La résolution sur le Sahara est passée, quelles leçons en tirer ?, par Aziz Boucetta
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- 03 mai 2016 --
- Opinions
Comme le disait Mohammed VI à Riyad la semaine dernière, « le mois d’avril, qui coïncide avec les réunions du Conseil de Sécurité sur l’affaire du Sahara, est devenu un épouvantail qu’on agite à la face du Maroc et, parfois, un moyen de pression ou d’extorsion ». C’est tellement vrai que cette année, le Maroc est passé à un cheveu d’une résolution aussi humiliante que contraignante. Il s’en est sorti (quand même) vainqueur, mais le mois d’avril prochain, en 2017, les choses risquent d’être aussi compliquées, sinon plus, si l’on ne s’y prend pas à l’avance…
Sans verser dans une vague et vaseuse théorie du complot contre le Maroc, force est de constater que plusieurs événements ont secoué, voire ébranlé, Rabat, qui n’a pu déjouer ces différents actes hostiles qu’au moyen d’une diplomatie (royale) musclée. Il ne faut pas baisser la garde pour autant, bien au contraire.
Les derniers événements concernant le Sahara
En septembre, la Suède s’apprêtait à reconnaitre la RASD. Le Maroc avait réagi avec une rare virulence, faisant reculer les lobbies pro-Polisario de Stockholm. Puis, le 10 décembre, la Cour de justice européenne a décidé d’annuler l’Accord agricole entre l’Union européenne et le Maroc. 5 jours après, c’était au tour du parlement européen de demander l’élargissement du mandat de la Minurso aux droits de l’Homme. Là encore, le Maroc avait réagi en suspendant toutes discussions avec l’UE dans l’attente que les choses rentrent dans l’ordre.
Et en mars de cette année, le SG de l’ONU Ban Ki-moon effectuait sa désormais fameuse visite en Algérie et en bordure du mur de sable. Et une fois de plus, le Maroc a réagi avec la vigueur qu’on sait.
Il est temps que le Maroc cesse de réagir, et qu’il commence à agir.
L’activisme diplomatique du Maroc
Dans le monde, la diplomatie est le domaine réservé du chef de l’Etat. Au Maroc aussi, sauf que le chef de l’Etat semble être bien seul à s’y activer. Les autres l’attendent passivement, puis l’applaudissent massivement. Il en faut plus.
Depuis quelques années, le roi Mohammed VI ne laisse rien passer, réagit et agit aussi. Il a réagi quand les événements mentionnés ci-dessus sont survenus. Mais il agit également, anticipativement. Il va en Afrique, conquiert les cœurs et convainc les esprits. Il s’envole vers le Golfe, emporte l’adhésion de tous et empoche aussi des fonds pour investissements. Il visite la Russie, signe un partenariat stratégique et prévoit de faire la même chose avec la Chine, dans les prochains jours.
Puis il parle, attaque, explique, menace, décortique… Dans ses derniers discours de politique étrangère, il n’a pas plus la langue de bois que la langue dans sa poche. Mais au-delà d’assumer, ce qui est le cas, il faut assurer, et avec les pays qui nous entourent et disent nous soutenir, ce ne semble pas (encore) gagné.
L’état des pays concernés
En plus du SG de l’ONU, les pays concernés peu ou prou par l’affaire du Sahara sont en situation politique incertaine, avec des chefs d’Etat ou de gouvernement partants. Aux USA, Obama est désormais considéré comme canard boiteux car arrivant en fin de mandat et manquant d’autorité sur une Susan Rice qui est à l’origine du projet de résolution hostile pour le Maroc et son Sahara. En France, le président Hollande est encore plus boiteux avec une popularité affligeante et des chances de réélection flageolantes. L’Espagne n’a pas de gouvernement, vit en pleine crise politique et est bien partie pour le rester avec l’émergence des nouveaux partis Podemos et Ciudadanos. Quant à l’Algérie, seule une intervention divine directe (et massive) pourrait sauver le pays, politiquement moribond, socialement explosif et économiquement exsangue.
