils auraient adopté une position qui ne nous aura pas plu. Nous ne pouvons imaginer cela car nous ne sommes pas kamikazes. Et ce que nous ne devons ni ne pouvons faire avec les Etats-Unis, nous ne devons pas y penser avec la France, ou le Royaume-Uni ou un pays scandinave, ou tout autre pays sur terre.

Avec les alliés traditionnels, nous devons agir pour nous assurer leurs opinions publiques par la persuasion, en entreprenant les actions nécessaires auprès d’elles. Avec les nouveaux partenaires, nous devons travailler, apprendre à attendre, ne rien presser en dépit du fait que l’affaire du Sahara est pressante et le Maroc mis sous pression aux Nations Unies. Il faut donc penser, désormais, que l’arrivée du roi dans un pays n’est que l’ouverture d’une porte, et le commencement d’un travail de longue haleine.

Mais elle est belle, cette nouvelle diplomatie du roi Mohammed VI.

Al Ayyam