Il ne faut pas mélanger les fondamentalismes…, par Sanaa Elaji
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- 09 mai 2016 --
- Opinions
Certaines comparaisons sont faites par ignorance… ou par une sérieuse dose de mauvaise foi… parfois les deux. Dans un débat survenu voici quelques années au Maroc, quand un prédicateur avait appelé à faire couler le sang d’un journaliste, nous avions lu un grand nombre de commentaires qui disaient en substance : « Puisque le journaliste peut s’exprimer en toute liberté, le même droit doit s’appliquer au cheikh ». Tiens donc…
Depuis quand l’appel au meurtre relève-t-il de la liberté d’expression ? Depuis quand le terrorisme physique, et même intellectuel, peut-il se prévaloir à son tour de cette même liberté ? Peut-on placer un individu qui émet une critique (à tort ou à raison) sur le même plan qu’un autre qui tue, qui appelle au meurtre, ou qui applaudit à un assassinat ? Allons, un peu de raison, juste un peu, et juste un peu aussi d’humanité, et nous serions exonérés de ce type de comparaisons qui n’ont pas lieu d’être.
Toujours dans le registre des comparaisons hasardeuses, celle qui consiste à mettre en parallèle des dispositions religieuses islamiques critiquées ici et là (la femme, le voile, les relations au sein de la société), avec d’autres pratiques, juives ou chrétiennes, pour montrer que les adeptes de ces religions peuvent être plus durs que nous le sommes. Qui donc a jamais soutenu l’idée que si les laïcs ou les athées critiquent des pratiques islamiques, c’est parce qu’ils ont une préférence pour le judaïsme ou la chrétienté ? Juifs et chrétiens ont, eux aussi, des positions religieuses absolument inadmissibles au regard du droit et de l’humanité en général. Mais la différence entre eux et nous et qu’eux peuvent pratiquer leurs rites et rituels dans leurs aspects les plus stricts (s’inscrivant ainsi souvent en dehors de leurs temps), mais ils peuvent également opter pour des comportements laïques dans leurs quotidiens. L’Etat, la loi et la société permettent cela, et personne n’est contraint par la loi ou par la société à appliquer les principes religieux dans sa vie de tous les jours. Et c’est là que la différence réside.
Autre comparaison aussi problématique que peu rationnelle, celle qu’il nous est donné de voir sur des chaînes télé, en particulier venues du Moyen-Orient, plus diversifiées – chez nous on attendra encore un peu pour cela – et où, quand un invité parle de la problématique du fondamentalisme et des moyens de luter contre, il s’entend répondre que « l’extrémisme, cela prend deux formes, le religieux, mais aussi celui des chantres de la laïcité et de certains athées aussi ».
Fort bien. Accordons-nous d’abord sur un point, qui est que tous les radicalismes et autres extrémismes doivent être rejetés. En religion ou ailleurs, en amour ou en désamour, en modernité ou en tradition… Mais de grâce, je vous en conjure, au nom de tout ce que vous chérissez… cessez de comparer l’incomparable : comment mettre sur le même plan un extrémiste religieux avec un extrémiste laïc ? En effet, ce que pourrait faire de pire un laïc
endurci est de titiller les croyances des fidèles, voire même de les heurter dans leurs convictions, ce qui est bien évidemment une chose répréhensible que pas un être sensé ne saurait accepter. Oui, s’il appartient à un laïc de s’interroger sur certaines pratiques religieuses ou sur le fait de les imposer au sein de sa communauté, de plusieurs communautés, il n’a pas le droit, au nom de ce qu’il défend, de moquer les croyants et de se moquer de leur piété.
Mais, en parallèle, comparer ce radical laïc qui raille les autres à l’extrémiste religieux qui tue les incroyants (ou ceux qu’il juge tels selon ses critères), est une chose que l’on ne peut concevoir, ni admettre. Contrairement au laïc endurci, le fondamentaliste religieux tue, assassine, agresse physiquement. Il massacre ou théorise les tueries. Il défend la violence. Il la finance. Il la légitime. Il l’applaudit… Alors comment faire un rapprochement entre ces deux extrémismes, tout en rappelant encore une fois que celui du laïc est nuisible et répréhensible ?
La liste est longue, mais arrêtons-nous là pour appeler certains commentateurs à plus de raison dans leurs comparaisons… et à un peu plus de miséricorde et d’humanité. Qu’un homme critique une pratique islamique ne signifie pas qu’il défend le christianisme ou le judaïsme, mais seulement qu’il soutient l’idée qu’un comportement religieux doit être librement consenti. Mais ne comparons pas un critique (à tort ou à raison) à un tueur, car celui qui discute est différent de celui qui exécute, car encore celui qui s’interroge n’est pas comme celui qui justifie ou qui trouve une explication au terrorisme…
Au final, laissons-nous convaincre par cette idée simple : la foi et la piété ne peuvent être imposées à personne… au risque de nous transformer en ce que nous sommes devenus : une société qui surveille le respect des apparences de la religion prise à la lettre bien plus qu’elle ne veille à la mise en pratique des valeurs que cette même religion prône. Une société qui théorise, ou presque, le meurtre des individus différents. Une société qui contraint à certaines pratiques alors même que le paradis, l’enfer et la foi sont des choses relevant de la sphère personnelle… Question : en imposant la piété aux croyants, leur assure-t-on le paradis céleste ? Assurément non…
Anticipons la réaction de ceux qui ont la comparaison facile et rappelons-leur que l’islamiste impose la piété et le devoir religieux à son prochain alors que le laïc (même le plus fondamentaliste) ne contraint personne à être non religieux. Il se contente de montrer le choix et libre à chacun d’agir comme il veut, d’embrasser le comportement qu’il souhaite et d’en assumer les conséquences.
Pourquoi donc certains politiques et certains individus s’évertuent-ils à vouloir faire entrer les gens au paradis, par la force s’il le faut ? Même en les tuant au besoin… Et il y aura toujours quelqu’un qui viendra dire que, de même qu’il existe des fondamentalistes religieux, il y a des extrémistes laïques !!
Un peu de raison ne ferait, vraiment, de mal à personne…
Al Ahdath al Maghribiya