Seuls, dans ce panorama, la Russie de Poutine, nouvelle alliée, la Chine, future partenaire et le Maroc peuvent se targuer de systèmes politiques solides et bien installés. On a dit que Moscou nous avait abandonnés au Conseil de Sécurité, vendredi dernier… mais comme le roi du Maroc avait dit que « le Maroc n’est la chasse gardée de personne », Poutine semble avoir répondu à ceux qui le pensaient acquis
à notre cause que « la Russie non plus ». Autrement dit, il faut du temps, du travail, de la patience, de la constance et de la persistance pour arracher les Russes à leurs anciens alliés, historiques même, que sont les Algériens. Il faut un travail de longue haleine pour les convaincre qu’ils auraient plus à gagner au Maroc qu’à glaner en Algérie…
Rabat doit et peut jouer sur ces situations politiques incertaines. A Washington, les Républicains sont traditionnellement pro-marocains, plus que les Démocrates, mais chez les Démocrates, c’est Hillary, grande amie du Maroc (en principe) qui est le porte-drapeau et qui a des chances sérieuses de se (ré)installer à la Maison Blanche. En France, que ce soit Hollande qui repart pour un tour, ou Juppé qui arrive en mai prochain, le Maroc aura un ami à l’Elysée, sachant que les liens du maire de Bordeaux avec Rabat sont aussi anciens que solides et que Hollande, d’après des conseillers de l’Elysée, aurait « trouvé, à sa grande satisfaction, une grande et réelle trempe politique chez Mohammed VI ».
En Algérie, les choses commencent à bouger, certains politiques commençant à s’interroger sur l’intelligence de la politique de leurs généraux… Le Maroc doit poursuivre son offensive contre ces derniers, sur le terrain diplomatique et politique.
Notre diplomatie
Depuis plusieurs années, de longues années, les chefs de notre diplomatie, il faut le reconnaître, sont animés par la « peur » alors même qu’il leur faut de la vigueur ! L’appareil diplomatique, de l’aveu de nombreux diplomates, est sclérosé par l’attentisme et le carriérisme. The right man (ou woman) at the right place ne semble pas être le credo moteur du ministère des Affaires étrangères.
Entre les carriéristes et les opportunistes, le népotisme et le clientélisme, la machine diplomatique n’a pas eu depuis longtemps le manque d’efficience qui la caractérise aujourd’hui… face à une diplomatie algérienne presqu’exclusivement dédiée à gêner, voire bloquer, le Maroc.
Et même les plus que 70 ambassadeurs désignés début février en Conseil de ministres ne sont pas encore partis dans leurs capitales. Or, pour éviter la réédition prévisible en 2017 du mois d’avril-épouvantail, pour reprendre le mot du roi, c’est maintenant qu’il faut commencer à agir sur les différentes sociétés civiles concernées, les ONG, les corps constitués, en un mot l’opinion publique mondiale.
Mais il n’y a pas que la diplomatie publique et étatique… Si le Maroc sait désormais agir sur les autres types de diplomaties, économique, financière, religieuse, sécuritaire voire militaire, il appartient à la société civile marocaine de s’activer et de mettre en branle une action transversale, et anticipative, explicative, à destination de ses correspondantes dans le monde.
Que les parlementaires multiplient les visites du type de celle menée en catastrophe, en septembre, en Suède, que les ordres professionnels (médecins, pharmaciens, notaires, avocats…) prennent attache avec leurs homologues, que le patronat prenne ses chiffres d’affaires et sillonne le monde, que les jeunes d’ici parlent aux jeunes d’ailleurs, que les associations féminines marocaines fassent du lobbying auprès de leurs consœurs… et la liste n’est pas exhaustive.
L’idée est de seconder, soutenir, la diplomatie royale, puisque la diplomatie tout court est si lourde à mettre en branle. Le monde change, et les centres de pouvoir se trouvent de plus en plus dans les rues que dans les chancelleries, lesquelles ont toujours un œil sur leurs rues… L’affaire du Sahara est une cause juste dont la défense nécessite juste un peu plus de présence, et beaucoup plus de consistance, pour inverser les opinions qui nous sont toujours hostiles.
Il faut pacifier notre scène politique interne ; il faut également cesser d’arrêter, ou de penser à légiférer pour arrêter les journalistes (il y a d’autres moyens)… il faut enfin que le chef du gouvernement cesse de parler de complot interne contre lui et son parti et qu’il s’abstienne de parler d’hégémonisme politique, qui renvoie directement vers le palais… Il faut ancrer dans les esprits des diplomates étrangers qui observent le pays que nous sommes une démocratie réelle avec une monarchie exécutive et des institutions élues (si, cela existe, c’est le Maroc et nous y avons réussi).
Il faut, en un mot, agir en interne pour mieux pouvoir rugir en externe.